« Il faut beaucoup de naïveté ou de mauvaise foi pour penser que les hommes choisissent leurs croyances indépendamment de leur condition. » (Claude Lévi-Strauss, 1955 : 169).
L’insuccès renouvelé des politiques gouvernementales du Sénégal pour lutter contre la mendicité des enfants talibé amène à se demander pourquoi, en dépit des efforts menés par le gouvernement et soutenus par la société civile et les agences internationales, la situation ne parvient pas à évoluer? Cet article propose une hypothèse qui fournit des clefs originales de compréhension de ce phénomène. Il montre que la mendicité des talibé remplit, en réalité, une réelle fonction sociale, en permettant aux donateurs de s’acquitter du devoir d’aumône, devoir d’autant plus important que la vie citadine laisse moins de temps au rite musulman. Cette remarque apporte un complément de connaissance important dans le débat actuel sur cette question des talibé, qui reste orienté par une approche strictement juridique, visant la protection des enfants et limitant son analyse aux seuls acteurs que sont les parents/maîtres coraniques/enfants, sans tenir compte de la population et sans prendre en compte ce contexte du « marché » de l’aumône.
Aujourd’hui au Sénégal, les daara sont de plus en plus objets de polémiques. Le principal reproche qui leur est fait est de ne pas respecter les droits de l’enfant talibé. Les conditions d’apprentissage restent en effet particulières et s’appuient le plus souvent sur des violences, physiques ou au moins symboliques. Dans la banlieue de Dakar par exemple, le talibé offre l’image de ce jeune qui erre nuit et jour dans les rues, habillé en haillons, une boite de conserve vide à la main en guise de sébile, et parfois même pieds nus, en quête d’aumône. Dans la capitale, ils font, pour ainsi dire, partie du décor. On les retrouve surtout dans les lieux d’affluence comme les places publiques, les marchés, les arrêts de bus, les croisements marqués par des feux de circulation, etc. On ne peut pratiquement pas ne pas les rencontrer, ce qui a favorisé des représentations largement partagées sur la situation de ces talibé. Elles se résument, dans la plupart des cas, à un sentiment de compassion envers le talibé, mais également à une condamnation, soit du serigne daara, soit des parents de ces enfants, qui semblent négliger leurs droits élémentaires.
On pourrait pareillement penser qu’il n’existe pas de volonté politique de la part de l’État pour faire face à ce cas particulier. En réalité, depuis la colonisation française et jusqu’à aujourd’hui, des mécanismes de contrôle, de maîtrise, voire de récupération des daara ont été mis en œuvre. Mais ces volontés politiques n’auront que peu, voire pas d’effets. Il convient dès lors, de se demander pourquoi, en dépit de ces efforts menés par le gouvernement et soutenus par la société civile et les agences internationales, la situation semble ne pas évoluer ? Les politiques de l’État sont-elles adéquates ? Quelle est le rôle, si implicite soit-il, de la population sénégalaise dans le maintien de cette mendicité ?
L’enjeu majeur reste cependant de comprendre comment ce phénomène pourrait être pris en compte dans les politiques de protection de l’enfant ? Dans quelle mesure pourrait-on imaginer un système qui permettrait aux sénégalais de réaliser leur besoin d’aumône, tout en assurant aux enfants des conditions d’apprentissage décentes ? Ces questions réglées, le Mali qui vit le même fléau pourrait s’en inspirer et éradiquer ces maux de l’Afrique de l’ouest.
Abdoulaye A. Traoré
Doctorant en sociologie
Une seule question:….Quelles sont les familles qui laissent ainsi les enfants aux mains des gens qui les font mendier ?
Ces enfants sont-ils orphelins ? Leurs parents sont-ils proches ?
Ces pratiques sont bien loin de l’amour affiché des Africains pour leurs enfants …et c’est ça qui fait mal
Nous avons encore du chemin à faire
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