C’est peut-être l’un des dirigeants les moins connus de la planète. Au pouvoir à Asmara depuis 1991, le Président Isaias Afeworki conduit les destinées de l’Erythrée d’une main de fer depuis l’indépendance de cette ancienne colonie italienne devenue province éthiopienne survenue en 1993 et s’est rendu incontournable. Voyage au cœur du Soft Power country erythréen dans l’uniforme Afeworki. Enquête exclusive et inédite de notre Envoyé Spécial Barka BA à Asmara.
L’ancien maquisard qui a participé avec ses guérilleros du Front populaire de libération de l’Erythrée (FPLE) et une autre coalition de groupes rebelles, dominée par le TPLF (Front de libération du Peuple du Tigré), à renverser le « Négus rouge » Mengistu Hailé Mariam, est un taiseux qui fuit la presse comme la peste et a cadenassé son pays. Pour autant, Afeworki est devenu incontournable dans la géopolitique tourmentée de la Corne de l’Afrique. Pour se donner cette posture, il lui a fallu lâcher beaucoup de lest. A commencer par une normalisation avec son puissant voisin éthiopien. En effet, après s’être débarrassé du « Négus rouge » et avoir négocié à l’amiable l’accession de l’Erythrée à l’indépendance, les anciens frères d’armes au pouvoir à Asmara Isaias Afeworki et Meles Zenawi à Addis Abeba, n’allaient pas tarder à se lancer dans une guerre fratricide en 1998 après un incident frontalier dans le village de Badmé, sol caillouteux sans grand intérêt stratégique, mais qui allait être le tombeau de près de 80.000 soldats érythréens et éthiopiens, rivalisant de nationalisme. Sorti affaiblie du conflit, l’Erythrée sera contrainte d’accepter un accord de paix négocié en Alger en 2000.
Désormais, c’est la guerre froide entre Meles Zenawi et Isaias Afeworki, les armées des deux anciens chefs de guerre se regardant en chiens de faïence, chaque pays soupçonnant l’autre de vouloir le déstabiliser, par groupes rebelles interposés.
Le dégel avec l’Ethiopie
Cette situation de «ni guerre, ni paix » avec le puissant voisin va perdurer, jusqu’à la nomination d’Abiy Ahmed comme Premier ministre. De père musulman Oromo et de mère Ahmara chrétienne orthodoxe, l’impétrant devient très vite le visage d’une nouvelle Ethiopie désireuse de se débarrasser des clivages ethniques et religieux. Au forceps, Abiy Ahmed entame une série de réformes économiques et politiques spectaculaires qui propulse très vite au zénith sa côte de popularité.
Mais, le changement qui marque le plus les esprits, c’est son initiative de se réconcilier avec l’Erythrée. Le jeune Premier ministre effectue ainsi une visite à Asmara et enchaîne une série d’actes pour régler définitivement le litige frontalier à l’origine de la guerre avec son voisin, en lui rétrocédant le fameux village de Badmé à l’origine de la guerre entre les deux pays. Séduite, la communauté internationale lui décerne dans la foulée le prestigieux Prix Nobel de la paix en 2019. Quant au Président Afeworki, le dégel avec son voisin lui permet de rompre un isolement diplomatique qui devenait pesant.
Mieux, le conflit qui a éclaté en 2021 au Tigré, bastion des membres du TPLF, l’ancienne oligarchie qui tenait les rouages de l’État fédéral à Addis-Abeba sous la férule de Meles Zenawi, replace Afeworki aujourd’hui au centre du jeu. Pour les rebelles du Tigré, il ne fait aucun doute qu’Asmara est partie prenante du conflit et appuie l’armée fédérale éthiopienne dans ses opérations dans la province rebelle
Le rôle clef du port d’Assab
Le Président érythréen joue aussi un rôle majeur dans un autre conflit passé sous les radars : la guerre sanglante qui oppose le Yémen à l’Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis. Disposant du port stratégique d’Assab qui donne sur la Mer rouge, Asmara a loué une base d’appui devenue indispensable aux troupes émiraties. Selon le site spécialisé Jane’s 360 « cette base émiratie abrite des Mirage 2000, des hélicoptères et des avions de transport pour les blindés émirati », une base arrière pour la guerre au Yémen. Une partie des combattants, sont également entraînés à Assab», en vertu d’un accord signé avec l’Erythrée. Sanctionné par un embargo des Nations-unies qui l’accusent de violation de droits de l’homme, le Président Afeworki a su donc habilement s’appuyer sur la coopération avec certains des États les plus riches de la planète pour briser son isolement. Outre donc l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, l’Erythrée s’appuie de plus en plus sur la coopération avec la Chine qui a construit à Asmara une gigantesque ambassade.
De notre Envoyé Spécial Barka BA à Asmara, capitale de l’Érythree