Il était une fois, Norbert Zongo, mon mentor

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Burkina: trois militaires inculpés dans l'affaire Norbert Zongo
Un manifestant burkinabè lors d'une cérémonie en mémoire de Norbert Zongo, le 13 décembre 2014, à Ouagadougou. © Yaya Boudani / RFI

Par ses articles percutants et trempés au vitriol, il troublait le sommeil de l’oligarchie burkinabé. Faute d’avoir pu acheter son silence à coup de millions CFA, on a peut –être résolu de le réduire au silence. Pour de bon. Mais dix-sept ans après, le fantôme de Norbert continue de hanter le sommeil de ses bourreaux.

« Je sais que tôt ou tard, ils m’élimineront. Mais en attendant, j’exerce mon métier de journaliste », me disait –il ce 12 mai 1997, veille de mon retour définitif dans mon pays, le Mali. Et d’ajouter, en brisant une larme sur sa joue droite : « J’espère que d’ici là, on se reverra ».

Hélas, on ne se reverra plus. Plus jamais. Plus connu sous le nom de plume de Henri Sebgo, Norbert Zongo est décédé, lundi 13 décembre 1998, en début d’après –midi, suite à un « accident de la circulation » à Sapuy, localité située à 100 Km au sud de Ouagadougou. Accident provoqué ou simple coup du destin ? Une certitude, cependant : la carrosserie du véhicule, à bord duquel il se trouvait avec trois autres compagnons, n’avait pas une bosse. Pire, l’une des portières comportait des trous béants. Sont-ils dus à des grenades ? Ou à des balles ?

Les étudiants burkinabé, eux, croient volontiers à un assassinat, froidement, exécuté. Ils étaient plus de 10.000 à protester dans les rues de Ouagadougou, incendiant deux véhicules, ainsi que le siège de la Convention pour la Démocratie et le Progrès (CDP), le parti au pouvoir.

Tentatives de corruption, menaces de mort…..

Ce journaliste à la probité morale et intellectuelle reconnues a su porter, au bout de sa plume incisive, le martyr de son peuple. Cela à un moment où, ses confrères de la presse publique et privée, s’échinaient à la périlleuse moisson des glorioles. Et à la dangereuse chasse aux honneurs. « Lorsque par peur nous cautionnons le mensonge et l’injustice, lorsque par intérêt nous collaborons et profitons des hommes que notre histoire inculpera (si ce n’est déjà fait) de crimes contre la nation, nous nous exposons à ce cancer, un cancer des plus incurables », écrivait –il dans son éditorial du 20 septembre 1994, intitulé « Le cancer ».

Ni les menaces de mort qu’il recevait, quotidiennement, ni les valisettes bourrées d’argent, n’ont réussi à le faire taire. Une anecdote : en se rendant, un jour, à la banque où est domicilié le compte bancaire de « l’Indépendant », l’hebdo du mardi dont il était le directeur de publication, Norbert eut la surprise de découvrir plus de 40 millions CFA dans son compte. Or, ce dernier devrait contenir, à peine, 150.000 CFA. Surpris, Norbert exige des explications. Le patron de la banque lui fait savoir que l’ordre lui a été donné de virer cette somme dans son compte. Il n’en dit pas plus. La réaction de Norbert ne s’est pas fait attendre : « débarrassez –moi de cet argent et dites  à vos commanditaires que je ne suis pas à vendre ! ».

Autre anecdote : une nuit de 1994, des hommes en uniforme se rendent à son domicile. Avec, sous le bras, une mallette contenant, cette fois –ci, 50 millions CFA. Après les avoir écouté, religieusement, Norbert les congédie avec leur précieuse marchandise.

Pour le faire plier, le pouvoir burkinabé d’alors  recourt à une autre arme, fatale à ses yeux : proférer des  menaces de mort contre la mère de Norbert. Celle –ci reçoit, une nuit, dans la ville de Koudougou, située à une soixantaine de Kilomètres de Ouagadougou, la visite d’un détachement de la fameuse Garde présidentielle, armé jusqu’aux molaires.

Objectif : faire pression sur elle, afin qu’elle persuade son fils  à  renoncer à ses critiques acerbes contre le pouvoir. En vain. Norbert est resté inflexible. Tirant à 8000 exemplaires, l’hebdo du mardi est devenu, en l’espace de trois mois, la « bible » du peuple burkinabé. Et ce, en dépit des saisies intempestives du journal. Mais surtout, des menaces de toutes sortes, dont son imprimeur faisait l’objet. Ses enquêtes et ses analyses, ne laissaient guère indifférent, frappées,  qu’elles étaient,  au coin du bon sens.

Envoyé en prison par Eyadema –père et sa bourse supprimée.

Humble, de commerce agréable, Norbert faisait ses investigations avec sa vieille moto (une P50) jaune. Qui ne répondait à son coup de pédale que quand elle veut. Il est plus porté sur les tenues traditionnelles, que sur les costumes –cravates, dont raffolent ses confrères. Une simplicité qui lui a valu l’admiration de tous, y compris celle de ses ennemis. Norbert tire sa force morale de son parcours professionnel. Né en 1949 à Koudougou, dans la province du Boulkiemdé, il entre dans la vie active comme instituteur. Après cinq ans passés dans l’enseignement, Norbert passe son bac comme candidat libre. Avant de réussir le concours d’entrée à l’Ecole des Attachés de Presse de Lomé. Alors étudiant, il publie un article corsé sur la gestion personnelle du pouvoir par « Papa Eyadema ». Conséquence : Norbert est renvoyé de cette école.  Et sa bourse, supprimée. Plus grave, il séjourne durant un an en prison. Avant d’être rapatrié dans son pays.  C’est grâce à Ahmadou Kourouma, l’auteur du « Soleil des indépendances », qu’il réintègre l’Ecole Supérieure de Journalisme de Yaoundé. Il en sortira en 1980. De retour en Haute –Volta (actuel Burkina Faso), Norbert est affecté à Sidwaya, le quotidien national.

Mais très vite, il s’attire les foudres du Colonel Saye Zerbo, le président de la Haute –Volta d’alors. Il lui est interdit d’écrire, quand ses articles ne sont pas gelés par son rédacteur en chef aux ordres. De guerre lasse, il est affecté dans la province de la Bougouriba comme correspondant de l’Agence d’Information du Burkina (AIB).  Face à son refus de rejoindre son poste, Norbert est congédié. Commence, dès lors pour lui, une longue période d’errance dans la presse privée.

Frustré par la conduite du directeur de publication du journal « La clé » (ce dernier aurait reçu 30 millions CFA pour le renvoyer du journal) où il travaillait, il se convertit en agriculteur. Sur les hauteurs de Sapuy, il aménage une ferme touristique. Mais coup de théâtre : en 1994, il revient à ses anciennes amours, en lançant « L’Indépendant ».  Le premier numéro du journal a été imprimé à crédit. Et mis sur le marché, la veille de son départ pour le Danemark où, il avait été invité pour animer une conférence sur la « démocratie en Afrique ».

Parallèlement à son journal, Norbert s’occupait, aussi, de sa  ferme touristique à  Sapuy. C’est sur le chemin de retour, dimanche 13 décembre 1998, en début d’après- midi,  que son chemin croise celui de ses bourreaux aux ordres, dit-on, de François Compaoré, frère cadet de Blaise Compaoré, chassé du pouvoir par une insurrection populaire. A l’époque, Norbert enquêtait sur la mort du chauffeur de François Compaoré, torturé à mort par la tristement célèbre Garde présidentielle.

Extrait du véhicule, son corps calciné a été enterré à la hâte. Avant de bénéficier de funérailles grandioses au cimetière de Dagnoin où, repose le corps d’un autre héros burkinabé, non moins célèbre : le capitaine Thomas Sankara.

Pour les avocats de la famille Zongo, plus rien ne s’oppose désormais à l’ouverture de son dossier. Nommé ministre de la Culture et du Tourisme du gouvernement de transition dirigé par Michel Kafando, Adama Sagnon, procureur en charge du dossier Zongo,  a été contraint à la démission par la société civile. Qui l’accuse d’avoir « enterré » l’affaire Zongo.

Pour nous, « apprentis journalistes », venus de différents pays d’Afrique de l’Ouest pour fourbir nos armes dans le journalisme à Ouagadougou, Norbert Zongo n’est pas, seulement, un bon journaliste. Il est l’un des meilleurs journalistes africains, le meilleur d’entre les meilleurs, le meilleur des meilleurs. Tant par sa rigueur dans le traitement de l’information, que par son intégrité morale et intellectuelle.   Son enseignement, ses conseils et, parfois,  ses « coups de gueule » ont été déterminants dans notre formation au pays des « Hommes intègres ».

Dors en paix « Naba » (chef) !

Oumar Babi

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