Un président malade et muet, une économie mal en point… L’Algérie navigue à vue ! La France surveille de près l’évolution de ce pays incontournable dans la lutte antiterroriste.
Dans quel autre pays au monde un président « triomphalement » réélu pour un 4e mandat avec 81,53 % des voix (en 2014) pourrait ne jamais apparaître en public, ne jamais prendre position, ne jamais faire entendre le son de voix ? Ainsi va la vie en Algérie où en « l’absence » prolongée d’Abdelaziz Bouteflika, malade et vieillissant, le pouvoir est exercé de manière opaque, sans que l’on sache très bien par qui. Par son frère Saïd (conseiller à la présidence) très probablement.
Par les généraux qui ont toujours exercé une grosse influence sur le destin du pays depuis l’indépendance. Par un petit cercle de chefs d’entreprise fortunés, aussi, qui trustent désormais le monde des affaires.
« La transparence n’a jamais été le fort de l’Algérie mais là, on atteint des sommets », soupire un expert de la région assez inquiet face au danger d’une succession mal gérée. Jusqu’à présent la population algérienne était partagée entre résignation et respect pour le vieux chef de 79 ans. Les mouvements de protestation étaient — plus ou moins — circonscrits. Mais la donne sociale est en train de changer.
Avec la France, des relations au beau fixe
Dans une économie à ce point dépendante du gaz et du pétrole (96 % des exportations), l’effondrement du prix des hydrocarbures crée de grosses tensions. Le gouvernement est désormais contraint de relever certains prix (essence, électricité…) et de multiplier les mesures d’austérité. « Tant que les généraux redistribuaient la rente sous forme de subventions, tout allait bien. Maintenant que les cordons de la bourse se resserrent, c’est nettement plus compliqué », admet un patron franco-algérien.
Et la France dans tout ça ? « Nous sommes les derniers à pouvoir dire quoi que ce soit de négatif », explique-t-on à l’Elysée, où on ne veut surtout pas fâcher l’allié algérien. C’est une des raisons pour laquelle Paris ne communique jamais sur l’état de santé de Bouteflika, patient régulier des hôpitaux français. Car paradoxalement, cinquante-quatre ans après les accords d’Evian, les deux pays ne se sont peut-être jamais aussi bien entendus. François Hollande qui participera demain à la journée nationale du souvenir Algérie-Maroc-Tunisie au Quai Branly (choix contesté par une partie de la droite) s’est déjà rendu deux fois à Alger pendant son mandat. A son tour, Manuel Valls traversera la Méditerranée, les 8 et 9 avril, à la tête d’une importante délégation de chefs d’entreprise.
Mais c’est sur la situation sécuritaire que les deux pays s’entendent le mieux. Alger et Paris échangent des renseignements et luttent ensemble contre le péril djihadiste. Sans parfois que cela se sache. Récemment, par exemple, les forces de sécurité algériennes ont intercepté des combattants islamistes en possession de missiles sol-air, capables d’abattre des hélicoptères ou des avions de combat. Une menace de moins pour les soldats Français de l’opération Barkhane qui opèrent au Sahel.
Bouteflika, le fantôme d’Alger
Abdelaziz Bouteflika, qui a célébré ses 79 ans le 2 mars, ne se déplace plus en Algérie, n’assiste à aucune réunion à l’étranger. Il délègue souvent les présidents des deux chambres du Parlement, Abdelkader Bensalah et Larbi Ould Khelifa, ou le Premier ministre Abdelmalek Sellal, pour le représenter dans les forums internationaux. Victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC) en avril 2013, le chef de l’Etat algérien est assis sur un fauteuil roulant, ne prend plus la parole en public à cause d’une extinction de voix. Il ne s’adresse à ses invités, principalement étrangers, qu’avec l’assistance d’un petit micro. Bouteflika ne travaille plus au palais présidentiel d’El Mouradia sur les hauteurs d’Alger. Son bureau est désormais installé à la résidence d’Etat de la forêt de Zéralda, à 26 km à l’ouest d’Alger, sur la côte méditerranéenne. Même le grand appartement d’El Biar n’est plus habité par Bouteflika et certains membres de sa famille. A Zéralda, Bouteflika bénéficie d’une assistance médicale permanente. Il accorde peu d’audiences aux Algériens. En novembre 2015, des personnalités comme l’ex-ministre de la Culture Khalida Toumi et le romancier Rachid Boudjedra ont demandé à le rencontrer pour s’assurer de sa capacité de diriger le pays. La demande est restée lettre morte. Le président se confie souvent au diplomate Lakhdar Brahimi, ex-envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie. Brahimi est chargé après de déclarer devant les caméras : « Bouteflika va bien ! »
F.M.
Par leparisien.fr