Egypte: le succès de l\''équilibriste Obama

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 Les Etats-Unis cherchent à la fois à ne pas rater le train de l’histoire et à garantir leurs intérêts géostratégiques. Ce double impératif explique ce que certains appellent les «zigzags» de Barack Obama depuis le début du soulèvement égyptien. Mais le président des Etats-Unis est parvenu à ses fins en faisant partir Hosni Moubarak.

Il est de bon ton de critiquer les hésitations de Barack Obama face aux manifestations populaires en Egypte, comme si la perplexité américaine excusait la position embarrassée des Européens. Le président est aussi mis en cause par ses concitoyens. Certains de ses amis démocrates lui reprochent de ne pas avoir suffisamment soutenu les protestataires. La même critique est d’ailleurs formulée par le dernier carré des néoconservateurs. Les républicains s’inquiètent pour la stabilité du Moyen-Orient et pour la sécurité d’Israël en cas d’effondrement du régime Moubarak.

Barack Obama est à la fois soucieux de ne pas rater le train de l’histoire et de garantir les intérêts géostratégiques des Etats-Unis. Ce double impératif explique ce que certains appellent ses «zigzags» depuis le début du soulèvement égyptien. Il n’est pas facile d’appeler à une révolution démocratique quand on a soutenu une dictature militaire pendant plus de trois décennies. Le président américain en a fait l’expérience en marchant, adaptant sa politique et son discours au jour le jour à l’évolution de la situation au Caire.

Force est de constater qu’il a réussi cet exercice d’équilibrisme entre affirmation des principes et défense des intérêts. Plus exactement, il avait réussi, jusqu’au jeudi 10 février où il a donné l’impression de croire à la démission immédiate d’Hosni Moubarak – comme beaucoup d’observateurs dans le monde. C’est précisément au moment où, assistant à «l’Histoire en train de se faire», il s’abandonnait à quelques accents lyriques que ses amis le pressaient d’adopter, qu’il a été pris à contre-pied par les discours du président et du vice-président égyptiens. Mais c’était reculer pour mieux sauter, puisque Hosni Moubarak a fini par démissionner 24 heures plus tard vendredi 11 février.

Les Américains se trouvent confrontés à une situation que les politologues et quelques diplomates avaient anticipée théoriquement, la déconfiture de régimes autoritaires supposés être garants de la stabilité, face à des peuples revendiquant la démocratie et la liberté, conformément aux valeurs universelles prônées par les pères fondateurs. Le changement de paradigme est intéressant à théoriser. Il est difficile de lui donner une traduction politique, en Egypte encore plus qu’en Tunisie. Pays le plus peuplé du Proche-Orient, l’Egypte est le principal allié des Etats-Unis dans la région, le deuxième récipiendaire de l’aide américaine dans le monde après Israël. Il est le seul Etat arabe, avec la Jordanie, à avoir signé un traité de paix avec Israël et il n’est pas étonnant dans ses conditions que le gouvernement de Benjamin Netanyahou ait soutenu Hosni Moubarak jusqu’au bout.

La peur de l’islamisme, d’un remake du scénario iranien de 1979 avec l’arrivée au pouvoir des mollahs après la fuite du shah, joue évidemment un rôle dans la prudence américaine, comme la crainte d’une contagion dans d’autres Etats arabes qui ont des régimes alliés des Etats-Unis. Quand on parle du Moyen-Orient, il faut toujours penser au pétrole même si le canal de Suez n’est pas une voie de transit aussi vitale qu’il pouvait l’être en 1956 quand les forces franco-britanniques ont sauté sur Suez après la nationalisation du canal par Nasser. (Et qu’elles ont dû se retirer à la suite d’un ultimatum américano-soviétique!) Enfin, l’administration américaine s’est réfugiée dans des déclarations alambiquées pour ne pas donner l’impression de s’ingérer dans les affaires intérieures égyptiennes, même si elle s’activait en coulisses et, semble-t-il, sans grand succès, pour trouver une issue. Moubarak a tenté de jouer de cette corde en mettant en cause les ingérences étrangères, mais les manifestants ne sont pas tombés dans ce piège éculé.

La stabilité et la paix sont mieux garanties par des gouvernements représentatifs des citoyens que par des régimes autocratiques. Le président démocrate Woodrow Wilson était arrivé à cette conclusion en 1917, bien avant les néoconservateurs. George W. Bush prônait la démocratisation du Moyen-Orient à marche forcée tout en gardant de bonnes relations avec des régimes autoritaires. Dans son discours du Caire, Barack Obama a vanté avec lyrisme les valeurs universelles de la démocratie et de la liberté, en renonçant à les imposer par la force.

Il reste à espérer que le nouveau pouvoir égyptien ne fera pas le choix de la répression contre le mouvement populaire et ne le placera pas dans la situation de George Bush père après Tien Anmen en 1989. le président américain avait alors publiquement condamné l’intervention de l’armée et assuré discrètement les dirigeants chinois que les relations entre les deux pays ne seraient pas durablement affectées.

Daniel Vernet
rn(
slate.fr – Vendredi 11 février 2011)

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