Le 11 janvier 2002, soit très exactement quatre mois après les attentats du 11-Septembre, les Etats-Unis ouvraient sur leur base militaire de Guantanamo, à la pointe de l’île de Cuba, un centre de rétention. En 10 ans de guerre contre le terrorisme, ce centre est devenu le symbole de toutes les privations de libertés.
En octobre 2001, Saber Lahmar vivait en Bosnie. Il y Ă©tait professeur de langue arabe dans un centre islamique saoudien de Sarajevo. Sa femme bosniaque attendait leur deuxième enfant. Un matin, la police bosniaque frappe chez lui et fouille de fond en comble, sa maison, sa voiture, son bureau. EmmenĂ© au poste, les policiers lui demandent s’il connaĂ®t Oussama Ben Laden. « Oui, rĂ©pond t-il, comme tout le monde, Ă la tĂ©lĂ©vision ». Est-ce cette rĂ©ponse qui lui vaut l’acharnement qui s’est abattu sur lui ou bien la police a-t-elle d’autres informations sur lui ? Dix ans après, il n’a toujours pas la rĂ©ponse Ă cette question. Après plusieurs heures passĂ©es en garde Ă vue, le dossier d’accusation Ă©tant vide, il est remis en libertĂ©. Alors que les gardes lui rendent ses affaires, l’un d’entre eux lui demande s’il sait oĂą il va. Saber Lahmar rĂ©pond qu’il rentre chez lui, mais le policier tente de l’alerter : « Non, tu pars Ă Guantanamo ».
« Une vie de chien c’est mieux que Guantanamo »
Le nom de Guantanamo n’évoque rien Ă Saber qui sort confiant de la prison. De l’autre cĂ´tĂ© de la porte, des soldats amĂ©ricains l’attendent avec cagoule et menottes et l’embarquent immĂ©diatement. PrivĂ© de tout repère de temps, il pense avoir passĂ© trois jours sans savoir oĂą il Ă©tait et oĂą il allait. Quand il a revu le jour, c’Ă©tait donc Ă Guantanamo. « Le premier jour Ă Guantanamo, c’était un autre monde, se souvient Saber au milieu de longs silences, c’était une autre vie, un autre monde. La torture, les chiens, tout le monde criait, pleurait, il y avait du sang, les gens Ă©taient comme des moutons, la vie d’un chien est meilleure ». Il est accusĂ© de tentative d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis Ă Sarajevo mais il n’est interrogĂ© que sur son nom, sa famille, son arrivĂ©e en Bosnie… Très vite il apparaĂ®t que le dossier d’accusation est vide, mais Saber Lahmar n’a Ă©tĂ© innocentĂ© que 7 ans plus tard par un tribunal civil amĂ©ricain, au cours d’un procès auquel il n’a pas assistĂ©. Il n’en a vu qu’une vidĂ©o. Pourtant il a dĂ» encore passer 8 mois enchaĂ®nĂ© en combinaison orange, le temps que les Etats-Unis lui trouvent une destination d’accueil. Il refuse de retourner en Bosnie et en AlgĂ©rie oĂą il craint de repartir en prison. Ă€ la suite d’une visite des services consulaires français et après avoir reçu toutes les assurances qu’il obtiendrait toutes les facilitĂ©s pour vivre et travailler en France, il accepte de s’installer Ă Bordeaux. Pourtant aujourd’hui il n’a ni passeport algĂ©rien, ni papiers français, il ne peut donc pas travailler, n’a pas de revenus et ne peut pas passer les frontières et aller voir sa femme et ses enfants en Bosnie. « J’ai tout perdu, je n’ai plus rien » dit-il, le regard impassible. Saber Lahmar espĂ©rait une indemnisation de la part des Etats-Unis mais l’affaire n’est pas simple. « Les Etats-Unis disent qu’ils ont tournĂ© la page. Donc je ne vois pas comment ils accepteraient aujourd’hui d’indemniser quelque chose et de reconnaĂ®tre leur responsabilitĂ©. On vous opposera toujours le secret dĂ©fense et les lois d’exception par rapport Ă ce qu’ils ont appelĂ© la “war on terror” », explique Christian Blazy l’avocat de Saber Lahmar.
171 personnes toujours détenues à Guantanamo
Dans son malheur, Saber Lahmar a eu la chance d’avoir Ă©tĂ© parmi les premiers Ă ĂŞtre libĂ©rĂ©s et d’avoir eu un pays qui accepte de l’accueillir. Aujourd’hui, ils ne sont plus très nombreux Ă accepter de recevoir les ex-dĂ©tenus. Au dĂ©but du mois de dĂ©cembre dernier, il restait 171 hommes dans les geĂ´les de Guantanamo dont plus de la moitiĂ© pourraient ĂŞtre dehors depuis longtemps. Leur dossier est vide, des commissions militaires ou des tribunaux civils ont estimĂ© qu’ils pouvaient ĂŞtre relâchĂ©s, comme Saber Lahmar, mais ils sont toujours Ă Guantanamo. Nathalie Berger est responsable de la rĂ©gion AmĂ©riques Ă Amnesty International : « Ils risquent des tortures et des mauvais traitements s’ils sont libĂ©rĂ©s dans leur propre pays. Les pays tiers, sollicitĂ©s pour accueillir des dĂ©tenus, disent “ça suffit” et le gouvernement amĂ©ricain ne veut pas les libĂ©rer sur son propre sol, alors qu’est-ce qu’on en fait ? ». La situation n’est pas plus simple pour les prisonniers soupçonnĂ©s de terrorisme et qui ne sont donc pas libĂ©rables aux yeux de l’administration amĂ©ricaine. Mais par qui doivent-ils ĂŞtre jugĂ©s? Par des tribunaux civils ou militaires? Les amĂ©ricains ne veulent pas financer une justice pour ceux qu’ils appellent des terroristes. S’ils sont condamnĂ©s, l’opinion publique amĂ©ricaine ne veut pas non plus qu’ils puissent ĂŞtre internĂ©s dans des prisons amĂ©ricaines. Il y a enfin ceux qui sont sĂ»rement coupables des actes qui leurs sont reprochĂ©s mais dont le dossier ne tiendra pas devant une cour de justice en raison de la façon dont les Ă©lĂ©ments de preuve ont Ă©tĂ© rassemblĂ©s, notamment sous la torture. Alors qu’en faire ?
Barack Obama ne sera pas le président qui fermera Guantanamo
Pendant la campagne électorale, Barack Obama avait promis de fermer Guantanamo mais devenu président, il s’est heurté à cette réalité juridique. Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International, se désespère de voir un jour la fermeture de ce centre de détention : « Non seulement Guantanamo n’est pas fermé mais il nous semble de plus en plus difficile de le fermer, du moins cette année, ne serait-ce que par la loi sur le budget de la défense nationale qui a été signée la semaine dernière par le président Obama. La loi stipule que les personnes qui sont à Guantanamo ne pourront être transférées vers les Etats-Unis, que ce soit pour être jugées ou détenues, et quant à celles qui sont libérables, les conditions se sont durcies donc on voit que l’horizon de Guantanamo est bien noir ». Amnesty International estime que 70 000 personnes ont été arrêtées par les Américains depuis le 11 septembre 2001 dans cette guerre mondiale contre le terrorisme. Ce qui fait que Guantanamo cache d’autres Guantanamo dans le monde… Il y aurait actuellement, sur la base américaine de Bagram en Afghanistan, 2100 prisonniers auxquels aucune organisation autre que le Comité International de la Croix-Rouge n’a eu accès mais le CICR est tenu par le secret.
Par Valérie Rohart
Source: rfi.fr