La Démocratie poursuit son petit bonhomme de chemin en Guinée malgré les différentes péripéties liées au paysage politique fortement ethnicisé et au contexte social délétère caractérisé par la crise économique et financière. Après une campagne présidentielle qui aura tenu toutes ses promesses sur Africa 24 et la RTG, les guinéens se sont massivement rendus aux urnes pour élire leur futur président de la République. Qui décrochera le graal ? Qui du président sortant Alpha Condé, de Cellou Dalein Diallo ou de Sidya Touré occupera le palais Sékoutouréya ?
Dans cette élection présidentielle libre et démocratique, la deuxième du genre après le coup d’Etat du Capitaine Moussa Dadis Camara, l’équation guinéenne n’est pas simple. Le candidat Alpha Condé du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) qui a défendu tant bien que mal un bilan largement critiqué par ses opposants réussira-t-il à succéder à lui-même ? Cellou Dalein Diallo, le chef de file de l’Opposition et président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), parviendra-t-il enfin à se faire élire pour passer dans la postérité comme le premier peul de l’histoire du pays à accéder au pouvoir d’Etat jusqu’ici la chasse gardée des seuls malinkés et soussous ? Ou alors, ce scrutin enregistrera-t-il la surprise par l’élection de cet autre opposant Sidya Touré ?
Mais la plus grande crainte que suscite ce scrutin c’est bel et bien dans le contexte de la Guinée le risque de basculement dans une crise post-électorale au relent ethnique. Le « volcan guinéen » est entré en irruption depuis hier dimanche et il ne suffit que d’une étincelle pour allumer le feu d’une crise inter communautaire avec en toile de fond des tensions politiques exacerbées. Malgré un contexte socio politique difficile, les guinéens ont su faire montre d’un engagement citoyen et d’un courage à toute épreuve en allant voter pour renforcer cette image de grande culture démocratique que les médias ont laissé entrevoir au cours de cette campagne. L’exemple le plus enviable reste celui donné par la Radiotélévision Guinéenne (RTG) qui malgré son étiquette de média public a vraiment joué son rôle de relai de la voix des différents candidats à la présidentielle. Ainsi du début de la campagne à sa fin, tous les soirs à partir de 21h, chaque candidat présentait sans ambages son projet de société avec une liberté totale de critique et d’analyse vis-à-vis du pouvoir du président sortant Alpha Condé. L’apothéose a été le débat entre les candidats qui a été modéré de façon très démocratique, un peu à l’image du grand oral à l’américaine. Quand on sait ce que vaut un média d’Etat en Afrique, au vue de ce qu’a accompli la RTG en termes de couverture professionnelle de la campagne présidentielle et du scrutin lui-même, l’on ne peut que lui tirer avec déférence le chapeau. Bravo à la RTG qui donne ainsi la voie. Et notre ORTM national qui proclame sa « tigritude » de passion du service public plutôt qu’il n’agit pour correctement informer le public malien las du « griotisme d’Etat ».
L’autre admiration de cette campagne a été la grande mobilisation populaire sans précédent pour des élections en Guinée. Partout où les têtes d’affiches sont passés, une foule immense les accueillait. Une mobilisation qui s’est ressentie dans le taux de participation qui confère une plus grande légitimité au prochain président de la République.
Qui des candidats, Alpha Condé ou de Cellou Dallein Diallo aura la confiance des guinéens ?
Pour des impératifs de bouclage, à l’heure où nous mettions sous presse cet article, des tendances issues des urnes, il y en avait très peu. Pronostic de la Rédaction en attendant la publication officielle des résultats nous pensons que le président Alpha Condé ne pourra pas se faire élire dès le premier tour. Un deuxième tour est donc plus que probable entre Cellou Dalein Diallo et le président sortant. Le chef de l’Opposition mériterait bien ce deuxième duel après celui de 2010 pour en découdre probablement avec son rival intime. Il a réussi, sans grande surprise à faire le plein de la mobilisation des foules sorties en masse pour l’accueillir à Kankan à Fria mais aussi et surtout à Conakry. Mais tout indique que l’arbitre de cette élection comme en 2010 restera l’ancien Premier ministre Sidya Touré qui a aussi réussi sa démonstration de force dans la capitale guinéenne que le site d’informations Guinéenews a qualifié à juste titre de « déferlement humain inédit ». Il est certain que si le candidat Touré joue la carte de l’Opposition dont il est l’un des ténors en appelant à voter pour son allié logique Cellou Dalein Diallo, membre autant que lui de l’international libéral, ce dernier l’emporterait haut les mains. Dans ce cas de figure, Alpha Condé aura-t-il l’élégance politique de reconnaitre sa défaite ? Aura-t-il la hauteur d’esprit d’accepter sa défaite en cédant ce fauteuil de président dont il n’a joui que 5 ans après tant de combats dans l’Opposition ? Dans le cas contraire, si le président Condé devait l’emporter il faudrait bien que sa victoire soit nette et sans bavure de façon à ce que les résultats de la présidentielle soient acceptés par tous. La Guinée aura alors avec son président donné une belle leçon de Démocratie aux autres pays africains qui auront commencé l’expérience du pouvoir du Peuple par le Peuple et pour le Peuple avant elle.
En conclusion, Alpha Condé réussira-t-il le « Takokelen» en mettant un coup K.O ? Le risque reste trop grand de voir la Guinée sombrer dans une crise post-électorale de toute évidence lorsque le chef de file de l’Opposition dans une maladresse politique qui pourra lui coûter bien des voix déclare d’avance ne pas reconnaitre les résultats de la CENI. Et déjà, on note des affrontements entre militants de l’UFDG et ceux du RPG qui ont fait 20 morts jeudi dernier. Signe avant-coureur ou pas, le vendredi dernier, des commissaires de la CENI se sont désolidarisés de la décision de refus du président de l’institution suite à la requête de l’Opposition de reporter ces élections à cause des multiples dysfonctionnements constatés. « L’institution doit jouer son rôle d’arbitre, neutre et impartial à l’égard des Candidats à l’élection présidentielle » devaient-ils, entre autres, déclarer.
Ahmed M. Thiam