La Françafrique est enfin bel et bien enterrée

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Le rejet de la France par son pré carré africain devient assourdissant. Il s’inscrit dans une dynamique plus large: la prise de distance de l’Afrique vis-à-vis de l’Occident qui est en réalité une diversification légitime de ses partenariats économiques. « L’histoire de la libération est derrière nous ; l’histoire de la liberté commence », Marcel Gauchet

Une chronique de Yassine Jamali, agriculteur et vétérinaire au Maroc, ancien expat chez Vétérinaires Sans Frontières au Mali ( 1993/1994) .

Chaque président français depuis François Mitterrand a annoncé rituellement la fin de la Françafrique, signifiant par là-même que la précédente annonce était nulle et non avenue. Bon an mal an cette relation faite d’intérêts économiques, de jeux de pouvoir allant de la protection de dirigeants africains à leur déstabilisation, s’est perpétuée sans vraiment évoluer, animée par des hommes d’influence, appuyée sur un réseau de bases militaires, abritant des intérêts économiques complexes.

Le mouvement de fond qui agite plusieurs pays de la Françafrique donne la mesure de l’écart qui s’est développé entre cette relation quasi-institutionnelle d’une part, la jeunesse et une partie des élites subsahariennes d’autre part. La colonisation a laissé des traces au mieux ambiguës dans la mémoire des peuples anciennement colonisés. L’éducation et l’information ont éveillé les consciences à la réalité des échanges post coloniaux inégaux, matières premières contre produits manufacturés, monopoles de l’ancienne métropole sur les ressources des ex colonies, dumpings divers et variés…

La pandémie de covid19 a fait tomber de son piédestal le système de santé de la France, et la gestion chaotique par les autorités a largement porté atteinte à l’image de l’ex puissance coloniale. Cette faillite dans l’épreuve est dans une certaine mesure comparable au spectacle de l’armée française balayée par la Wehrmacht en juin 1940, sous les yeux des troupes coloniales.L’échec relatif de l’opération Barkhane, a semé le doute quant aux capacités militaires de la France.

Le double standard de Joseph Borrel
C’est dans ce contexte d’effritement du prestige français et occidental que la guerre en Ukraine est venue agrandir la faille, quand la France et avec elle l’Occident ont cru possible de dicter encore une fois à ces états-clients ou supposés tel leur positionnement géopolitique, les poussant ainsi à un désaveu quasi-unanime. A l’occasion de ce conflit et des déplacements de population qu’il a causés, » Une inégalité insupportable dans l’accueil des réfugiés » (1) a été relevée. Le jardin de Josep Borrell s’ouvrait aux réfugiés ukrainiens mais filtrait les étudiants africains et indiens qui essayaient de fuir des pays devenus aussi périlleux que la jungle mentionnée par le vice-président de la Commission Européenne.

Ces rappels de l’inégalité ordinaire entre occidentaux et non occidentaux ont tout particulièrement résonné dans une Afrique parsemée de conflits ignorés, dont certains ont été attisés par le renversement ( impuni ) du régime libyen.

Enfin, les rumeurs de dédollarisation, des projets tels que les nouvelles routes de la soie offrent aux pays africains des alternatives au tête-à-tête Afrique- monde occidental. L’accord entre la Tanzanie et l’Inde pour une utilisation de leurs monnaies respectives et « …désormais applicable à 18 pays, dont le Kenya, l’Ouganda, le Botswana, Maurice et les Seychelles… »(2) pourrait inspirer certains pays de la zone CFA.

Le Franc CFA, un boulet
Le franc CFA, franc des Colonies Françaises d’Afrique, né le jour des accords de Bretton Woods, devenu franc de la Communauté Financière en Afrique et franc de la Coopération Financière d’Afrique est un symbole et un outil puissant de la Françafrique.

Garant de la stabilité monétaire pour les uns, instrument de domination pour les autres, sa continuité marque une décolonisation inachevée. Quels que soient ses mérites ou ses tares, la tutelle qu’il incarne représente une atteinte à la souveraineté des pays qui le choisissent ou le subissent. De petits séismes, en Centrafrique, au Mali, au Burkina, sont venus jalonner une discrète tectonique des plaques géopolitiques.

Côté français, seule a été évoquée la rivalité franco-russe, unique explication résumée par » C’est la faute à Wagner » pour le Mali et la Centrafrique.

Par contre l’entrée du Togo et du Gabon dans le Commonwealth en juin 2022, » ouvrant ainsi de nouveaux horizons en dehors de la sphère d’influence de la France en Afrique occidentale. »(4) est passée relativement inaperçue et n’a fait l’objet d’aucun commentaire officiel ou campagne de presse.

Les chiffres du commerce entre la France et l’Afrique semblent indiquer que le pré carré n’existe déjà plus, au moins sur le plan commercial. En 20 ans la Chine et l’Inde ont respectivement quintuplé et triplé leurs parts de marché en Afrique pendant que celles de la France étaient divisées par deux ( Challenges).

En ce qui concerne le fameux pré carré, la zone franc ne représente que « …12,5 % de l’ensemble des échanges pratiqués par la France en Afrique ». (4)
Peut-on encore parler de Françafrique, alors que » Le poids de la zone franc dans le commerce extérieur français est tombé à seulement 1,0% en 2006 ? » (5) Les intérêts économiques n’expliquent donc pas ou plus l’acharnement de la France à perdurer à tout prix dans ses anciennes colonies.

Reste l’aspect géopolitique, et la nostalgie de l’empire colonial, singularité française qui ne se retrouve ni dans le Commonwealth ni dans la relation entre l’Espagne et l’Amérique Latine. Peut-être la France ne tient-elle à l’Afrique que par son armée et quelques entreprises du CAC 40.

Peut-être ne s’agit il que de symboles et du fait que « L’Afrique a ainsi longtemps donné à la diplomatie et à l’armée française l’espace sans lequel elles auraient été condamnées à l’impuissance ».(6)

Les États ont des intérêts
Une relation nouvelle devrait s’inspirer de celles qu’entretient la France avec ses partenaires africains hors zone-franc, Nigeria, Angola, Afrique du Sud …Les pays de la zone franc, comme le reste de l’Afrique, du Nord au Sud, veulent exercer leur souveraineté politique, économique, monétaire. Ils réclament en somme ce que revendiquait Charles de Gaulle pour la France à savoir que « …notre ligne de conduite, c’est celle qui sauvegarde nos intérêts et qui tient compte des réalités « (8)

Peu après la Première Guerre Mondiale, l’empire Ottoman fut officiellement démantelé. Le renoncement de Mustapha Kemal n’était pas motivé par le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes mais par la reconnaissance de l’impossibilité de maintenir le statu quo; une vision réaliste de l’intérêt supérieur de la nation dont il avait la charge.

C’est sans doute un réalisme semblable qui pourrait présider à un changement de cap, à un enterrement définitif de la Françafrique, et dédramatiser l’inéluctable.

Il s’agit moins d’une rupture que d’une transition vers une relation basée sur le » doux commerce « de Montesquieu, le rayonnement culturel, des partenariats scientifiques. L’outil de la France au lieu des bases militaires, serait « … une francophonie basée sur des échanges culturels, scientifiques et commerciaux égalitaires. »(9)

La francophonie est une réalité indéniable. Cette langue en partage est un atout économique puissant au potentiel immense aussi bien en Afrique francophone que sur d’autres continents .

La réindustrialisation de la France pourrait s’appuyer sur l’Afrique de l’Ouest, à l’image des joint-ventures de Dacia et Stellantis , en développant des produits suffisamment adaptés au marché africain pour concurrencer le Made in China.

Prendre acte de la disparition presque consommée de la Françafrique ne signifie donc pas un retrait de la France du continent africain. Au contraire, le soin apporté au règlement des dossiers en cours, franc CFA , bases militaires, dette, coopération … serait la meilleure garantie d’une relation nouvelle substituant le soft power au hard power.

(1)( Claire Rodier Libération.fr du 15/11/2022)

(2)Chinedu Okafor Le dollar n’est plus pertinent dans les échanges entre l’Inde et la Tanzanie Business insider Africa, 19/03/2023

(3) BBC News 24/06/2022

(4) Les Echos Loup Viallet 23 févr. 2021

(5) La politique économique de la France en Afrique. La fin des rentes coloniales? Philippe Hugon dans Politique Africaine 2007/1 (N⁰ 105), pages 54 à 69

(6) Hugon id

(7) Charles de Gaulle Conference de presse du 05/09/1961.

(8) Jean-Luc Mélenchon, propos recueillis par Laurence (9) Caramel, Le Monde 13/04/17.

(9) Florence Brillouin. La francophonie un levier économique méconnu. Forbes.fr 22 février 2022

 

SOurce: https://mondafrique.com/

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5 COMMENTAIRES

  1. Bizarre de voir ces commentaires
    Il est juste vrai que l’occident s’en branle du Sahel, alors que dans le même temps les papers sahéliens ne parlent que de la France
    Vos 3 pays juntistes n’existent pas dans les agendas occidentaux, il faut se rendre à cette évidence

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