Après la chute de Kadhafi, de grandes zones d’ombre entourent le CNT libyen, désormais seul à la tête du pays.
Le nouveau gouvernement libyen prend ses quartiers à Tripoli. Huit hauts responsables du Conseil national de transition sont arrivés jeudi dans la capitale libyenne pour préparer la transition politique. Créé à la hâte le 27 février dernier en pleine répression brutale de l’opposition par Kadhafi, cet organe considéré comme “un comité de gestion des crises” est sorti de l’anonymat le 10 mars à Paris, lorsque Nicolas Sarkozy est devenu le premier chef d’État occidental à le reconnaître comme unique “représentant légitime” du peuple libyen. Quarante-quatre pays le suivront jusqu’à la chute de Tripoli.
Pourtant, le gouvernement intérimaire pèche par un fonctionnement pour le moins opaque. Sur les 31 membres qui forment son comité exécutif, seuls 13 sont connus de l’Occident, “pour des raisons de sécurité”, assure-t-on à Benghazi. Parmi eux, d’anciens dignitaires du régime de Tripoli, des techniciens, un grand nombre d’universitaires ainsi que des représentants de grandes familles. Afin d’éviter toute surreprésentation des populations rebelles de Benghazi, fief de la contestation, par rapport aux autres, chaque ville sous contrôle rebelle se voit octroyer cinq sièges. Un nom sort pourtant du lot. Il s’agit de l’ancien ministre de la Justice, Mustapha Abdel Jalil, celui-là même qui avait signé en 2006 l’ordre d’exécution des infirmières bulgares.
Les ex-kadhafistes favoris
Envoyé par le colonel à Benghazi en février pour négocier avec les rebelles, Mustapha Abdel Jalil décide, à la surprise générale, d’épouser leur cause pour devenir le chef politique de l’organisation. “Abdel Jalil est apprécié des Libyens en tant qu’ancien ministre compétent pouvant servir de lien entre le passé et le présent”, note Antoine Vitkine, documentariste auteur de Kadhafi, notre meilleur ennemi (France 5, 2011). “Mais il est surtout considéré comme très pieux, un atout considérable en Libye.” Mais si le CNT a obtenu la reconnaissance et l’aide sans faille de la coalition, il le doit avant tout au travail d’un homme, Mahmoud Jibril, véritable tête pensante de la rébellion.
Ex-chef du Conseil national pour le développement économique du régime de Kadhafi, le numéro deux du CNT a été le grand artisan de la restructuration économique du pays avant sa démission en 2010. Technocrate libéral et pragmatique, il cumule aujourd’hui les postes officieux de ministre des Affaires étrangères et de chef des Affaires militaires. Ancien professeur d’économie à Pittsburgh, Mahmoud Jibril entretient des relations privilégiées avec les États-Unis. “Il se distingue surtout des autres en étant le moins proche de Kadhafi”, insiste Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen et auteur du Manifeste des Arabes (Éditions encre d’Orient). Un autre ancien membre du régime bénéficie d’une grande popularité dans le pays. Ex-bras droit du Guide libyen, puis assigné à résidence depuis plusieurs années, Abdessalem Jalloud vient ainsi de rejoindre le CNT.
Risque islamiste
L’avenir politique du pays s’appuie aussi sur la “déclaration constitutionnelle” du CNT présentée le 16 août. Ce document prévoit la remise du pouvoir à une assemblée élue dans un délai de huit mois maximum ainsi que l’adoption d’une nouvelle Constitution. Un pari. Un défi. Les insurgés sur le terrain pourraient chercher plus de légitimité.
Déjà, après la mort toujours inexpliquée du général Younès, ancien chef de l’armée rebelle, la prise de Tripoli a été attribuée à son grand rival Abdelhakim Belhadj, islamiste repenti. “S’il n’est pas tué, il est clair que Belhadj va jouer un rôle important dans la Libye de demain”, analyse Mathieu Guidère, spécialiste d’al-Qaida au Maghreb islamique et auteur du Choc des révolutions arabes (Éditions Autrement). “Le concept de laïcité n’existe pas dans le pays et la charia y est déjà appliquée. Mais s’il est déjà très rigoriste, le pays n’en deviendra pas pour autant intégriste.” D’autant que, comme le souligne Hasni Abidi, “la place de l’islam n’est pour l’instant pas du tout évoquée au sein du CNT et des divergences risquent de surgir au moment de la rédaction de la Constitution”. En attendant, le premier objectif des rebelles reste l’arrestation de Muammar Kadhafi.
Le Point.fr – Publié le 26/08/2011 à 17:41