La presse turque exprime son ras-le-bol après la dernière offensive du pouvoir

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La mise sous tutelle de l’un des principaux groupes de presse turcs à quelques jours d’élections législatives cruciales est la dernière tentative du pouvoir turc de domestiquer la presse indépendante. Les nouveaux administrateurs sont des proches de l’AKP, le parti au pouvoir depuis 2002.

Un nouveau coup de massue. Une vingtaine d’entreprises du groupe Koza Ipek ont été mises sous tutelle à la demande du procureur d’Ankara. Le 5è juge de paix a fait droit à la demande du parquet estimant que le groupe était une source de financement de l’organisation terroriste FETÖ du nom de Fethullah Gülen, cet imam turc vivant en exil en Pennsylvanie, la bête noire du régime depuis décembre 2013.

Un grand groupe de presse

Le groupe Koza fait des affaires dans les domaines de l’or (41 tonnes de réserve), du bâtiment, des ressources naturelles mais également de la presse.

Il a acheté le journal Bugün (100 000 exemplaires par jour) en 2005 et la chaîne Kanaltürk en 2008. Le patron, Akin Ipek, est dans le collimateur du pouvoir depuis quelques mois. Lui-même avait été placé en garde à vue pour participation à une organisation terroriste.

La justice turque vient donc de nommer des administrateurs qui seront chargés de diriger les différentes sociétés le temps de l’instruction.

Etrangement, le juge s’est appuyé sur un rapport fourni par plusieurs experts qui estiment que la santé financière du groupe est trop «parfaite» pour être crédible ! «Il n’existe au monde aucune institution, aucun système comptable ni aucune organisation financière parfaite. Ce n’est qu’un groupe suspect qui peut présenter un schéma parfait», notent-ils.

La presse exprime son ras-le-bol

Ce n’est pas la première fois que le pouvoir s’en prend à des organes de presse. Les journaux Zaman et Hürriyet, les deux plus gros tirages du pays, sont régulièrement la cible d’attaques verbales et de procédures judiciaires.

Dernièrement, ce sont sept chaînes de télévision par trop indépendantes qui ont été supprimées par Digitürk, l’un des plus grands opérateurs de télévision payante.

La dimension politique de la manœuvre est tellement saillante que certains des nouveaux administrateurs sont des proches de l’AKP. Par exemple, Ali Yazli, expert-comptable, est également conseiller municipal AKP à Ümraniye. Hüdai Bal travaillait au groupe Turkuvaz Medya avant d’être nommé administrateur à Show TV. Enfin, Ümit Önal est directeur commercial de Turkuvaz et membre de Digitürk.

Le groupe de presse Turkuvaz Medya regroupe le journal Sabah et la chaîneATVSabah est considéré comme le «journal officiel bis» en Turquie.

«Nous vivons un jour noir. Et c’est le sultan qui se trouve au palais qui nous fait vivre ce jour. Mais nous allons continuer la lutte pour la liberté», a lancé Hasan Cemal, un des dinosaures de la profession qui avait perdu son emploi après l’intervention de Tayyip Erdogan.

Le rédacteur en chef de Cumhuriyet, journal de gauche kémaliste, s’est immédiatement rendu au siège de Bugün pour afficher sa solidarité. «Quelle que soit notre opinion, quel que soit notre passé (…), nous sommes déterminés à résister jusqu’au bout contre la répression», a-t-il déclaré avant d’ajouter, «dimanche commencera une nouvelle ère, celle où des comptes devront être rendus pour cette répression. C’est ce qui justifie d’ailleurs cette peur».

L’ancien rédacteur en chef de Hürriyet, Ertugrul Özkök, dans un rare élan de solidarité, a résumé la situation : «c’est une extorsion opérée par l’Etat. La majorité de la Turquie voit cela de cette manière. Le monde analyse cela de cette manière. L’Histoire prendra note de cette manière».

Le journal Bugün est sorti sur fond noir avec pour Une : «Aujourd’hui, c’est un jour noir pour notre démocratie, notre liberté et la Turquie».

Ebru-Africa Mali

 

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