Sous le coup de sanctions des Nations unies, interdit de voyager, le président du M23, Jean-Marie Runiga, reste cantonné dans le périmètre du territoire de Rutshuru, occupé par le mouvement rebelle. RFI l’a rencontré dans son fief de Bunagana, à la frontière entre la RDC et l’Ouganda.
RFI: Quel est votre sentiment sur la façon dont se déroule le dialogue de Kampala entre le M23 et le gouvernement ?
Jean-Marie Runiga : Nous pensons que le premier point qui a été traité est important – il s’agit du respect de l’accord du 23 mars 2009 avec le CNPD qui est à la base de la guerre que nous connaissons aujourd’hui – mais nous disons que les autres points sont très importants parce que le non respect des accords, comme la guerre, sont la conséquence de la mauvaise gouvernance. Nous pensons qu’il faut parler de la gouvernance, c’est le vrai problème qui se pose en RDC, ainsi que d’avoir un leadership visionnaire et responsable.
Quel est votre objectif dans cette négociation ?
La poursuite de ce dialogue à Kampala nous permet de faire connaître à tous les Congolais et à la communauté internationale pourquoi nous nous battons. Leur faire comprendre que nous n’avons pas de projet de balkanisation, qu’il ne s’agit pas d’une agression extérieure, mais qu’il y a des problèmes sérieux qui nécessitent d’être traités.
Par exemple, lorsque la Constitution dit qu’il faut avoir 26 provinces, nous avons toujours 11 provinces alors qu’il faut rapprocher l’administration de l’administré. Lorsque la Constitution dit qu’il faut retenir 40% à la source pour permettre le développement des provinces, et que tout va à Kinshasa, c’est inacceptable. Lorsque la Constitution prévoit que la Cour suprême de justice soit éclatée en trois – Conseil d’Etat, Cour de cassation, et Conseil constitutionnel – rien n’a changé.
Il en va de même des mandats des députés provinciaux et des sénateurs qui doivent être de 5 ans. Cela fait 8 ans qu’ils sont en place, c’est inacceptable. Ça pose un problème quand le gouvernement d’un pays ne respecte pas la Constitution.
Il y a aussi le problème des élections de 2011. Vous vous souvenez que la communauté internationale, notamment l’Union européenne, le centre Carter, et les Congolais eux-mêmes ont reconnu que monsieur Kabila n’avait pas gagné les élections. Il est là par la force des choses. Est-ce qu’il faut continuer comme ça avec un président qui n’a pas été élu et qui veut se maintenir sans le consensus des Congolais ? C’est inacceptable.
Il y a aussi des choses importantes en dehors des élections : les conditions de vie des Congolais ont atteint un niveau inacceptable. Nous sommes un pays à haut risque. Tous ces gens qui sont venus au chevet des Congolais, nous les rassurons que si demain nous venons au pouvoir, nous allons d’abord encourager les investissements qui existent, on ne va rien revoir parce que nous croyons à la continuité de l’Etat. Nous garantirons la sécurité juridique et judiciaire de leurs investissements, mais aussi nous allons améliorer le climat des affaires pour attirer de nouveaux investissements.
Il y a du chemin à faire ! Vous êtes considérés comme une force négative…
Le gouvernement de Kinshasa distille des mensonges disant que nous sommes un groupe de bandits ; alors que nous avons une vision, nous sommes des gens responsables. Les pays comme la France, les Etats-Unis, la Belgique, la Grande-Bretagne ne sont pas nos ennemis. Ce sont des Etats qui ont aidé notre pays. Nous comptons travailler avec eux.
Moi je dis que nous ne sommes pas une force négative, d’abord parce que nous sommes en négociation avec le gouvernement de Kinshasa. À moins que ce ne soit un gouvernement irresponsable et illégitime ? Ces négociations ont lieu en présence des observateurs internationaux. Ils n’accepteraient jamais d’être dans la même salle avec une force négative.
Alors comment vous expliquez que les Nations unies vous aient qualifié comme cela ?
C’est parce que les Nations unies ont reçu des informations par des ONG et des experts qui étaient manipulés par le gouvernement de Kinshasa. Mais nous savons qu’à un certain moment la vérité sera mise sur la place publique.
Mais à Kampala, imaginez-vous un accord où vous améliorerez les choses avec Kabila ?
Je voudrais laisser leur chance à ceux qui dialoguent là-bas. Je ne suis pas extrémiste. Si on pense que le résultat de ce dialogue pourra améliorer la gouvernance en RDC, le problème n’est pas Kabila comme individu ; c’est le système. Le système corrompu qui fait que la RDC est ce qu’elle est.
Moi, je ne m’attaque pas aux individus. Je m’attaque au système. Si les conditions sont réunies et qu’il y a un gouvernement qui peut s’attaquer aux problèmes de fond : corruption, violations massives des droits de l’homme, la question épineuse du retour des réfugiés, si l’on met fin aux groupes armés à l’Est ; je pense que tout le monde pourrait accepter de se mettre ensemble et travailler pour un nouveau Congo.
On dit de vous que vous étiez très proche de Joseph Kabila…
Oui j’ai été proche du président Kabila, en dehors de mes fonctions ecclésiastiques [Jean-Marie Runiga est évêque de l’Eglise du Réveil, Ndlr] j’ai été rapporteur de la Commission de l’Ethique et de Lutte contre la Corruption, j’ai été président du conseil d’administration du Fonds de promotion de l’industrie.
Pendant la guerre de 2008 avec le CNDP, le président m’a demandé de faciliter le dialogue, compte tenu de ma crédibilité et ma moralité. Il savait aussi que je maîtrisais les questions de l’Est. Si je me suis retiré, c’est parce que je me suis rendu compte qu’avec son système, la RDC ne changera jamais. Je pense que la misère de mon peuple a atteint un niveau insupportable.
Vous vous parlez encore ?
La dernière fois, c’était à Kampala lorsque le président Museveni nous a invités, lorsque nous avions pris Goma. On s’était entendu que le dialogue devait commencer, mais depuis il n’y a pas eu de contact. Il n’y en a pas pour le moment.
Et il n’y en aura pas ?
Je suis un homme de dialogue, je suis pour la paix. Le moment venu on va se parler mais pour le moment, il faut laisser ceux qui sont en négociation continuer entre eux.
On se souvient que le CNDP, qui était en guerre contre le président Kabila, était finalement entré dans la majorité présidentielle. Le M23 pourrait-il faire de même ?
Je suis parmi les gens qui ont travaillé durement pour ce rapprochement. J’ai travaillé pour convaincre le CNDP à entrer dans la majorité présidentielle. Tout ça, c’était pour éviter qu’il y ait la reprise à l’Est. Mais j’ai découvert que l’agenda de monsieur Kabila était tout autre. En fait, je crois que la guerre à l’Est est un business pour Kinshasa.
Quelle est votre relation avec Bosco Ntaganda ?
Bosco Ntaganda est un général des forces armées nationales FARDC. C’est le gouvernement de Kinshasa qui lui a donné le grade de général. Kabila n’a pas voulu l’arrêter quand il a été mis en cause par la justice internationale. Après, je crois qu’ils se sont brouillés. Maintenant, je crois qu’il faut demander à Kabila où est ce qu’il cache Ntaganda.
Donc il n’est pas avec le M23 ?
Non, sur le plan militaire, l’armée révolutionnaire congolaise du M23 est dirigée par le général Sultani Makenga.
Et Laurent Nkunda, quel rôle joue-t-il ?
Laurent Nkunda est toujours à Kigali. C’est un Congolais qui aime son pays. Le moment venu, nous demanderons son retour. Tous les Congolais doivent servir leur pays.
Des rumeurs disent que vous allez reprendre Goma.
Nous nous sommes retirés volontairement de Goma pour laisse une chance au dialogue, à la demande des chefs d’Etats de la région. Mais si les FARDC nous attaquent, le M23 a le droit de se défendre et repousser l’ennemi.
Que pensez-vous du projet de « force neutre » de la SADEC ?
Franchement, je trouve que les chefs d’Etats de la région devraient faire surtout pression pour que le dialogue ait lieu. Il y a déjà 17 000 hommes de la Monusco, il y a les FARDC, il y a les forces négatives FDLR, et autres groupes Mayi-Mayi qui aident les FARDC.
Ils n’ont jamais réussi à restaurer la paix et la sécurité. Le M23 n’est pas le problème ! On pense qu’en écrasant le M23, on va résoudre le problème ? Non ! Nous ne sommes pas au Mali. Au Mali, ce sont des terroristes et la France a bien fait d’intervenir. Mais dans le cas de la RDC, nous sommes un mouvement de libération, nous nous battons pour des problèmes purement congolo-congolais.
L’opposition congolaise ne veut pas vous rejoindre, d’abord parce que vous êtes considérés comme pro-rwandais…
L’opposition politique n’a jamais refusé de nous rejoindre à Kampala. L’honorable Lumbala, un opposant connu congolais est avec nous. Le reste de l’opposition politique veut entrer dans le dialogue, mais c’est Kabila qui a bloqué. Et puis, les Congolais savent que notre cause est juste, nous n’avons pas de revendications régionales, ni ethniques, ni communautaires. Ce sont des revendications nationales.
Le lien avec le Rwanda, c’est une légende ?
C’est de la manipulation, de l’intoxication. Le gouvernement congolais a des drogues qu’il inocule à la communauté internationale. La première s’appelle balkanisation, la seconde s’appelle agression. La vraie question pour le gouvernement n’est pas de considérer un pays voisin comme un ennemi, mais c’est de travailler ensemble à faire en sorte que les intérêts des Etats soient respectés ; que l’on travaille sur la sécurité commune.
Pour moi, c’est une honte qu’un pays qui a plus de deux millions quatre cent mille kilomètres carrés puisse passer son temps à crier chaque jour que les militaires rwandais sont entrés ! Ils ne sont pas extra-terrestres ! Je pense que M. Kabila devrait avoir une armée qui assure l’intégrité territoriale.
La communauté internationale devrait demander des comptes à M. Kabila : nous vous avons donné un pays uni, nous avons donné de l’argent, nous avons formé vos militaires, et vous êtes incapable aujourd’hui d’avoir une armée qui peut assurer l’intégrité territoriale. Vous n’avez pas une police capable d’assurer la sécurité des biens et des personnes. C’est à lui qu’on doit demander des comptes.
Vous êtes vous-même sous sanctions des Nations unies, vous n’avez pas le droit de voyager. Est-ce que cela vous handicape ?
Oui c’est un handicap, car j’aurais souhaité aller expliquer partout les raisons pour lesquelles le M23 se bat. Mais d’un autre côté, ça me permet de travailler au niveau interne, penser à ce que nous pourrions faire pour la RDC. Mais j’ai gardé beaucoup de contacts. Ces gens là savent dans quelles circonstances les sanctions ont été appliquées, ils connaissent notre moralité, notre crédibilité. Je pense qu’à un certain moment, ceux qui ont pris ces sanctions pourront les retirer, parce qu’ils auront trouvé que ce n’était pas juste.
Par Bruno Minas