La Corée du Sud envisage de construire des armes nucléaires

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Alors que la Corée du Nord continue de moderniser son arsenal et que Washington tergiverse sur le terrain de la diplomatie, à Séoul, certains accentuent la pression.

Les armes nucléaires nord-coréennes ne sont plus le seul casse-tête nucléaire dans la péninsule coréenne.

À Séoul, menés par l’administration conservatrice de Yoon Suk-yeol, les appels à l’armement nucléaire de la Corée du Sud se font de plus en plus pressants. Le 11 janvier, Yoon a déclaré que si la situation nucléaire de la Corée du Nord s’aggravait, « nous pourrions être amenés à déployer un armement nucléaire tactique ici, en République de Corée, ou à posséder nos propres armes nucléaires, ajoutant que, nous aussi, nous pouvons développer rapidement notre propre armement avec notre propre technologie. »

Les principaux membres du parti de Yoon ont été encore plus virulents. Le maire de Séoul, Oh Se-hoon, qui figure sur la liste des prétendants à la présidence du Parti du pouvoir populaire majoritaire, a déclaré que la Corée du Sud avait besoin d’un « parapluie nucléaire actif » ou de ses propres armes nucléaires, affirmant qu’un « parapluie nucléaire passif » dépendant entièrement du bon vouloir des États-Unis était inadapté.

Dans le même temps, Hong Joon-pyo, maire de Daegu et ancien candidat à la présidence, a critiqué les États-Unis pour avoir persisté dans leur volonté de dénucléariser la péninsule coréenne (ce qui suppose que les deux Corée soient nucléairement désarmées), déclarant que Washington était « pathétique » de vouloir s’accrocher à un « projet vieux de 30 ans devenu irréalisable depuis longtemps ».

Si la Corée du Sud était dotée de l’arme nucléaire, les conséquences en seraient multiples et particulièrement graves. Conjuguée au caractère belliciste de l’administration Yoon, cela augmente la probabilité d’un conflit atomique entre les deux Corée. Fin décembre, la Corée du Nord a créé un véritable état de choc à Séoul en envoyant cinq drones de l’autre côté de la zone démilitarisée, et l’un d’entre eux est même entré dans la zone d’exclusion aérienne au-dessus du bureau du président sud-coréen. En réponse à l’incursion du drone, Yoon a déclaré qu’il était « prêt à étendre la guerre » et a indiqué que la Corée du Sud pourrait abroger l’accord militaire clé du 19 septembre, qui remonte à 2018 et qui a contribué à désamorcer les tensions d’ordre militaire qui étaient en pleine escalade.

Dans le cadre de cet accord, les deux Corée ont cherché à éviter toute possibilité de conflit accidentel en désarmant conjointement les soldats dans la zone de sécurité commune, en diminuant la présence militaire le long de la zone démilitarisée et en s’abstenant de mener des exercices près de la Ligne de démarcation militaire. En l’absence de l’accord du 19 septembre, les deux Corée risqueraient à nouveau de s’approcher de la ligne de conflit – au sens propre comme au sens figuré – et un éventuel incident violent, même involontaire, pourrait se transformer en spirale incontrôlable.

Armer nucléairement la Corée du Sud bouleverserait également le cadre actuel de non-prolifération nucléaire, qui a progressivement éliminé les armes nucléaires du monde au cours des dernières décennies. De nombreuses nations d’Asie de l’Est sont dans une situation comparable à celle de la Corée du Sud : elles sont technologiquement capables de développer une arme nucléaire, mais s’abstiennent de le faire malgré une menace géopolitique importante en raison de la garantie de sécurité offerte par les États-Unis. Si Séoul décide de passer outre et de développer des armes nucléaires, cette décision pourrait bien encourager le Japon ou Taïwan à se doter également de ce type d’armement.

Pour ne pas avoir à en arriver là, les États-Unis pourraient être contraints d’imposer des sanctions à la Corée du Sud pour avoir violé le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) – dont la Corée du Sud est signataire – à l’instar des sanctions prises par l’administration Clinton à l’encontre de l’Inde à la fin des années 1990. Cela signifierait probablement la fin de l’alliance entre les États-Unis et la Corée du Sud, ce qui entraînerait forcément un remaniement radical des intérêts américains dans la région.

Il est irréfléchi et imprudent de la part de Yoon Suk-yeol et des conservateurs sud-coréens de prôner un recours à l’armement nucléaire, tout en ignorant avec désinvolture les engagements de Séoul au titre du TNP. Mais Washington n’est pas sans reproche pour avoir laissé la situation aller aussi loin. La demande sud coréenne d’armement nucléaire est une conséquence logique de l’inaction des Etats-Unis face au programme nucléaire de la Corée du Nord. En ce qui concerne cette dernière, l’administration Biden a opté pour la « patience stratégique » – à ce stade, ce n’est guère plus qu’un euphémisme pour dire désintérêt – parce qu’elle n’a pas envie de reproduire la tentative tapageuse mais finalement vaine de Donald Trump de nouer le dialogue avec Pyongyang.

D’un autre côté, toutefois, les faucons de la Corée du Nord n’ont pas grand-chose à dire non plus. Leur raisonnement de départ consistant à dire que quelques sanctions supplémentaires conduiraient à l’effondrement de la Corée du Nord a été sérieusement mis à mal lorsque Pyongyang a réussi à survivre à l’embargo total qu’il s’est imposé pendant des années pour empêcher la propagation de la Covid-19.

Des analystes de pointe, tels Ankit Panda du Carnegie Endowment, Jeffrey Lewis du Middlebury Institute et Frank Aum de l’United States Institute of Peace, sont parvenus à la conclusion logique suivante : il est indéniable que la Corée du Nord est un État nucléaire et la dénucléarisation, si toutefois elle devait avoir lieu, ne pourra se faire que progressivement, par le biais de longues années de travail.

Mais le gouvernement américain, tout comme la majeure partie de la communauté des décideurs politiques en charge de la Corée à Washington, sont peu enclins à tenir compte de ces conseils. Plutôt que de faire face à la réalité, les États-Unis restent sur la touche alors que Pyongyang développe des armes nucléaires et des missiles de plus en plus sophistiqués. Face à une telle inaction, il ne faut pas s’étonner que Séoul réagisse en remettant en question la volonté américaine de garantir la sécurité et en menaçant de remettre en cause la non-prolifération nucléaire.

Il n’est pas nécessaire que les États-Unis interviennent dans tous les coins du monde. Mais non-interventionnisme ne signifie pas non plus abdication de la diplomatie, surtout lorsqu’il s’agit d’une question aussi importante que les armes nucléaires. Les États-Unis doivent prendre les devants dans la péninsule coréenne, en adoptant un plan ambitieux et réaliste destiné à freiner le programme de développement des armes nucléaires de la Corée du Nord tout en mettant un terme définitif aux tentatives d’armement nucléaire sud-coréennes en soulignant l’importance de l’alliance entre les États-Unis et la Corée du Sud.

Si Washington se montre aujourd’hui défaillant, la prochaine discussion que Washington aura concernant les deux Corée pourrait bien être de savoir si les États-Unis doivent livrer une guerre nucléaire.

Source : Responsible Statecraft – S. Nathan Park – 23-01-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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