La chute annoncée de Kadhafi ne réjouit pas tous les Africains

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Un portrait de Mouammar Kadhafi est brûlé par des manifestants opposés à son régime, le 22 août 2011 à Tripoli, alors que les rebelles du CNT ont pénétré dans la capitale libyenne. REUTERS

RFI – La nouvelle de l’arrivée des rebelles dans Tripoli, depuis ce lundi 22 août 2011, et les évènements qui s’en sont suivis, ont provoqué de nombreuses réactions des internautes africains. Sur les sites d’informations, dont RFI, et les réseaux sociaux, si certains se réjouissent de la chute du Guide, d’autres, nombreux, sont beaucoup plus inquiets ou critiques. Le Guide libyen est ainsi parfois décrit comme un bienfaiteur de son pays, inspirant plus confiance qu’un Conseil national de transition (CNT) hétéroclite et dont les projets pour l’avenir de la Libye sont jugés vagues. Alors que certains voient dans l’intervention de l’Otan une nouvelle forme de colonialisme, contre lequel le Guide était un rempart.

Il y a d’abord ceux qui restent des inconditionnels du leader libyen. Ainsi, sur la page Facebook de RFI, Roland écrit que les Africains voient en Kadhafi « un héros, un exemple à toujours imiter ». Un autre internaute compare le leader libyen à un « prophète africain » qu’il range aux côtés de Lumumba, Sankara ou encore Gbagbo. C’est bien le combat panafricain que Kadhafi disait mener qui semble séduire nombre de ses défenseurs.

Sur le site de France 24, un internaute africain voit en lui « un libérateur », instigateur du projet des «Etats-Unis d’Afrique », alors qu’Ibrahim est « certain que [ses] frères libyens regretteront cet homme qui a toujours mené son combat pour une souveraineté de son pays et même de l’Afrique ». Sur une page de soutien à Kadhafi sur Facebook un internaute estime qu’il est la cible de l’Occident uniquement à cause de « sa loyauté et de son amour à l’oumma musulmane ».

Les responsables du CNT, « des lâches »

D’autres internautes, sans faire d’éloges sur Kadhafi, se demandent s’il n’était pas un moindre mal, notamment face à l’inconnu politique que représente la probable prise du pouvoir par le CNT. Sur Jeune Afrique.com, un internaute se présentant sous le pseudonyme de « MZE » juge que « les responsables du CNT sont des lâches, car ils ont gouverné 30 ans durant avec Kadhafi sans se battre à l’intérieur du pays pour changer les choses ». « Rebelle et légitime, est-ce que vraiment ça rime ? », s’interroge un autre internaute de RFI.fr.

Sur la page Facebook de RFI, d’autre internautes s’inquiètent de la capacité des futurs dirigeants libyens à gérer l’économie du pays, alors que Mouammar Kadhafi avait su, selon eux, développer de manière efficace la Libye. « Loin de moi l’idée de dire que Kadhafi est un saint (… )» mais, « en 42 années de règne il a fait passer la Libye d’un des pays les pauvres au monde à un statut de pays le plus développé d’Afrique et du monde Arabe », note Dahi. Philippe craint, lui, qu’après le départ de Kadhafi, la Libye sombre dans « le néant » et que les Libyens « deviennent les plus pauvres du Maghreb ».

Certains jugent même que les rebelles seraient en réalité des islamistes dangereux. Sur le site de France 24, un internaute met en garde contre « l’application intégrale de la charia par le CNT », un autre se dit persuadé qu’ « une vaste majorité des “rebelles” sont en fait d’al-Qaïda ».

L’Occident ne cherche que le pétrole

« Des lâches larbins à la solde de l’impérialisme occidental s’obstinent à renverser le leader nationaliste africain! », s’exclame « Boundi » sur le site nigérien Tamtam Info, se disant « dégoûté par la tournure que prennent les évènements en Libye ». A son instar, plusieurs internautes africains, sans forcément témoigner leur sympathie envers Kadhafi, se révoltent contre « l’intervention impérialiste» de l’Otan aux côtés des rebelles. Ils y voient une « nouvelle forme de colonialisme », et jugent, comme « Le Conseiller nigérien », toujours sur Tamtam Info, que « le seul objectif de la guerre en Libye, c’est la prise du contrôle du pétrole libyen par les pays occidentaux, avec la France en tête ». « Les occidentaux ne cherchent que le pétrole : où était l’Otan lorsque toute la Guinée s’était levée en 2007 et en 2009 ?», demande pour sa part Mohamed sur notre site.

La dimension « impérialiste » de l’intervetion militaire de l’Otan est également décriée sur la page Facebook de RFI, Jacques se demande « qui est le plus tyran entre Kadhafi et la communauté internationale vis à vis de l’Afrique ». Sur RFI.fr, Rodrigue, qui vit au Maroc, qualifie« ce qui se passe en Libye plutôt de Révolution occidentale » que de révolution arabe.

Des médias manipulés

Enfin, le traitement médiatique de la guerre en Libye, et notamment de la bataille de Tripoli, suscite des commentaires rageurs de beaucoup d’internautes d’Afrique. C’est notamment l’annonce, dans un premier temps, lundi 22 août, de l’arrestation du fils de Mouammar Kadhafi, Seif al-Islam, avant que celui-ci n’apparaisse quelques heures plus tard triomphant au milieu de partisans du régime, qui agace. Plusieurs internautes mettent en garde des médias africains, comme Le Pays : « je me suis fais une certaine idée de la presse : ce n’est qu’une caisse de résonnance d’une certaine idée de mode », commente ainsi un lecteur du site du journal burkinabè.

France 24 et RFI sont également critiquées. Les internautes estiment qu’ils n’écouteront plus nos ondes si nous diffusons des informations « erronées ». Pour un internaute de Kinshasa, RFI est « Radio France Benghazi » et « s’inscrit dans la propagande de guerre » des rebelles.

Notre rédaction serait « manipulée » et diffuserait des informations « orientées » favorables à l’Otan et aux rebelles du CNT. Précisons ici que RFI, tout comme RFI.fr, n’a fait que rapporter une annonce du CNT, affirmant qu’il détenait captif Seif al-Islam Kadhafi, et avait entamé des contacts avec la Cour pénale internationale pour son transfèrement. L’arrestation avait même été annoncée par le procureur de la CPI lui-même.

Reste désormais à voir comment évolueront les opinions africaines une fois la bataille de Tripoli terminée, et surtout, comment les Libyens jugeront leurs nouvelles autorités après 42 ans de dictature.

Par Corentin Bainier / RFI – 23/08/2011

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