TRIBUNE. Considéré comme l’un des rois du polar africain, Janis Otsiemi, Gabonais, était à Libreville quand les émeutes ont commencé. Il raconte.
Je n’en reviens toujours pas.
Libreville… défigurée, vandalisée, brûlée
En une seule nuit. Comment cela a-t-il été possible ?
Les autorités gabonaises ont-elles sous-estimé la contestation postélectorale alors que 2009 était dans toutes les têtes des Gabonais ?
Tout cela était-il planifié par les sympathisants de l’opposition ?
Je reste sans voix. Sans réponse
À Libreville, j’habite le quartier Akébé-Poteau, un bras d’une concentration de bidonvilles communément appelée « Les États-Unis d’Akébé ». Si le pont d’Akébé, majoritairement habité par les Téké (ethnie d’Omar Bongo à laquelle j’appartiens) est acquis au pouvoir, Akébé-Poteau est un fief de l’opposition.
Au petit matin du jeudi 1er septembre 2016, je ne reconnais plus les rues de mon quartier. Un véritable champ de bataille. Les cendres des pneus qui ont consumé toute la nuit, des morceaux de briques cassées, des tessons de bouteille, des bacs à poubelle renversés recouvrent le bitume et témoignent de la violence. Des détritus brûlent encore et dégagent des volutes de fumée âcre. Sur le trottoir, les riverains sont ébahis par ce qu’ils découvrent.
Au marché d’Akébé, non loin de là, c’est un véritable champ de bataille
Plusieurs boutiques ont été pillées. D’Ali Bon Prix, un magasin d’alimentation générale tenu par un Libanais, il ne reste plus qu’un trou béant taillé dans le parpaing à coups de marteau. Il en est de même de la chaîne de magasins CECADO. Dans les autres quartiers de la capitale, le spectacle est identique. Nkembo, Cocotier, Rio, Pk 8… L’assemblée nationale sur le boulevard Triomphal en partie incendiée. Le siège du Conseil national de la démocratie saccagé. Les locaux du journal L’Union dévastés.
Vision irréelle. Est-on à Alep en Syrie ? Comment tout ça a commencé ?
Pourtant, la tension était palpable. La veille du mercredi 31 août 2016, les Librevillois avaient retiré leurs économies dans les banques, pris d’assaut les centres commerciaux pour faire des provisions en nourriture, en eau. Dans le ciel de Libreville, des gros nuages grisâtres s’amoncelaient comme les signes annonciateurs d’un orage.
Et ce mercredi, l’orage a éclaté autour de 17 heures. J’étais déjà chez moi quand le ministre de l’Intérieur a donné les résultats de la présidentielle du 27 août 2016 sur la chaîne nationale.
Après la proclamation de la victoire du candidat Ali Bongo Ondimba, une clameur rugissante a gagné tout le quartier Akébé-Poteau. Je suis sorti dans la cour de mon domicile, et j’ai vu mes voisins quitter leurs maisons pour rejoindre l’artère qui traverse le quartier. La première victime de cette nuit cauchemardesque que j’ai vue de mes propres yeux est l’une de mes proches voisines. Elle est policière et loue un studio de deux pièces. Dès l’annonce de la victoire d’Ali Bongo Ondimba, elle aurait poussé des cris de joie et esquissé des pas de danse. Ce qui n’a pas été du goût de son bailleur qui a voté Jean Ping. Le bailleur a ameuté ses trois fils qui ont molesté la policière en lui demandant de prendre ses bagages et de se tirer du logement.
Il a fallu l’intervention d’autres voisins pour calmer le bailleur et ses enfants. La policière ne passera pas la nuit dans le logement, craignant pour sa sécurité. Puis tout s’est accéléré. De la cour de mon domicile, je voyais des colonnes de fumée monter dans le ciel. On entendait des coups de fusil détonner. Un hélicoptère tournoyait dans le ciel. J’entends encore mon neveu, tétanisé, qui me demande de me mettre à l’abri dans la maison. Les réseaux sociaux, la messagerie sont coupés.
Impossible de savoir ce qui se passe réellement
Sur la chaîne nationale, on diffuse des programmes indigestes qui ajoutent à la confusion. Dans ce cas, la rumeur prend le relais. On parle de plusieurs morts, de plusieurs bâtiments brûlés dans le centre-ville. De ma cour, je vois des garçons que je connais et qui habitent le quartier arriver, chargés de cartons de poulet, de sacs de riz sur le dos. J’entends l’un d’eux crier : « Les policiers ont demandé de piller les magasins mais sans les brûler. » Le lendemain matin, je rencontrerais les mêmes garçons, les vêtements déchirés, buvant à même le goulot les bouteilles de liqueur pillées dans les magasins du marché d’Akébé. Et l’un d’eux me dira : « C’est l’égalité des chances, grand frère. Ali Bongo a fêté sa victoire au Palais du bord de mer [palais présidentiel], nous on a fêté la victoire de Jean Ping dans la rue. »
Aujourd’hui, le calme semble revenu à Libreville. Les stigmates de la nuit de contestation ont été effacés comme si rien ne s’était passé. Mais c’est un calme en trompe-l’œil. La proclamation des résultats par la Cour constitutionnelle attendue dans les prochains jours risque de donner lieu à d’autres nuits de violences.
* Publié aux éditions Jigal, vit au coeur de la capitale gabonaise. Il y avait situé son« African tabloïd » au coeur d’une bataille électorale. Cette fois, c’est du coeur du réel de la vie politique gabonaise en pleine tourmente qu’il nous a adressé cette tribune entre deux coupures de réseau.
Publié le 07/09/2016 à 20:06 | Le Point Afrique
L’ancien président Ali Bongo est le 1er responsable de cette situation. Tôt ou tard il va repondre devant la justice. ça sera une autre leçon pour nos chefs d’Etat qui pensent que les pays qu’ils gouvernent leur appartiennent.
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