Guinée : Alpha Condé franchira-t-il le Rubicon ?

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REVUE DE PRESSE. Le chef de l’État était attendu sur la question de la modification de la Constitution. La presse guinéenne analyse les nuances de ce discours, qui se veut de rupture.

Après de longs mois de silence et de rumeurs dans le pays, le président guinéen Alpha Condé a enfin pris la parole dans un discours solennel face à la nation. Ancien opposant historique et premier président démocratiquement élu de cette ex-colonie française d’Afrique de l’Ouest, Alpha Condé, qui a souvent contesté la pertinence de la limitation du nombre de mandats sur le continent – deux maximum en Guinée –, sait que sa parole est attendue sur ce sujet précis.

Consultations, débat : les dés sont jetés

Après avoir annoncé la tenue des élections législatives avant la fin de l’année 2019 – elles ont été reportées sine die depuis septembre 2018. Le chef de l’État a lancé l’idée de larges consultations portant notamment sur la Constitution. « La Guinée n’est plus la même avec l’éveil des consciences et toutes les mutations intervenues dans la société », avance-t-il, pensant qu’« il est légitime alors que chacun se demande où on va, comment aborder les enjeux et défis des temps nouveaux ». « C’est pourquoi, justifie Alpha Condé, je comprends le débat en cours dans le pays sur tous les sujets de préoccupation, y compris la Constitution. Mais comme je l’ai indiqué auparavant, il ne m’appartient pas de trancher ou de choisir à la place des Guinéens. Avant toute prise de position personnelle, j’ai le devoir d’écouter tout le monde », a affirmé le président guinéen, mercredi soir, lors d’une déclaration solennelle à la télévision.

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S’il n’a jusqu’à présent pas annoncé de modification de la Constitution afin de pouvoir se représenter en 2020, à la fin de son deuxième mandat, qui s’achèvera en octobre, plusieurs de ses déclarations ces dernières années ont été interprétées en ce sens.

Un discours à nuancer

Au lendemain de ce discours, la presse guinéenne est très partagée quant à la stratégie du chef de l’État. Pour Le Djely, « prétendre qu’Alpha Condé ne veut pas d’une rallonge au sommet de l’État reviendrait à faire montre d’une naïveté suicidaire. Cependant, il est de plus en plus évident que le président de la République ne sait plus par quel bout s’y prendre. » Pour le média en ligne, le président est « en proie à l’incertitude, partagé qu’il est entre le désir profond d’y aller et l’appréhension d’un échec. Et c’est ce président, entre l’enclume et le marteau, qui s’est adressé ce soir du 4 septembre à ses compatriotes », analyse Boubacar Sanso Barry, dans son éditorial du jour. Pour Guinée News, « le débat sur la nouvelle Constitution reste animé en Guinée. Et le président Alpha Condé en est lui-même conscient », résume le site. Alors, Alpha Condé confus ? Franchira-t-il le Rubicon ? A-t-il déjà pris sa décision ? Pourquoi fait-il durer le suspense ? Les questions se bousculent et s’affichent dans les journaux de ce jeudi 5 septembre. Car, en dépit des nombreuses déclarations faites çà et là, la dynamique d’une nouvelle Constitution peine à prendre son envol. Si les partisans du président manifestent régulièrement leur enthousiasme pour un changement constitutionnel, plusieurs membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), créé en avril pour s’opposer à un troisième mandat d’Alpha Condé, ont été interpellés en avril et en mai lors de manifestations émaillées d’incidents, avant d’être relaxés par la justice.

Attention au « glissement », avertit la presse

La fronde se préparerait surtout du côté de Kindia, ville cosmopolite située à 135 kilomètres de Conakry, la capitale, c’est là où vivent une majorité de Soussous et les Peuls. Le président y était en visite au mois de mai dernier. Et Le Djely de nous apprendre que, « lors de ce déplacement il [Alpha Condé] a notamment tiré comme enseignement que, contrairement à ce qu’on lui chante, toute la Basse-Guinée n’est pas acquise à son projet. Il est surtout informé qu’El Hadj Sekhouna Soumah ne partage pas son projet. Et Alpha Condé sait que la défiance d’El Hadj Sekhouna n’est pas banale. » El Hadj Sekhouna Souma est, entre autres, le très respecté kountigui de la Basse-Guinée, soit l’autorité morale et religieuse de la région. Or, rappelle Le Djely, Alpha Condé « n’a pas oublié que Lansana Conté s’y était cassé les dents ».

Le site Guinée7.com soutient, quant à lui, que « le principal enseignement que l’on pourrait tirer du discours du chef de l’État est qu’il est résolument décidé à aller au référendum pour faire adopter une nouvelle Constitution. Et la démarche qui consiste à écouter les acteurs de la vie sociopolitique du pays avant d’aller au référendum est républicaine, donc salutaire. Reste à savoir si ses opposants vont souscrire à cette démarche », conclut l’article. Sauf que, nuance Le Djely, « ce pari de faire perdurer le suspense n’est pas sans conséquence pour le président de la République lui-même. Car le temps pourrait notamment jouer contre lui. En effet, nous sommes quasiment pile à un an de la fin de son second mandat. Et à ce rythme, il arrivera un moment où il sera pratiquement impossible de dérouler un agenda pour l’adoption d’une nouvelle Constitution. Surtout si l’on prend en compte l’éventualité d’une forte résistance. On oublie qu’il lui restera alors le plan B, à savoir le glissement électoral. Autant dire que cette éventualité mérite d’être prise en compte par les anti-troisième mandat », conclut-il.

Par Le Point Afrique

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1 commentaire

  1. Helas tout est possible…La Guinée a déjà beaucoup souffert de ne pas avoir eu d’élections démocratiques depuis l’indépendance jusqu’à l’élection d’Alpha Condé même si sa 1 ère élection a été un peu bizarre
    Son bilan n’est pas mauvais avec de fortes croissances et de belles réalisations ceci malgré la gestion d’une monnaie (franc guinéen) pas facile
    Certes il reste beaucoup à faire pour un pays qui a pris beaucoup de retard par rapport à ses voisins
    Mais peut-on changer une constitution en fin de mandat ? je ne crois pas …

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