CONJONCTURE. À la veille de publier de nouvelles perspectives économiques pour l’Afrique, Akinwumi Adesina, président de la BAD, a livré sa vision sur la manière dont l’Afrique peut tirer son épingle du jeu.
La guerre commerciale américano-chinoise et les incertitudes entourant le Brexit font peser des risques sur les perspectives économiques de l’Afrique, qui « augmentent de jour en jour », s’est inquiété Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD) dans un entretien accordé à Reuters en marge du sommet de la SADC, à Dar es Salam, la capitale économique de la Tanzanie. En conséquence, les pays africains doivent renforcer leurs échanges commerciaux pour atténuer l’impact des chocs extérieurs, propose le Nigérian à la tête de l’institution panafricaine depuis 2015.
Un contexte d’escalade de la guerre commerciale
« Vous avez le Brexit, vous avez également les récents problèmes qui se sont posés entre le Pakistan et l’Inde, ainsi que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Toutes ces choses peuvent se combiner pour ralentir la croissance mondiale, avec des implications pour les pays africains », a-t-il averti. Ajoutant que la Grande-Bretagne, quant à elle, semble être sur le point de quitter l’Union européenne le 31 octobre sans un accord de transition, ce qui, de l’avis des économistes, pourrait sérieusement perturber les flux commerciaux. Alors que la BAD s’apprête à publier de nouvelles prévisions, celles-ci pourraient être revues à la baisse, elles seraient alors de 4 % en 2019 et de 4,1 % en 2020 si les chocs externes mondiaux s’accéléraient, a déjà prévenu Akinwumi Adesina. Pourquoi l’Afrique doit-elle s’inquiéter alors qu’elle n’est pas la première concernée par la guerre commerciale qui oppose la Chine aux États-Unis ? Comment la zone de libre-échange continentale peut-elle permettre au continent de se repositionner ?
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Un bras de fer entamé depuis un an
Agacé par les excédents commerciaux de son principal challenger, la Chine, le président américain Donald Trump a décidé de taxer les exportations de l’empire du Milieu avec l’aluminium et l’acier comme premières cibles. La réplique de la Chine ne s’est pas fait attendre. S’en suit une escalade de taxes douanières qui fait trembler les places boursières mondiales et qui a finalement débouché sur une dévaluation du yuan le 6 août dernier. Si les sanctions concernent en premier lieu les deux acteurs majeurs de l’économie mondiale, les conséquences éclaboussent bien plus de continents. Et l’Afrique est en première ligne, eu égard de ses relations commerciales avec l’Afrique.
Deux puissances à l’assaut des marchés africains
La Chine est le plus grand partenaire commercial du continent africain depuis dix ans consécutifs, et le volume des investissements chinois accumulés en Afrique a dépassé les 110 milliards de dollars. Il faut ajouter l’implantation de plus en plus prononcée de la Chine dans le Landernau commercial africain avec plus de 200 accords de coopération signés avec les pays africains lors du Forum de coopération sino-africain qui s’est tenu à Pékin en septembre 2018. Mais le ralentissement chinois se fait ressentir depuis quelques années déjà, la nouvelle guerre commerciale qui s’est ouverte entre les administrations Trump et Jinping a accentué ce nécessaire besoin de la Chine d’écouler ses produits en Afrique. Un risque accentué par les incertitudes économiques en Europe, notamment avec le Brexit. En écoulant ces produits de première nécessité, mais aussi des biens de consommation du quotidien, à bas prix sur les marchés africains, la Chine fera concurrence aux marchés locaux. « Je pense que la guerre commerciale a eu un impact significatif sur les perspectives de croissance économique en Chine. La demande d’importations de la Chine a donc chuté de manière significative. La demande de produits et de matières premières en provenance d’Afrique va donc encore chuter », a-t-il déclaré.
Mais l’ambition pour les États-Unis d’accroître leur influence en l’Afrique est aussi à souligner. L’administration Trump a mis sur pied un plan de bataille intitulé « stratégie pour l’Afrique ». Lors du dernier sommet de l’AGOA, à Abidjan, on a vu que l’un des éléments-clés de cette stratégie repose sur des accords commerciaux globaux dans le cadre de la zone de libre-échange africaine. L’idée derrière est d’acheter des produits moins cher ou de produire à bas coût et ainsi d’importer ces biens plutôt que de les faire fabriquer sur place. Pour ces deux puissances, l’avènement de la zone de libre-échange continentale apparaît clairement comme une aubaine. Elles pourront à l’avenir se passer de négocier des accords commerciaux avec chacun des 55 pays, mais plutôt s’adresser à un marché unique continental.
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La zone de libre-échange, un nouveau cadre sur lequel l’Afrique devra compter
Pour le chef de la banque africaine de développement, l’Afrique pourrait mieux résister à ses offensives en renforçant ses échanges commerciaux et en ajoutant de la valeur aux produits agricoles pour atténuer l’impact des chocs externes. « Les défis ne peuvent être résolus que si toutes les barrières sont levées. Libre circulation de la main-d’œuvre, libre circulation des capitaux et libre circulation des personnes. » La zone de libre-échange continentale lancée le mois dernier pourrait contribuer à accélérer la croissance économique et le développement, mais pour Adesina, les pays africains devaient supprimer les barrières non tarifaires pour stimuler les échanges. « Les pays qui ont toujours été confrontés à des volatilités moins importantes ont toujours été ceux qui font beaucoup plus en termes de commerce régional et ne comptent pas sur les exportations de matières premières », a déclaré Adesina.
Par Le Point Afrique