Il y a en ce début d’année un coût d’image et de représentation en jeu au Nigeria car, dit-on, l’instrument qui peut pousser au crime est le pétrole. Le pays garde toujours une dette par rapport à cette richesse. Sans elle, que deviendrait le « soft power », le leadership nigérian ?
La mesure de clarification de gestion (suppression de la subvention) entreprise par le pouvoir de Lagos dans le secteur pétrolier rencontre des résistances. Elle peut même changer la donne au-delà des frontières du géant ouest -africain.
Après deux jours d’accalmie, un leader syndicaliste indiquait, le vendredi 13 janvier, que si le gouvernement de Lagos n’allait pas à Canossa, le lundi prochain commencerait « la mère de toutes les grèves ». Faut-il prêter attention à toutes les sonorités de cette phrase après une semaine d’une longue grève, dure et violente à certains endroits du pays ? On voit aujourd’hui comment la souveraineté de l’or noir, de ce produit-roi, est traduite en termes de sang et de sueurs.
Les populations en sont arrivées à refuser que le pouvoir (et ce n’est pas la première fois) augmente le prix de l’essence parce qu’elles ne peuvent se résoudre à voir comparées les « pommes » des dépenses de l’Etat nigérian aux « poires » du PIB (Produit intérieur brut). Si l’on repose autrement le problème, c’est comme si l’on se demandait comment le PIB du Nigeria pouvait se substituer à ses recettes que ses recettes elles-mêmes ? C’est là qu’on touche du doigt le paradoxe de cette puissance économique sous-régionale : une croissance et un dynamisme privé en contre-point d’un sous-équipement et d’une sous- administration. Le pétrole a créé un modèle établi, même avec les voisins de la sous-région.
Le Nigeria, en chiffres : 160 millions d’habitants, premier producteur d’or noir du continent, 8,4 % de croissance cette année. Mais à ce jour, le pays n’a pas de politique énergétique, avec des eaux maritimes connues pour être l’un des endroits les plus pollués qui soit. Du pétrole qui coule du Nigeria, on peut entendre un souffle intérieur et un ronflement souterrain que les pays limitrophes entendent. La contrebande de ce produit aux frontières n’est pas un travail de nuit puisqu’elle est faite en plein jour. Le pétrole est une source lente et entêtée qui inonde le trou noir de la contrebande. De quoi relève aujourd’hui l’épreuve du « gueuloir » à laquelle invitent les syndicalistes ? Celle qui engage le bras de fer : les deux puissantes centrales, le « Nigeria Labour Congress » (NLC) et le « Trades Union Congress »(TUC). Aujourd’hui, le prix du litre, qui était à 65 nairas soit 0,30 euro) passe à 140 nairas (soit 0,66 euros). La subvention voulue par le gouvernement fédéral permet de diviser par deux le prix de l’essence. Avant cette suppression, elle absorbait pour ainsi dire 8 milliards de dollars, soit 5 % du PNB (Produit national brut) et par exemple quatre fois rien que le budget alloué à la santé. Le problème est que le coût du transport grève les budgets familiaux et que ce sont 70% de la population qui sont au seuil de pauvreté. L’Eglise chrétienne donne le ton en dénonçant une mesure « immorale ». Les pauvres pouvaient espérer quelque chose des 30 milliards de dollars de la manne pétrolière.
Quid des élites ? Les premiers parmi les bénéficiaires, dit-on, surtout les populations urbaines. La colère des populations est à ce prix : elles se mobilisent contre le mépris, la fraude et la collusion entre les « oligarques » nigérians. Le Président J. Goodluck veut inciter les capitaux privés à s’investir dans le raffinage national en couvrant 17% des besoins du pays. Cela est connu de tous : les recettes du brut dépassent les prévisions budgétaires qui peuvent grimper jusqu’aux 50 milliards de dollars.
Toujours pour une meilleure gouvernance, Lagos veut placer ces fonds sur un compte spécial et sous la surveillance du Parlement, dit-on. Qu’à cela ne tienne, si le gouvernement a le souci de la valorisation des ressources nationales, comment peut-il perdre de vue celui de l’évaluation ? En cette période de manques à gagner, les mouvements de rues déclenchés depuis le 9 janvier pourront-ils donner une réponse à la question sociale ainsi brutalement exposée ? Pour la suppression de la subvention à compter du 1er janvier 2012, la société civile n’avait pas été consultée par les autorités. Lagos s’est-il seulement donné le temps de prendre des programmes d’aides ciblées pour les populations précarisées ? La perte du pouvoir d’achat par celles-ci ne va-t-elle pas entraîner une perte du déclassement (social) ? La peur de l’avenir fait qu’ici, elle peut fouiller le vrai tant qu’elle peut. Aujourd’hui, les populations veulent conquérir quelque chose en affichant leur précarité et en ne tolérant plus les humiliations, inégalités et injustices. Contre toute attente, le Nigeria entre en résistance contre son propre modèle, avec emballement des passions et réaffirmation des identités religieuses. Est-ce un début de remise en question de 50 ans de fédéralisme ?
Si l’esprit de la reforme et la foi dans la liberté ne s’évaporent pas, l’assise politique du Nigeria ne tremblera pas à l’intérieur. A ses frontières, toute solution pétrolière peut aider à anticiper les dangers pouvant surgir sur la route des autres pays producteurs dans la sous-région. Pour les appétits pétroliers, le golfe de Guinée, avec le Ghana, la Cote d’Ivoire… (et demain, qui encore ? Le Mali ?) devient zone prioritaire. Le Nigeria peut aider à l’assistance en conduite dans la CEDEAO.
Si le Président nigérian ne recule pas, la question se posera, à savoir : comment la CEDEAO va-t-elle payer la facture ? Lagos peut-il mettre un frein à ses échanges informels avec ses voisins qui profitaient ainsi de la subvention ? Ne dit-on pas que le Benin est bénin sans…Lagos est confronté à un problème : trop de gestion peut créer l’effet contraire de tuer le social. Les rapports sociaux, surtout dans le voisinage, changent donc avec la représentation qui fait de nous des clients d’un Etat plutôt que des citoyens d’une communauté sous- régionale. Or dans cette CEDEAO, la culture de nos relations reposait jusqu’ici sur des valeurs, mais aussi des pratiques à partir de savoir- faire. En faisant la guerre
contre des savoir-faire non rentables, on casse des solidarités. Derrière le problème des subventions, il y a celui de la privatisation.
S.Koné