Nairobi (AFP) – Les autorités kényanes espéraient enfin neutraliser lundi le commando islamiste encore retranché avec des otages dans le centre commercial Westgate de Nairobi, secoué par de puissantes explosions et d’où s’échappaient d’épaisses fumées noires.
A proximité de Westgate, un journaliste de l’AFP a entendu “au moins trois explosions” et deux séries de “tirs nourris” vers midi. D’épais nuages de fumée noire s’élevaient au-dessus du toit du bâtiment et étaient toujours visibles à des kilomètres à la ronde deux heures plus tard.
Les affrontements continuaient lundi après-midi entre les forces de l’ordre et les assaillants, qui viennent de plusieurs pays différents selon l’armée kényane.
Le ministre kényan de l’Intérieur, Joseph Ole Lenku, a estimé que l’opération touchait désormais “à sa fin”. “Nous contrôlons tous les étages (du centre commercial), les terroristes ne peuvent pas s’échapper”, a-t-il assuré, précisant que deux membres du commando avaient été tués dans un assaut donné le matin.
Un membre des forces spéciales kényanes qui venait de participer aux affrontements a raconté la difficulté de l’intervention sur place, parlant d’une partie de “cache-cache” avec les islamistes dans les magasins du centre commercial, dont les alentours immédiats restaient bouclés et interdits d’accès aux journalistes.
“Ils ont brûlé des matelas”
“Ils ont brûlé des matelas pour faire diversion, ils ont essayé de s’échapper”, a déclaré le chef de l’armée kényane, le général Julius Waweru Karangi.
Le chef de la police kényane, David Kimaiyo, a de son côté affirmé que des otages avaient été libérés dans les assauts donnés lundi, sans cependant préciser combien de personnes avaient été secourues et combien restaient prises au piège.
La Croix-Rouge a entretemps révisé légèrement à la baisse son bilan, expliquant avoir comptabilisé deux fois certains décès. Selon elle, l’attaque en cours depuis maintenant plus de 48 heures à Westgate, a fait au moins 62 morts et autant de disparus, et près de 200 blessés. Le précédent bilan faisait état de 69 morts.
Au moment de l’attaque, ce centre commercial de luxe détenu en partie par des Israéliens était bondé de Kényans et d’expatriés.
Le carnage de Westgate a été revendiqué par les insurgés islamistes somaliens shebab, qui disent agir en représailles de l’intervention militaire kényane en Somalie, lancée fin 2011.
Dans une déclaration audio mise en ligne sur internet, leur porte-parole, Sheikh Ali Mohamud Rage, a menacé d’ordonner d’abattre les derniers otages, face à la “pression” exercée par les forces kényanes et leurs alliés “chrétiens” sur les assaillants cernés dans Westgate.
Selon une source sécuritaire, des agents israéliens interviennent aux côtés des forces kényanes pour tenter de secourir les personnes encore prises au piège. Dimanche en fin de journée, le président kényan Uhuru Kenyatta a aussi indiqué avoir reçu des offres d’aide de plusieurs “pays amis”, tout en assurant que l’opération restait pour l’instant une “opération kényane”.
Anxiété des proches
Plusieurs étrangers, dont deux Françaises, quatre Britanniques, un Sud-Africain, une Sud-Coréenne, une Néerlandaise, un Péruvien, deux Indiens et deux Canadiens ont été tués dans l’attaque, ainsi qu’un célèbre poète et homme d’Etat ghanéen, Kofi Awoonor.
Il s’agit de l’attentat le plus meurtrier à Nairobi depuis une attaque-suicide d’Al-Qaïda en août 1998 contre l’ambassade des Etats-Unis, qui avait fait plus de 200 morts.
Des intérêts israéliens au Kenya ont déjà été la cible d’attaques revendiquées par Al-Qaïda: en 2002, un attentat suicide contre un hôtel fréquenté par des touristes israéliens avait tué 12 Kényans et trois Israéliens près de la ville côtière de Mombasa. Presque simultanément, un avion de la compagnie israélienne El Al avec 261 passagers à bord avait échappé de peu aux tirs de deux missiles à son décollage, également à Mombasa.
Selon des témoins, les agresseurs ont “tiré dans le tas” samedi à Westgate. D’après un employé du centre commercial, Titus Alede, “ils ont dit +vous avez tué notre peuple en Somalie, c’est à votre tour de payer+”.
Lundi, Kelly Amit, un Kényan resté toute la nuit a proximité du lieu de l’attaque a dit encore espérer pour son frère retenu à l’intérieur. “La dernière fois que mon frère a appelé, c’était pour dire qu’il était dans le centre commercial”, a-t-il raconté. “Son téléphone est coupé depuis,” a-t-il ajouté, espérant qu’il était simplement à court de batterie. “J’espère encore qu’il va bien et qu’il se cache quelque part”.
Dans une capitale connue comme le “hub” de l’Afrique de l’Est, où vivent de nombreux expatriés rayonnant dans toute la région, le Westgate était régulièrement cité par les sociétés de sécurité comme une cible possible de groupes liés à Al-Qaïda comme les shebab. Ouvert en 2007, le bâtiment compte restaurants, cafés, banques, un grand supermarché et un cinéma multiplexe qui attirent des milliers de personnes chaque jour.
Washington a dit enquêter sur des informations non confirmées faisant état de la présence d’au moins trois ressortissants américains parmi les assaillants. La police kényane a affirmé étudier les informations selon lesquelles la Britannique Samantha Lewthwaite, veuve d’un des kamikazes qui s’étaient fait exploser lors des attentats du 7 juillet 2005 à Londres, serait “impliquée”.
Un responsable shebab présenté par la BBC sous le nom d'”Abou Omar” a cependant parlé de rumeurs “infondées”, affirmant que les islamistes ne “demandaient pas à leurs soeurs de mener des attaques militaires de ce type”. Il a aussi affirmé qu’aucun étranger ne figurait parmi les assaillants.
Le commando islamiste a pénétré samedi à la mi-journée dans le centre commercial, ouvrant le feu à l’arme automatique et lançant des grenades sur les clients et les employés du centre. Des heures durant, ces derniers, piégés dans le centre, ont émergé au compte-goutte du bâtiment, au fur et à mesure de la lente progression des forces de l’ordre.