En engageant un bras de fer avec l’ONU qui, en vertu de l’Accord politique de Ouagadougou, a certifié les résultats de la CEI donnant Alassane Dramane Ouattara vainqueur du scrutin présidentiel du 28 novembre 2010, Laurent Gbagbo, cet aventurier qui ignore toute éthique en politique et dont le parcours tumultueux est jonché de cadavres et de ruines court irrémédiablement vers sa perte.
C’est par la violence que Laurent Gbagbo s’est incrusté dans le champ politique ivoirien, sous le règne finissant de feu Félix Houphouët Boigny. C’est par la même violence qu’il s’est hissé au sommet de l’Etat, moins d’une décennie plus tard. Lors du face à face télévisé, salué comme exemplaire, qui l’a opposé à Alassane Dramane Ouattara, celui-ci a relevé, un tantinet ironique, que Gbagbo n’a pas été élu à la magistrature suprême de la Côte d’Ivoire en 2000 mais qu’il y a été porté par la rue. Il y a du vrai dans cette assertion. C’est dans la confusion créée par la dissolution de la Commission électorale indépendante de l’époque par le Général Robert Guéi et sur l’épaule de ses partisans surexcités que Gbagbo s’est retrouvé dans le fauteuil présidentiel. Il a rétorqué à son adversaire avoir obtenu 59% des suffrages exprimés. Un chiffre qui est loin de faire l’unanimité parmi ses concitoyens.
Les dix années que Laurent Gbagbo a, depuis, passées au gouvernail de l’Etat ivoirien ont été particulièrement meurtrières et dévastatrices. Coups d’Etat à répétition noyés dans des bains de sang (charnier des 23 gendarmes de Yopougon) ; exécutions sommaires (le Général Guéi et son épouse froidement abattus le premier à l’intérieur d’une église, la seconde dans le caniveau où elle croyait avoir trouvé une cachette sûre) ; une rébellion qui a fait des milliers de morts, de mutilés à vie et un nombre incalculable de refugiés dans les pays voisins ; des affrontements interethniques et interreligieux accompagnés de tueries à grande échelle et de destructions de lieux de cultes ; des pogroms contre des ressortissants burkinabè et maliens pour les exproprier de leurs terres de culture ou les empêcher d’exercer l’activité dont ils tirent leur subsistance (cas des pêcheurs bozos) ; des disparitions tragiques (cas du journaliste franco-canadien Guy André Kieffer) ; la pauvreté qui, tel un cancer dans sa phase métastatique, a gagné la plupart des foyers où, selon des Ivoiriens s’exprimant à la RTI lors de la récente campagne électorale, " l’on ne mange plus qu’un repas par jour".
L’élection présidentielle, qui vient de se dérouler, était considérée comme l’unique moyen de sortir le pays de cette longue crise ruineuse. Elle était censée réconcilier les Ivoiriens avec eux-mêmes, ressouder le pays divisé en deux ; restaurer la paix définitive, remettre le pays au travail, construire une nouvelle prospérité, plus forte que celle vécue sous les années Houphouët où la Côte d’Ivoire était devenue le principal pôle d’attraction de l’Afrique de l’Ouest, cela, grâce à l’appui des institutions de Bretton Woods et à la confiance recréée chez les investisseurs privés.
C’est pour l’atteinte de ce vaste et noble dessein que les Nations unies se sont massivement investies en hommes, en matériel, en argent pour faire de ce scrutin présidentiel une réussite totale. Malgré la dureté des temps, les amis traditionnels de la Côte d’Ivoire que sont la France, l’Union européenne, les Etats Unis, le Japon et d’autres à un degré moindre ont contribué à l’organisation de l’élection.
Et voilà que Laurent Gbagbo a tout gâché, par son entêtement à conserver un pouvoir qui lui a déjà tout donné et qu’il n’a exercé que pour le malheur de millions d’Ivoiriens et des populations de l’hinterland (Mali, Burkina Faso, Niger) dont l’essentiel des importations transite par le port d’Abidjan. Cet aventurier politique, pour qui il n’existe ni principe ni éthique en politique et qui n’hésite pas à marcher sur les cadavres pour atteindre un objectif, a cru que cette fois-ci aussi sa méthode paierait comme par le passé. Il fait annuler par un Conseil constitutionnel à son entière dévotion 13% des suffrages exprimés, soit 600 000 bulletins de vote acquis à Alassane Dramane Ouattara, se fait ainsi " élire " président de la République, le monde entier proteste et, au bout de quelques semaines, la clameur retombe et tout rentre dans l’ordre. Et en 2015, rebelote !
Mais il a fait un mauvais calcul. L’ONU et les autres bailleurs ont mis trop de moyens dans cette affaire pour accepter l’idée d’un échec qui conduirait au chaos. Il s’y ajoute que le représentant spécial du Secrétaire général de l’Organisation mondiale, le Sud-Coréen Yong Jin Choi, qui est un homme sérieux et intègre, a consciencieusement exécuté le travail qui lui a été confié. Il a déployé une équipe d’observateurs qui a suivi le déroulement de l’élection sur tout le territoire ivoirien, qui a participé au transport des bulletins de vote et des procès-verbaux, toutes choses qui lui ont permis d’affirmer que le " vote a été globalement démocratique ". Mieux, il a fait procéder au comptage des bulletins de vote à trois reprises et, à chaque fois, ses chiffres recoupaient ceux de la CEI. Voilà pourquoi il a certifié les résultats de cette structure donnant Alassane Dramane Ouattara vainqueur. Pour rappel, la certification par l’ONU des résultats électoraux est une disposition de l’Accord politique de Ouagadougou. Autant dire que ADO est le président légitime et légal de la Côte d’Ivoire et que l’investiture de Gbagbo par son Conseil constitutionnel n’a aucune valeur juridique. Ce dernier a voulu perpétrer un coup d’Etat pour se maintenir au pouvoir. L’opération s’est transformée en cruelle pantalonnade et le pire est devant lui s’il n’a pas le bon sens de saisir l’opportunité que lui offre la mission Thabo Mbeki mandatée par l’UA pour se dégager de cette passe dangereuse.
En effet, un conflit avec l’ONU le conduirait à sa perte et plus tôt qu’il ne le pense. Celle-ci dispose sur le terrain d’une force militaire suffisante pour neutraliser " le hors la loi " qu’il est devenu sitôt l’ordre donné. Les militaires français, qui font partie de cette force, seraient heureux de régler vite fait son compte à Gbagbo une fois pour toutes à cause du sentiment antifrançais qu’il n’a cessé de développer au cours des dernières années et des atteintes nombreuses portées aux intérêts français en Côte d’Ivoire.
L’ONU peut actionner aussi le levier financier pour mettre à genou le régime illégal de Gbagbo et précipiter sa chute. Déjà le patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn, a clairement indiqué que son institution ne fournira pas un rotin à un gouvernement non reconnu par l’ONU. L’avertissement n’est pas à prendre à la légère car lorsqu’un Etat a le malheur de perdre la caution du FMI ou de la Banque mondiale, il lui est quasiment impossible de lever des fonds sur le marché financier privé.L’ONU détient d’autres atouts extrêmement redoutables comme la mise en quarantaine diplomatique du régime Gbagbo (il ne pourrait plus participer aux sessions annuelles à New York) son exclusion de toutes ses institutions spécialisées telles l’OMS, l’UNESCO, l’UNICEF et d’autres.
Elle peut renforcer l’embargo déjà existant sur le matériel de guerre, ce qui le fragiliserait dans l’hypothèse d’une reprise des hostilités avec les rebelles du Nord que Gbagbo rend responsables du dérapage de l’opération de vote dans cette partie du pays à cause des irrégularités qu’il prétend avoir constaté tels le bourrage des urnes, le climat de terreur organisé voire les brutalités exercées sur les responsables locaux de son parti, le FPI et sur ses électeurs.
Enfin l’ONU peut mettre en branle la Cour pénale internationale (CPI) son organe judiciaire chargé de juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides. Celle-ci n’aura pas à chercher bien loin pour découvrir des faits se rapportant à l’un ou l’autre de ces objets dans la gestion de Gbagbo au cours des dix années qu’il a passées aux commandes de l’Etat ivoirien. Déjà, réagissant aux actes de violence qui ont cours en cette période postélectorale, la procureure adjointe de la CPI, Fatou Bensouda, a averti : " Si des violences postélectorales relevant de la compétence de la CPI sont commises et que les autorités ivoiriennes ne font pas tout ce qui est possible pour enquêter dessus, alors la CPI le fera ".
Déjà huit partisans de Alassane ont été abattus par balles par des individus arborant l’uniforme de la gendarmerie ivoirienne. D’autres ont connu le même triste sort les jours d’après. De quoi envoyer Gbagbo rejoindre son ami Charles Taylor et Jean Pierre Bemba à La Haye.
Saouti Labass HAIDARA