L’écrivain nigérian Uzodinma Iweala a prononcé le discours inaugural de la conférence sur la philanthropie organisée à Genève par « Le Monde Afrique », « Le Temps » et l’Institut de hautes études internationales et du développement.
Vous avez sans doute entendu parler de ce concert mémorable du chanteur de rock Bono, symbole de la philanthropie contemporaine. Une foule fervente dansait et chantait à tue-tête tandis que les effets lumineux et pyrotechniques allaient bon train et que la musique battait son plein. Bono s’est alors arrêté et a demandé le silence. Semblant descendre du ciel, la lumière d’un projecteur s’est braquée sur lui, au centre de la scène. Il s’est mis à claquer lentement des doigts. Le public était déconcerté. Après quelques claquements, il a enfin parlé : « Chaque fois que je claque des doigts, un enfant meurt en Afrique. » Alors, dans l’obscurité de la salle, un homme avec un fort accent britannique a crié : « Ben arrête de claquer des doigts ! »
Comprenez-moi bien, j’ai du respect pour Bono. Le travail que lui et d’autres célébrités ont fait pour attirer l’attention sur des causes telles que l’allégement de la dette et la lutte contre le sidaa vraiment sauvé des vies. Mais je raconte cette anecdote car je pense qu’elle résume l’un des aspects les plus intéressants – et problématiques – de la philanthropie moderne : telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, la philanthropie préserve les pouvoirs en place, lesquels sont à l’origine d’une grande partie des souffrances qu’elle tente de soulager. Et, ce faisant, elle va à l’encontre de ses intentions initiales. Cela est particulièrement vrai pour la philanthropie occidentale en Afrique.
Un acte profondément révolutionnaire
Si l’on ramène cet épisode musical aux structures et aux dynamiques du pouvoir, on voit un homme blanc sur son perchoir, tel un dieu adulé par ses adeptes, devant une assistance majoritairement blanche, s’exprimant au sujet d’Africains si misérables que lui et son public, avec leurs bonnes intentions, se croient dotés d’un pouvoir absolu sur des vies noires. Si cela vous fait penser au colonialisme, ce n’est pas un hasard. Il est impossible de discuter de la philanthropie en Afrique sans aborder le colonialisme.
Mais d’abord, qu’est-ce que la philanthropie ? Elle a été définie comme l’amour de l’humanité, dans un sens bienveillant et nourricier. Pour Samuel Johnson, il s’agissait de l’amour du genre humain et de la bonté. Dans sa forme la plus pure, elle est un acte profondément révolutionnaire. Pratiquer la philanthropie, c’est reconnaître pleinement et intimement l’humanité fondamentale de toute personne, notamment en s’efforçant de lever les obstacles pour que les individus réalisent leur véritable potentiel d’humanité. Cela peut passer par l’allégement de la pauvreté avilissante ou la lutte contre les structures politiques oppressives – il existe de nombreuses façons de pratiquer l’amour de l’humanité, dans un sens bienveillant et nourricier. Cependant, l’héritage du colonialisme et le désordre actuel de la philanthropie en Afrique compliquent les choses.
Commençons par prendre conscience de la difficulté pour les êtres humains de se faire une idée complète de l’humanité. Cette faiblesse aboutit à des définitions schizophrènes ayant des conséquences très importantes pour la pratique de la philanthropie en Afrique, qui découlent de la rencontre entre ce continent et les idées européennes sur ce que signifie être réellement humain.
De nombreux exemples montrent que les Africains n’étaient pas considérés, dans la pensée européenne, comme des humains à part entière ou faisant pleinement partie de l’histoire de l’humanité, en particulier pendant l’esclavagisme et les années qui ont précédé le colonialisme officiel. En 1763, le philosophe allemand Emmanuel Kant a écrit, dans ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime : « Les Nègres d’Afrique n’ont reçu de la nature aucun sentiment qui s’élève au-dessus de la niaiserie… Si essentielle est la différence entre ces deux races humaines ! Et elle semble aussi grande quant aux facultés de l’esprit que selon la couleur de la peau. »
Ce point de vue était partagé par nombre de contemporains de Kant, philosophes des Lumières et architectes de l’ordre libéral à partir duquel la pratique de la philanthropie moderne s’est développée. Il est d’autant plus troublant que la construction mentale du cosmopolitisme, par Kant, joue un rôle essentiel dans les pratiques actuelles de la philanthropie.
D’aucuns diront que le philosophe moral n’a pas besoin d’être parfait pour que sa philosophie ait de la valeur. Néanmoins, les dommages du racisme généralisé sur la notion de philanthropie sont si insidieux et profonds qu’ils la rendent pratiquement irrécupérable. En effet, le péché originel qu’a commis Kant en définissant ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas en tant qu’humains dans l’idéal cosmopolite soulève une question cruciale : si l’ordre libéral ne considère pas les Africains comme pleinement humains, est-ce que la philanthropie en tant que pratique et concept peut s’appliquer aux Africains ?
Extractions des ressources africaines
C’est ici qu’entre en jeu la terrible entreprise coloniale, qui peut se résumer de la manière suivante : l’industrialisation de l’Europe exigeait l’extraction de ressources africaines, y compris humaines et, pour justifier cette extraction, il a fallu codifier des versions encore plus extrêmes du racisme de Kant, qui ont abouti au fameux cercle vicieux de la déshumanisation : l’extraction enrichissait les Européens tout en rendant les Africains plus pauvres et donc moins humains en apparence, ce qui justifiait de poursuivre l’extraction, voire de l’accélérer.
Associé au capitalisme, le libéralisme est un ensemble de doctrines qui peuvent se révéler embarrassantes. Ainsi, les Européens affectaient de croire que les Africains n’étaient pas humains mais il est évident qu’en leur for intérieur ils savaient qu’ils l’étaient. Alors, pour s’absoudre – et justifier l’extraction – ils ont présenté le colonialisme comme une « mission civilisatrice ». Les Européens seraient alors les gardiens des vastes ressources africaines jusqu’à ce que les Africains soient en mesure de les gérer eux-mêmes. Cette théorie est à la base de la philanthropie contemporaine en Afrique. Comme l’a écrit Rudyard Kipling :
« O Blanc, reprends ton lourd fardeau
Les sauvages guerres de la paix
Nourris la bouche de la famine
Fais la maladie cesser. »
Quelle merveilleuse conjecture ! C’est comme si je venais chez vous, que je volais vos affaires, vous jetais à la rue puis proclamais au monde entier que j’allais porter, à contrecœur, le lourd fardeau de m’occuper de cet être paresseux et crasseux que vous êtes.
« Terre d’opportunités »
Mais tout cela fait partie du passé, entend-on. A quoi bon rediscuter de ce qui remonte à plusieurs décennies, voire plusieurs siècles ? Si seulement c’était le cas. En réalité, il est indéniable qu’une mentalité coloniale façonne encore les idées contemporaines quant à l’engagement philanthropique en Afrique. Celle-ci est tellement enracinée que beaucoup d’entre nous ne se rendent même pas compte qu’ils font parfois référence à des concepts que l’on ne peut que qualifier de pures sottises.
A titre d’exemple, citons le très progressiste président Macron lors du dernier sommet du G20 : « Le défi de l’Afrique est totalement différent, il est beaucoup plus profond, il est civilisationnel, aujourd’hui… En même temps, nous avons des pays qui réussissent formidablement, un taux de croissance extraordinaire qui fait dire à certains que l’Afrique est une terre d’opportunités. » Une terre d’opportunités pour qui ? Une chose est sûre, c’est que lorsqu’un Européen « découvre » une terre d’opportunités, les choses se passent rarement bien pour les autochtones.
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Le bon roi Léopold II de Belgique le disait mieux que je ne pourrais imaginer et certainement de façon plus directe que M. Macron et d’autres dirigeants internationaux :
« Evangélisez les Nègres à la mode des Africains, qu’ils restent toujours soumis aux colonialistes blancs. Qu’ils ne se révoltent jamais contre les injustices que ceux-ci leur feront subir… Convertissez toujours des Noirs au moyen de la chicotte. Gardez leurs femmes à la soumission pendant neuf mois afin qu’elles travaillent gratuitement pour vous. Exigez ensuite qu’ils vous offrent en signe de reconnaissance des chèvres, poules, œufs, chaque fois que vous visitez leurs villages. Faites tout pour éviter à jamais que les Noirs ne deviennent riches. Chantez chaque jour qu’il est impossible au riche d’entrer au Ciel. Faites-leur payer une taxe chaque semaine à la messe du dimanche. Utilisez ensuite cet argent prétendument destiné aux pauvres et transférez ainsi vos missions à des centres commerciaux florissants. Instituez pour eux un système de confession qui fera de vous de bons détectives pour dénoncer, auprès des autorités investies du pouvoir de décision, tout Noir qui a une prise de conscience… Faites oublier aux Noirs leurs ancêtres afin qu’ils adorent les vôtres qui ne les écouteront jamais… Ne présentez jamais une chaise à un Noir qui vient vous voir. Ne l’invitez jamais, donnez-lui tout au plus une cigarette. Ne l’invitez jamais à manger avec vous, même s’il égorge pour vous une poule ou un coq chaque fois que vous arrivez chez lui. »
Je cite ce discours, bien que sa véracité soit contestée1, afin de démontrer trois points. Premièrement, le roi Léopold II n’était pas vraiment ce qu’on appelle un homme sympathique. Deuxièmement, il exprimait probablement de façon un peu trop directe ses intentions – même s’il n’était pas plus investi dans la perpétuation du système d’inégalité raciale qui alimentait le rêve colonial extractif que, par exemple, les Britanniques, les Français, les Portugais, les Néerlandais ou les Allemands. Troisièmement, l’extraction et l’idée selon laquelle son rôle civilisateur était à terme bénéfique pour les Africains ont toujours été intimement liées. En d’autres termes, nous voler était en fait nous donner, une gentillesse pour laquelle nous devrions, jusqu’à aujourd’hui, être reconnaissants.
Un mot redouté
Cette dynamique est si profondément ancrée dans nos interactions qu’elle aboutit à des situations absurdes. Je me souviens d’un jour où je me trouvais à Londres en même temps que ma mère durant son premier mandat de ministre des finances du Nigeria (2003-2006). Elle était sur place pour défendre l’allégement de la dette et le seul moyen pour moi de me glisser dans son emploi du temps serré était de monter en voiture avec elle entre ses réunions. En remontant Whitehall, j’ai regardé par la fenêtre les majestueux bâtiments et lui ai dit : « C’est ce qu’il nous faut au Nigeria pour faire changer le cours des choses : une architecture monumentale. » Sans lever le nez de ses dossiers, elle m’a répondu : « Mais nous avons déjà payé pour tout cela. »
Elle avait raison. Et nous le payons encore de multiples manières. C’est pourquoi la philanthropie occidentale en Afrique est parfois si perverse. L’écrivain kenyan Ngugi wa Thiongo a écrit :« Pourquoi l’Afrique a-t-elle laissé l’Europe emporter des millions d’âmes africaines en dehors du continent aux quatre coins du monde ? Comment l’Europe a-t-elle pu regarder de haut un continent dix fois plus grand qu’elle ? Pourquoi l’Afrique indigente continue-t-elle de laisser ses richesses satisfaire les besoins de ceux qui sont hors de ses frontières et de suivre derrière, les mains tendues, pour qu’on lui prête les richesses qu’elle a justement laissées partir ? »
Me voler mille dollars puis me donner un dollar quand vous passez devant moi dans la rue, ce n’est pas ce qu’on peut appeler de la philanthropie. Il n’y a aucun amour de l’humanité dans cette action. Il n’y a aucune bonté. Dans cette action, il n’y a aucun effort pour changer les structures qui déshumanisent.
Toutefois, mon intention n’est pas de dramatiser les atrocités perpétrées pendant le colonialisme. Je cherche plutôt à présenter clairement la situation afin de permettre aux philanthropes modernes de voir où ils peuvent avoir le plus d’impact. Pour moi, cela signifie déplacer le débat, passer de la notion de philanthropie en Afrique à l’idée de justice. Plus précisément, quand je parle de redéfinir la philanthropie pour servir la justice, ce que j’entends très concrètement est un mot redouté : « réparations ».
Un vide insurmontable
Considérons un chiffre : 97 000 milliards de dollars. Selon le Guardian, il s’agit d’une estimation basse de la valeur du travail extorqué aux esclaves africains dans les colonies nord-américaines entre 1619 et 1865. Cette estimation ne tient pas compte de tout le travail extorqué en Afrique même après 1865, ni de la valeur des ressources non humaines. Elle prend exclusivement en considération le travail effectué par de la main-d’œuvre africaine durant deux cent quarante ans. Un travail qui fut absolument fondamental pour construire la richesse de l’Europe et de l’Amérique, une richesse qui rend aujourd’hui possible la philanthropie.
Prenons ces montants, justement : ils sont estimés à 60 milliards de dollars par an pour les dons privés aux pays en voie de développement [en fait, 7,6 milliards, selon les derniers calculs de l’Organisation de coopération et de développement, OCDE] et à 150 milliards pour l’aide publique au développement. Pour atteindre les 97 000 milliards de dollars, il faudrait plus de mille cinq cents ans de « philanthropie » privée et près de six cent quarante ans d’aide au développement officielle.
En d’autres termes, l’ampleur du transfert de richesse – un euphémisme pour parler de vol – qui a eu lieu entre 1619 et 1865 crée un vide tellement insurmontable que l’on fait comme s’il n’existait pas. Au mieux, il invite à des discussions sur l’impossibilité de rembourser 97 000 milliards de dollars. Il existe pourtant un précédent de versement de réparations du colonialisme en Afrique. En 2012, les Britanniques ont présenté des excuses formelles et accepté de payer 20 millions de livres aux Kikuyu du Kenya, lesquels ont eu la malchance de connaître la mission civilisatrice britannique des années 1950. La somme restituée semble bien pâle en comparaison du coût de la déshumanisation et de la valeur des terres saisies. Mais ce qui importe le plus aux personnes, c’est la reconnaissance que quelque chose de mal a été commis. Les excuses constituent un premier pas crucial pour affirmer l’humanité d’une personne.
Réparer les injustices du passé
Si la philanthropie est réellement une affaire d’amour de l’humanité et de changement des dynamiques structurelles qui empêchent la pleine expression de cet amour, nous ne pouvons espérer changer les dynamiques structurelles entre l’Afrique et l’Europe sans reconnaître et réparer les injustices du passé. Pour ouvrir la voie à une nouvelle relation, les organisations philanthropiques doivent abandonner le message « Ceci est notre argent et nous vous le donnons par altruisme » pour adopter celui-ci : « Ceci est votre argent, il vient des ressources que nous nous sommes injustement appropriées et nous avons le privilège de vous le rendre. »
Les philanthropes pourraient ajouter : « Oui, vous êtes humains, et je suis désolé que nous ayons pris vos vies, vos terres et votre argent. » Un tel changement de message créerait une situation où tout le monde serait gagnant. Il permettrait à l’Occident de progresser vers la pleine reconnaissance de sa propre humanité, en demandant pardon, et de dépasser le capitalisme absolu, qui considère la vie humaine comme une matière première. Il permettrait aux Africains d’évoluer sur la scène mondiale comme des personnages pleinement égaux aux Occidentaux plutôt que comme des personnages de second ordre.
Mais changer le message n’est que la première étape. La seconde est plus délicate, car elle implique de l’argent. Comment calculer puis rendre les richesses astronomiques extorquées à l’Afrique, qui ont fait la richesse des nations occidentales et permis à leurs populations d’être si « philanthropiques » ? Comment décider qui paie ? A la racine de la répugnance à payer des réparations se trouve cette idée : « Mes ancêtres n’étaient ni colonialistes, ni négriers. » Pour beaucoup, cela ressemble à du vol : vous prenez l’argent ou les biens que j’ai peiné à obtenir et vous les donnez à quelqu’un qui n’a pas travaillé pour les avoir. Ça vous rappelle quelque chose, non ?
De fait, nous devons cesser de voir les réparations comme un transfert à somme nulle et imaginer à la place une entreprise mutuellement bénéfique. Reconnaître les injustices perpétrées contre les Africains permet aux deux côtés de retrouver leur humanité. Mais il faut faire un pas de plus. Les défis auxquels le monde est confronté, les défis auxquels l’Afrique est confrontée, ne sont pas des défis africains, qui seraient spécifiques ou limités à ce continent. Ce sont des défis humains. Pour n’en donner qu’un exemple : le changement climatique. Il aura un impact disproportionné sur le continent africain, exacerbant les problèmes causés par l’extorsion coloniale, mais c’est un problème mondial. Car ce ne sont pas les Africains qui sont les principaux responsables du changement climatique. Les conséquences, comme les réfugiés climatiques, continueront en revanche à aller dans une seule direction. Et, à moins que l’on soit prêt à construire un mur et à tuer toute personne qui tente de passer par-dessus, nous devons nous préparer à une nouvelle manière de vivre.
Un investissement pour l’humanité entière
Imaginez que nous décidions de saisir l’occasion de ces réparations pour concevoir de nouveaux systèmes d’organisation qui nous préparent à notre future vie sur Terre. Ce serait de la philanthropie dans son sens le plus vrai, ce serait transformer le sujet tabou des réparations en un investissement pour l’humanité entière.
Revenons à ces 97 000 milliards pour imaginer une expérience. Pourquoi ne pas créer un fonds en partant de cette estimation qui semble fantastique, mais qui est en réalité prudente, du travail extorqué aux Africains, avec comme reconnaissance de base « Ce sont vos richesses, nous avons le privilège de vous les rendre ». Et alors, pourquoi ne pas investir lourdement dans le développement d’infrastructures en Afrique – électricité, routes, transports en commun – mais d’une manière digne du XXIe siècle, qui considère que les coûts environnementaux sont une réalité ? Pourquoi ne pas utiliser cet argent pour repenserl’urbanisation du continent, en épousant l’idée de fortes concentrations de populations dans les villes et en bâtissant des espaces humains, uniques, très denses, avec des fermes verticales et des processus de transformation des déchets en énergie, de l’électricité nucléaire, etc. ? Pourquoi ne pas laisser des régions entières du continent qui ont souffert de l’exploitation retourner à leur état naturel ? Pourquoi ne pas laisser les forêts pluviales mises à mal repousserpour former de massifs puits de carbone, pendant que nous prendrions l’Hyperloop [train ultra rapide développé par Elon Musk] pour voyager entre nos centres urbains repensés ? Pourquoi ne pas créer des modèles d’éducation tournés vers l’avenir, qui permettraient un réel échange des savoirs et combineraient les connaissances techniques rendues possibles par des années d’accumulation de richesses dans les pays occidentaux à la vision fraîche des jeunes esprits africains ? Ce serait réellement changer le monde.
La réparation des souffrances de l’Afrique bénéficiera au monde entier. L’Afrique supporte depuis des siècles les coûts douloureux de l’accumulation de richesses par le reste du monde et elle est en passe de supporter des coûts encore plus lourds alors que le climat se réchauffe et que le chaos qui en résulte fait le tour de la planète, réduisant en miettes les systèmes d’organisation actuels. Je ne peux pas parler pour tous les Africains, mais, personnellement, je serais heureux que mon continent et mon peuple se tiennent au premier rang de la lutte pour sauver et améliorer le monde que nous avons été appelés à construire à contrecœur. Je serais heureux d’utiliser notre argent pour faire en sorte que tous les êtres humains puissent s’épanouir et persévérer. C’est cela, la vraie philanthropie.
Une nouvelle manière de penser le don
Si vous pensez que tout cela est fou, prenez s’il vous plaît un moment pour examiner votre résistance. D’où vient-elle ? Etes-vous certain qu’il n’y a pas là de la peur, du racisme peut-être ? Je vous mets au défi de dire que ce que je propose est pire que collectivement voler et/ou bénéficier de centaines de milliers de milliards de dollars de travail et de ressources d’Afrique, puis rendre quelques milliards par le biais de projets qui ressemblent plus à des marottes, dispersés çà et là, qui apaisent les consciences mais font peu pour réellement transformer les conditions à l’origine de la misère.
Le modèle actuel, où n’importe qui peut gagner un milliard de dollars en causant 20 milliards de dégâts, puis en rendre 100 millions, a-t-il réellement changé quelque chose ? Résoudre certains problèmes nécessite de mettre en commun les ressources et de les dépenser stratégiquement. Il faut penser aux réparations comme à un moyen d’attirer l’attention nécessaire pour mettre en commun les fonds philanthropiques et restaurer l’humanité dans l’action. Cela nécessite à la fois une pensée et une action, des individus prêts à s’investir dans une nouvelle manière de penser le don.
Mais compliquons un peu le scénario. Le fonds de 97 000 milliards de dollars devrait être entièrement géré par des Africains. Pourquoi ? Premièrement, si ce n’est pas votre argent, ce n’est pas à vous de décider comment le dépenser. Et, oui, pour ceux qui le pointent, il y a le problème de la corruption sur tout le continent, mais le mal de la corruption peut être combattu en même temps que le mal de l’extorsion coloniale. Si vous n’êtes pas d’accord, considérez l’absurdité suivante : avant que les Suisses ne rendent au Nigeria une partie de l’argent qu’un ancien dictateur militaire nigérian [Sani Abacha] avait entassé dans une banque suisse, ils ont demandé aux Nigérians de présenter un plan sur la façon dont ils pensaient le dépenser. Quelle condescendance ! Imaginez qu’une personne vous vole votre argent (car, après tout, quelqu’un qui conserve sciemment de l’argent volé et gagne de l’argent avec les intérêts et les commissions est aussi un voleur) et, ensuite, avant de le rendre, vous dit qu’elle craint que vous n’ayez pas assez de bon sens pour dépenser cet argent correctement. C’est le comble de l’absurde.
Le stéréotype de l’Africain louche
A un autre niveau, permettez-moi de partager avec vous un brin de sagesse venant de mon grand-père. Il me disait que la façon de donner des Africains est de donner complètement : ne demandez pas ce qui est fait avec l’argent et n’attendez rien, pas même une once de gratitude, en retour. Voilà quelque chose que les organisations philanthropiques – notamment celles qui opèrent en Afrique – ont oublié. Elles sont tellement aveuglées par le stéréotype de l’Africain louche faisant mauvais usage de l’argent, que soit elles refusent de lui en donner directement, soit elles n’en donnent qu’aux Blancs qui travaillent en Afrique.
J’ai vu des organisations humanitaires confier à de jeunes Blancs sans la moindre expérience ni aucune connaissance de la situation de l’argent pour sauver des Africains d’eux-mêmes, et qui refusaient par ailleurs catégoriquement de donner de l’argent à des Africains expérimentés à cause de « préoccupations »quant à la « bonne gouvernance ». Un conseil : arrêtez ! En supposant que vous êtes convaincus que c’est votre argent que vous donnez, donner avec des conditions n’a pas grand-chose de philanthropique. Mais, puisque nous avons établi que ce n’est pas votre argent que vous donnez, j’en reviens à ma première idée : vous n’avez pas à décider. Et, enfin, céder le contrôle à un autre être humain – l’expression suprême de la confiance – est encore la meilleure façon d’affirmer l’humanité d’autrui. Encore une fois : voilà la vraie philanthropie.
Mais ce n’est pas qu’une expérience imaginaire. Les milliards de dollars déposés sur des comptes bancaires et détenus par des organisations caritatives sont toujours exactement à la même place que lorsque vous avez commencé à lire ce texte, il y a vingt minutes. Cela peut sans doute vous procurer un sentiment de sécurité, pour l’instant. Mais nous savons tous que le monde change trop rapidement pour que la sécurité soit garantie. Quoi qu’en disent les avocats de la fermeture des frontières, aucune armée, aussi puissante soit-elle, ne pourra empêcher les hordes de miséreux de venir gâcher votre fête. Aux bien-pensants : il n’existe aucun Sparadrap philanthropique capable de refermer les plaies béantes causées par l’acquisition rapace de richesses aux dépens des Africains.
Si nous voulons vraiment un monde différent, il nous faut une façon de penser différente. Il nous faut être à la hauteur de notre essence philanthropique. Les humains pour les humains. En repensant la philanthropie comme une réparation, nous ouvrons la voie à une nouvelle manière de penser. Il existe certainement d’autres voies. Toujours est-il que, si nous voulons une philanthropie avec des résultats différents ou meilleurs, nous devons penser et agir autrement. Sinon, nous devons admettre que nous ne sommes pas réellement intéressés par le changement et nous préparer à l’hiver (ou à l’été) perpétuel qui ne manquera pas de venir.
Je pense que j’ai dit assez clairement ce que je pensais. Et vous ?
Ils ont fait comme ça en Algérie, Syrie, Libye, et maintenant en Nouvelle-Calédonie,
https://www.maliweb.net/international/scission-cameroun-camerounais-mali-condamnent-appellent-a-faire-echec-projet-2561572.html
au Cameroun aussi où il semble vouloir y faire une partition anglophone d’un coté, francophone de l’autre!
Diviser pour mieux régner comme ils ont fait au nouveau monde, au Canada et j’en oublie !
Ça commence à faire beaucoup par ces français !
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