L’ancien président ivoirien a condamné le troisième mandat que brigue Alassane Ouattara et a appelé au dialogue, dans un entretien sur TV5 Monde.
Il est le grand absent de la présidentielle en Côte d’Ivoire, une ombre qui plane au-dessus du pays et dont la parole était suspendue depuis près de dix ans et son arrestation par les forces qui combattaient pour Alassane Ouattara avec l’appui de la France et des Nations unies.
Laurent Gbagbo a rompu le silence jeudi 29 octobre dans un entretien accordé à TV5 Monde. Exilé à Bruxelles depuis que la Cour pénale internationale (CPI) l’a acquitté en première instance, l’ancien président ivoirien, 75 ans, a dissipé une partie du mystère autour de ses intentions et de sa situation, deux jours avant une élection où les positions ne cessent de se durcir.
« J’attendais d’être de retour dans mon pays avant de parler mais, aujourd’hui, la date du 31 octobre approche. (…) Je vois que les querelles nous amènent dans un gouffre et en tant qu’ancien président, ancien prisonnier de la CPI, si je me tais ce n’est pas responsable », précise-t-il pour justifier sa prise de parole. Plus d’une demi-heure d’entretien où s’expriment son désir inassouvi de rentrer en Côte d’Ivoire, sa volonté de demeurer dans le jeu politique et son inimitié à l’égard d’Alassane Ouattara, candidat à un troisième mandat que l’opposition juge contraire à la Constitution.
« Je suis résolument dans l’opposition », prévient Laurent Gbagbo à l’endroit de ceux qui pouvaient en douter. La colère exprimée par une partie de la population ? « Je la comprends et je la partage. Je pense que l’un des problèmes politiques en Afrique, c’est que l’on écrit des textes sans y croire. On écrit dans la Constitution que le nombre de mandats est limité à deux. (…) Si on écrit une chose et on en fait une autre, on assiste à ce qui arrive en Côte d’Ivoire aujourd’hui. »
Le seul à pouvoir soulever la rue ivoirienne
Les violences qui ont éclaté après l’annonce le 6 août de la candidature d’Alassane Ouattara et se sont accentuées avec l’appel à la « désobéissance civile » des opposants ont déjà fait une trentaine de morts selon les autorités, le double selon l’opposition. « Ce qui nous attend, c’est la catastrophe » si le chef de l’Etat sortant consacre sa victoire, prévoit Laurent Gbagbo, tout en prenant soin de ne jamais appeler ses nombreux militants à manifester et empêcher la tenue du scrutin.
Au sein de l’opposition, l’ancien chef de l’Etat est le seul à pouvoir d’un seul mot d’ordre soulever la rue ivoirienne. La procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a par ailleurs lancé un premier avertissement aux acteurs politiques, signalant que les actes posés ces derniers jours « pourraient constituer des crimes relevant de la compétence de la CPI ».
Le remède préconisé par Laurent Gbagbo est, dit-il, le même que celui qu’il proposait dès sa première candidature contre Félix Houphouët-Boigny en 1990 : « Je n’ai jamais cessé de dire : asseyons-nous et discutons. Avec la négociation, on règle beaucoup de problèmes. » Un viatique qu’il ne cesse de marteler tout au long de l’entretien. « Il est toujours temps de se parler », dit-il.
S’il entend renouer le dialogue, il ne se prive pas de lancer quelques flèches sur celui qui l’a fait tomber de ce fauteuil présidentiel qu’il ne voulait pas quitter en 2010, malgré sa défaite certifiée internationalement. « J’ai été candidat [à l’élection de ce 31 octobre]. Nous étions 44. On a rejeté 40 candidatures. Je trouve ça un peu enfantin. Je pense que tous ceux qui veulent être candidat doivent être candidat. On ne doit pas multiplier les obstacles sur la route des candidatures. »
Selon son constat, quarante ans après l’avènement du multipartisme, « on a fait beaucoup de progrès. Mais, depuis dix ans, tous les progrès en matière de démocratie sont en train de s’écrouler ». Une lecture de l’histoire qui a aussi le mérite d’oublier certaines pages sombres de sa présidence.
« Alassane Ouattara manque d’élégance »
Autre point de tension avec le chef de l’Etat en exercice qui s’est engagé à le faire revenir sous condition après l’élection et après la clôture de la procédure d’appel devant la CPI : son passeport toujours en attente trois mois après en avoir fait la demande. « C’est une mauvaise manière. Ça fait partie des règles non respectées. (…) Tant que je ne suis pas rentré, cet acquittement a un goût d’inachevé. Voir l’ex-président aller dans l’ambassade de Côte d’Ivoire demander un passeport, c’est un peu honteux. Alassane Ouattara manque d’élégance, mais on ne refait pas un homme », cingle Laurent Gbagbo.
Puis d’ajouter « qu’il me donne ou pas mon passeport, ce n’est pas grave. Si je veux rentrer au pays, ce n’est pas compliqué, quelqu’un peut me donner un passeport d’un autre pays [comme celui que lui a proposé le président bissau-guinéen]. Mais je ne veux pas provoquer des palabres, des tensions, des antagonismes. C’est pourquoi, je ne suis pas rentré. »
Si les jeunes sont « ses potes », il n’en demeure pas moins qu’après quarante années sur le ring politique, Laurent Gbagbo ne semble pas prêt à raccrocher les gants pour céder la place à une nouvelle génération. « J’entends souvent dire il faut que les trois là [lui-même, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié], il faut qu’ils partent, que d’autres viennent. (…) La jeunesse ne dit rien du tout. Ce sont les autres qui parlent pour la jeunesse. La vie peut continuer sans nous, mais poser les problèmes en ces termes-là, c’est tromper les Ivoiriens », objecte-t-il en faisant référence à la longévité politique de Charles de Gaulle ou de François Mitterrand.
Parfait connaisseur de la vie politique française, francophile frustré, l’historien, toujours très politique, s’interroge sur les crises qui touchent en premier lieu les pays d’Afrique francophone. « Peut-être à cause de notre relation particulière avec la France ou bien à cause de la forme qu’a prise notre décolonisation et beaucoup de la faute des hommes politiques qui sont tous mi-Français, mi-Africains », analyse-t-il, sans absoudre la première responsabilité qui revient aux dirigeants africains.
En Côte d’Ivoire, pour Laurent Gbgabo, le premier responsable de la crise actuelle est Alassane Ouattara. « La faute majeure, dit-il, c’est lui et il faut le dire clairement. » Même dans le rôle de vieux sage dans lequel il souhaite apparaître, Laurent Gbagbo demeure un animal politique indomptable.