À quatre jours des élections générales, le président Touadéra a beau tenter de rassurer sur la tenue du vote, sur le terrain, les sources d’inquiétudes sont réelles. En effet, des attaques ont repris dès mardi avec la prise de la quatrième ville du pays par des rebelles, les équipes de campagne sont braquées, les candidats agressés, l’un des postulants à la présidentielle a même retiré sa candidature, et Moscou a dépêché 300 « instructeurs militaires » pour aider le gouvernement qui dénonce une tentative de coup d’État.
Les groupes armés maintiennent la pression
Après une journée d’accalmie lundi, les groupes armés ont continué de faire pression sur le pays, et ils n’entendent pas desserrer l’étau avant les élections. Certes, ils n’ont pas beaucoup avancé, mais la quatrième ville de Centrafrique, Bambari, à quelque 380 km au nord-est de la capitale Bangui, est tombée mardi aux mains de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), un des nombreux groupes armés qui se partagent plus des deux tiers de la Centrafrique. Dans l’ouest du pays, trois autres de ces groupes, qui ont fait alliance et forment à présent une coalition, s’en sont pris à des axes routiers vitaux pour l’approvisionnement de la capitale.
Des combats se sont déroulés mardi dans les deux zones. Bambari a été prise sans « violence contre les habitants mais les rebelles ont pillé le commissariat, la gendarmerie et les maisons des particuliers », a déclaré à l’AFP Abel Matchipata, maire de Bambari. L’attaque a donné lieu à deux heures d’échanges de tirs avec l’armée et des Casques bleus de la Mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca), ont précisé de hauts responsables d’ONG et de l’ONU.
De l’autre côté de la capitale, des combats ont repris sur la route nationale 1, l’axe vital qui relie Bangui au Cameroun. La ville de Boali, située sur cette route à environ 60 kilomètres de Bangui, était calme mardi matin, selon un journaliste de l’AFP. Vers 13 heures, un convoi de camions commerciaux en provenance de Bangui, qui se dirigeait vers le Cameroun, a été dissuadé d’aller plus loin par des éléments des forces armées centrafricaines. Des combats avaient éclaté, à quelques dizaines de kilomètres.
La population a pris peur. Femmes et enfants de la ville se sont réfugiés à 6 km de la ville, dans des campements en brousse, ont raconté à l’AFP des hommes restés dans la ville. Quelques heures plus tard, plusieurs pick-up arrivaient à l’hôpital communautaire de Bangui avec leur plateau arrière rempli de blessés, ont rapporté des journalistes de l’AFP. Certains pouvaient marcher. D’autres étaient portés jusqu’aux portes de l’établissement.
Il est difficile pour l’heure d’établir le bilan des pertes en vies humaines. Entre 2013 et 2016, les groupes armés envisageaient de faire de Bambari leur capitale régionale, dans la perspective d’une partition de la Centrafrique. En février 2017, les autorités centrafricaines avaient pris des mesures pour faire de Bambari une ville pilote sans groupe armé, et les rebelles ont dû la quitter sous pression de l’armée et des forces des Nations unies.
Une présence militaire russe qui s’affirme
C’est dans ce contexte que la Russie a annoncé dans l’après-midi avoir envoyé « 300 instructeurs militaires supplémentaires » en Centrafrique. Officiellement, pour aider Bangui à renforcer les capacités défensives de la Centrafrique, la Russie a répondu rapidement à la demande du gouvernement (centrafricain) et envoyé « 300 instructeurs supplémentaires pour la formation de l’armée nationale », a indiqué le ministère russe des Affaires étrangères, dans un communiqué.
La veille, Moscou avait soutenu qu’elle n’avait pas envoyé de troupes sur place, allant à l’encontre d’une annonce du gouvernement centrafricain faisant état de l’envoi de « plusieurs centaines » de soldats russes et d’équipements lourds dans le cadre d’un accord de coopération bilatérale. Un haut diplomate russe, Mikhail Bogdanov, avait précisé que la Russie avait « naturellement des gens là-bas, en vertu de nos accords avec le gouvernement centrafricain, de nos accords sur la formation de cadres et le travail de nos instructeurs ».
Dans ce pays de 4,9 millions d’habitants classé parmi les plus pauvres du monde mais riche en diamant, des gardes privés employés par des sociétés russes de sécurité assurent déjà la protection rapprochée du président Faustin Archange Touadéra et des instructeurs forment les forces armées centrafricaines. Samedi, le gouvernement avait accusé l’ex-président François Bozizé, dont la candidature à la présidentielle a été invalidée, de « tentative de coup d’État ».
Mais les élections continuent de se préparer dans le pays avec pour favori le président sortant. Celui-ci a maintenu lundi lors d’une conférence de presse qu’elles auraient bien lieu dimanche, comme prévu. Il a également exclu de négocier avec les rebelles. « Négocier comment, sous quelle forme ? Vous voyez bien qu’il y a des attaques, on n’a pas le temps de négocier, on ne sait pas avec qui négocier », a-t-il affirmé.
Et la CPI ?
La crise centrafricaine inquiète tant chez les voisins directs du pays qu’à l’innternational. La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a appelé mardi au calme, affirmant que tout crime relevant de la compétence de la juridiction du tribunal serait poursuivi. L’appel de la procureure Fatou Bensouda intervient alors que les Forces de maintien de la paix des Nations unies ont été déployées la semaine dernière dans ce pays d’Afrique centrale en proie à des troubles. « J’appelle, entre autres, toutes les parties, tous les groupes armés, les acteurs politiques et leurs partisans au calme et à la retenue », a déclaré la procureure de la CPI, basée à La Haye (Pays-Bas). « La tenue d’élections dans un climat apaisé est essentielle en République centrafricaine pour prévenir l’émergence d’une spirale de la violence », a ajouté Fatou Bensouda dans un communiqué.
Le puissant groupe armé 3R, le Mouvement patriotique pour l’Afrique centrale (MPC) et les milices anti-balaka ont lancé une offensive, entraînant le déploiement de troupes de l’ONU en Centrafrique (Minusca) vendredi. Les milices ont accusé le président centrafricain Faustin Archange Touadéra de chercher à truquer les élections et ont mis en garde contre une réaction violente. « Quiconque commet des crimes visés au Statut de Rome, ordonne leur commission, y incite, l’encourage et y contribue, de quelque manière que ce soit, est passible de poursuites devant les tribunaux centrafricains ou la Cour pénale internationale », a prévenu la procureure.
Le bureau de la procureure a ouvert deux enquêtes distinctes concernant la République centrafricaine. La dernière enquête a été lancée après que le pays a sombré en 2013 dans un conflit à caractère sectaire, à la suite de la destitution de l’ancien dirigeant François Bozizé. Le conflit avait opposé la Séléka, une coalition rebelle issue en grande partie de la majorité musulmane, à la contre-insurrection de milices anti-balaka essentiellement chrétiennes et animistes.
En novembre 2018, l’ancien chef anti-balaka Alfred Yekatom, accusé de crimes contre l’humanité, a été remis à la CPI. Il a été rejoint en janvier 2019 par Patrice-Édouard Ngaïssona, considéré par la Cour pénale internationale comme l’un des plus hauts dirigeants des anti-balaka. Les deux hommes sont actuellement jugés à la CPI.
Mais pour les experts et diplomates, c’est surtout après l’annonce des résultats, début janvier, que les tensions pourraient sérieusement dégénérer.
Le Point Afrique (avec AFP)