“Gilets jaunes”: incidents à Paris, le gouvernement accuse Le Pen et l’ultradroite

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Manifestation de "gilets jaunes" sur les Champs Elysées à Paris, le 24 novembre 2018 / © AFP / Bertrand GUAY

Un “acte 2” moins mobilisateur au niveau national, mais agité à Paris : la manifestation des “gilets jaunes” samedi sur les Champs-Elysées a donné lieu à des échauffourées et des interpellations, le gouvernement imputant les violences à des “séditieux” d’ultradroite qui répondait “à l’appel de Marine Le Pen”.

A 15H00, près de 81.000 manifestants étaient dénombrés à travers la France, contre 244.000 la semaine dernière à la même heure, a déclaré le ministère de l’Intérieur. Huit personnes ont été blessées (dont deux gendarmes), contre 106 la semaine dernière, a-t-on ajouté de même source. Il a été procédé à 35 interpellations et 22 garde-à-vue.

Des nombreuses autres actions pacifiques – manifestations, opérations escargots ou péages gratuits – se tenaient un peu partout en France, dans le cadre de cette deuxième grande journée de mobilisation contre la hausse des prix du carburant, les taxes et la baisse du pouvoir d’achat, une semaine après le début du mouvement.

A la mi-journée, le ministre Christophe Castaner avait souligné le “fort affaiblissement” de la mobilisation au niveau national, s’en prenant surtout à Marine Le Pen.

Il avait pointé du doigt la “mobilisation de l’ultradroite” parmi les 5.000 manifestants présents sur les Champs-Elysées (8.000 sur l’ensemble de la capitale), où les forces de l’ordre ont dû “repousser les séditieux” qui “ont répondu à l’appel notamment de Marine Le Pen (à défiler sur les Champs-Elysées, ndlr) et veulent s’en prendre aux institutions comme ils veulent s’en prendre aux parlementaires de la majorité”.

La présidente du Rassemblement national a immédiatement réagi, affirmant n’avoir “jamais appelé à quelque violence que ce soit” et accusant le gouvernement “d’organiser la tension” et de faire d’elle un “bouc émissaire”.

C’est sur l’avenue des Champs-Elysées, dont une partie était interdite de rassemblement par les autorités, que les incidents ont été les plus notables.

A l’appel des leaders informels de cette mobilisation, qui se revendique “populaire” et “apolitique”, les manifestants, originaires de région parisienne ou de province, avaient convergé tranquillement vers le haut de la célèbre avenue, le bas de celle-ci (la Concorde et l’Elysée) étant protégé par un important dispositif de sécurité.

Quand la foule a tenté de pénétrer dans ce périmètre, les forces de l’ordre ont tiré des gaz lacrymogènes et repoussé les “gilets jaunes” par des engins lanceur d’eau. La situation s’est alors tendue: barricades dressées par des manifestants, jets de projectiles et de pavés par des petits groupes, échauffourées…

Les incidents n’ont ensuite plus cessé sur les Champs-Elysées et se poursuivaient encore vers 17H00. Des pompiers intervenaient pour éteindre divers feux de barricades, qui dégageaient une épaisse fumée noire s’ajoutant au brouillard blanc des gaz lacrymogènes.

– “pas là pour casser du flic” –

A part un noyau dur de manifestants, les rangs, à Paris, se voulaient plus pacifiques: “On n’est pas là pour casser du flic, on est venu pour que le gouvernement nous entende, qu’il entende son peuple. Ici on veut pas de politique, pas de syndicat. Nous dénonçons la violence des pseudo manifestants”, a déclaré à l’AFP Laetitia Dewalle, 37 ans, porte parole des gilets jaunes à Pontoise.

Dans les rangs, Nadine, 56 ans, venue de Seine-et-Marne, et qui vit d’une pension d’invalidité, explique: “tout ce que j’ai, on me le prend. Je touchais 460 euros, avec la CSG c’est devenue 450. Et avec le prélèvement à la source, il ne me restera que 400 pour vivre.” “On n’a même plus la liberté de manifester, l’égalité on l’a jamais eue. Et maintenant il nous reste la fraternité, entre nous, gilets jaunes”.

Plusieurs groupes de dizaines de manifestants manifestaient aussi dans d’autres quartiers de Paris, sans heurts.

Dans un “communiqué” signé “Les citoyens français” posté vendredi sur les réseaux sociaux, les “gilets jaunes” réclamaient “une audience avec le Premier ministre ainsi que le ministre de la Transition écologique et solidaire au cours de laquelle un groupe de citoyens pourra échanger”.

Le député la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a estimé que c’est “la fin pour Castaner”. Il “voudrait que la manifestation des #GiletsJaunes soit d’extrême droite et peu nombreuse. La vérité est que c’est la manifestation massive du peuple”.

Des actions étaient également menées dans une ambiance plus tranquille en province, berceau de cette contestation. Ils ont ainsi manifesté à Lille (500 selon la police), à Quimper, Angers. A d’autres endroits, ils étaient mobilisés sur des barrages filtrants et des opérations sur des axes routiers, ou des zones commerciales.

“Je ne me suis pas battue juste pour l’essence, c’est pour les taxes et tout ce qu’on paie, les gens n’en peuvent plus, les commerçants n’en peuvent plus”, a témoigné sur un barrage Catherine Marguier, gilet jaune de Vitré.

Des opérations “péage gratuit” ont été menées notamment à Blois, à La Gravelle, près de Laval, à Virsac (Gironde), à Buchelay et Saint-Arnoult (Yvelines).

Dans les côtes d’Armor, à Saint-Brieuc, le préfet a reçu une délégation de gilets jaunes venus.

(©AFP / (24 novembre 2018 17h11)

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2 COMMENTAIRES

  1. +++ De la crise symbolique à la crise politique +++

    Telle sera donc l’image que l’on gardera de la manifestation des Gilets Jaunes à Paris, le 24 novembre 2018 : un Président de la République isolé, barricadé dans l’Elysée. Cette image est terrible.

    Elle détruit tout ce que ce Président, qui ne pense que communication, avait tenté de construire depuis son élection. Symboliquement, elle acte l’identification d’Emmanuel Macron avec ce qu’il y a pu avoir de plus haï dans l’histoire de France.

    Bien sur, il y a eu des incidents violents. La colère accumulée depuis de nombreux mois ne pouvait pas ne pas s’exprimer. A cela, ajoutons la possibilité que des provocateurs, ceux que l’on appelle les « Black Blocs » se soient joints à la manifestation. Mais, l’image d’un Président éloigné à ce point du peuple qu’il doive s’en protéger restera.

    Un mouvement populaire
    Car, ce mouvement est populaire, et dans les deux sens du mot. Il est parti du peuple, mais il est aussi soutenu par ce même peuple. Deux sondages, qui viennent d’être publiés, nous disent l’impact de la colère des Gilets Jaunes. Ce qui a été pris comme une « revendication catégorielle » est en train de devenir une véritable crise sociale et politique. A travers la question du pouvoir d’achat, elle est en train d’unifier différentes catégories de français. Par son enracinement symbolique dans les territoires périphériques, elle représente la colère des oublié.

    Le soutien dont bénéficient les Gilets Jaunes dans la population, et ce en dépit de campagnes de presses systématiquement haineuses à leur égard. Il est symptomatique que même la mesure la plus controversée de ce mouvement, les actions de blocage des routes et des voies d’accès, rencontre 66% de sympathie et seulement 22% d’opposition. De manière assez caractéristique, les taux de sympathie sont les plus élevés chez les sympathisants des mouvements qui se sont opposés de la manière la plus ferme aux politiques du gouvernement et d’Emmanuel Macron, soit le Rassemblement National (ex-FN) avec 88% et la France Insoumise avec 83%. Dans les autres partis d’opposition comme les Républicains ou le PS, ces chiffres atteignent respectivement 66% et 57%, chiffres considérables mais qui sont de plus de 20% inférieurs à ceux de l’opposition la plus radicale. Le point est ici important. Ce mouvement fédère dans son soutien ceux qui sont le plus opposés à la politique d’Emmanuel Macron. Tel est, probablement, l’une des causes de son succès.

    De la France « périphérique » aux grandes métropoles
    Cette sympathie est exprimée avant tout par la France « périphérique » et non celle des « grandes métropoles ». Mais, même au sein des agglomérations « métropolisées » le taux de sympathie apparaît proche de 60%. Il y a donc une dimension transverse dans ce mouvement qui, parti justement de la France « périphérique » semble avoir réussi à ne pas y rester cantonné. Il convient ici de noter que les femmes sont plus sympathisantes que les hommes (ce qui apparaît à priori contre-intuitif pour un mouvement déclenché par un projet de hausse des carburants) avec 67% d’opinion en sympathie contre 62%. Pourtant, si l’on y réfléchit bien, ce mouvement qui correspond à une révolte des pauvres devait logiquement toucher prioritairement les femmes. Ce fut d’ailleurs le cas dans de nombreux mouvements sociaux, de la Révolution de 1789 aux prémices de la Révolution de février 1917. De la même manière, on constate que les jeunes actifs (entre 25 et 34 ans) fournissent les gros bataillons du soutien à ce mouvement.

    Ce que décrit donc ce sondage est un mouvement populaire, et dont la popularité trouve ses racines essentiellement dans une France qui travaille mais qui se sent de plus en plus marginalisée. La caractéristique cependant majeure est que ce mouvement a su élargir la base de confiance qui était initialement la sienne. C’est sans doute cela qui inquiète tant le gouvernement.

    Quelle issue à la crise politique?
    Car, dans le même temps, l’issue politique de ce mouvement reste imprécise. Aucun dirigeant d’opposition n’est en mesure de prétendre qu’il « représenterait » ce mouvement avec un quelconque succès.

    Bien entendu, ce mouvement a produit une nouvelle baisse de la côte de popularité du Président Emmanuel Macron, comme le montre un autre sondage. Seuls 26% des français ont une bonne opinion du Président, et sur ce nombre seuls 5% ont une « très bonne » opinion de lui. Emmanuel Macron est en train d’être ramené par les événements au score qui était le sien au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Cela n’est pas étonnant. Il paye une politique qui a pris les masses populaires à rebrousse-poil, et un discours de privilégiés, arrogant et méprisant, qui a dressé contre lui même ceux qui auraient pu lui apporter leurs soutiens. Les réactions d’un Ministre en exercice (Le Driant) ou de l’un de ses soutiens lors de l’élection (François Bayrou), en témoignent.

    Au-delà, ce mouvement des Gilets Jaunes est en train de provoquer une véritable crise politique en France, mais une crise dont — pour l’instant — l’issue reste incertaine.

    Quoi qu’il en soit, et quel que soit l’avenir immédiat de ce mouvement, il a réussi à fragiliser à l’extrême le pouvoir d’Emmanuel Macron. Il a montré la révolte des travailleurs contre l’ordre financiarisé et néo-libéral dont Macron est le parfait symbole avant même que d’être son premier servant

    Jacques Sapir

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