Le Caire (AFP) – Chérif Gamal Siyam a rendu l’âme dans un fourgon de la police égyptienne, asphyxié par des gaz lacrymogènes tirés à l’intérieur du véhicule le 18 août, un événement qui ravive les craintes sur le respect des droits de l’Homme en Egypte.
Tout a commencé par son arrestation, lors de la sanglante dispersion le 14 août de partisans du président islamiste Mohamed Morsi, destitué par l’armée.
Ses amis insistent, il ne faisait pas partie des manifestants qui campaient depuis 45 jours sur les deux places du Caire pour réclamer le retour de M. Morsi. Il tentait de s’interposer entre manifestants et policiers, espérant un peu naïvement empêcher le bain de sang.
Quelle que soit la raison pour laquelle il se trouvait Place Rabaa al-Adawiya ce jour-là, la suite des événements est décrite par tous de la même façon: arrêté, il est mort quatre jours plus tard avec 36 autres détenus, asphyxié dans un fourgon de police qui les transportait à la prison d’Abou Zaabal.
Le gouvernement intérimaire affirme qu’aucune règle n’a été violée et le ministère de l’Intérieur a promis une enquête exhaustive. Mais les défenseurs des droits de l’Homme et les proches des victimes font porter la responsabilité de ces morts aux autorités.
La version officielle a évolué: l’agence Mena a commencé par évoquer un guet-apens d’hommes armés contre le véhicule, à l’approche de la prison située au nord du Caire.
Visages noircis
Plus tard, Mena et le ministère de l’Intérieur ont accusé les détenus d’avoir pris un policier en otage à l’intérieur du fourgon, un acte qui, selon eux, a poussé ses collègues à tirer des grenades lacrymogènes. Le ministère de l’Intérieur a expliqué que certains prisonniers avaient été piétinés dans la bousculade.
Oussama al-Mahdy, avocat et défenseur des droits de l’Homme, connaissait bien la victime, un ingénieur des télécommunications de 29 ans.
En tant qu’avocat, il a vu bien des cadavres, mais ce jour-là, il a été très choqué: “les corps étaient extrêmement gonflés, les visages presque noirs”, raconte-t-il à l’AFP.
Il a pris des photos de 20 corps avant de les mettre en ligne, notamment pour faire taire la rumeur selon laquelle les détenus avaient été abattus par balles. Aucun cadavre ne portait d’impact de balle ni de blessure.
Les visages noircis ont laissé certains penser que les corps avaient été brûlés. Face à ces spéculations, Priyanka Motaparthy, qui travaille pour Human Rights Watch, a montré les photos à un expert en médecine légale. “Il a été surpris par l’état de décomposition des corps”, dit-elle à l’AFP. Mais il a affirmé que l’état des corps pouvait être dû à de mauvaises conditions de conservation et que les taches sombres pouvaient provenir d’accumulations de sang.
Selon les experts, il est relativement rare que les gaz lacrymogènes entraînent la mort. Il y a une marge énorme entre la quantité de gaz qui le rend efficace et celle qui le rend mortel”, explique Sid Heal, officier de police à la retraite de Los Angeles.
Pour Alistair Hay, professeur de toxicologie environnementale à l’université de Leeds, le fourgon devait être fermé quasi hermétiquement car “si les portes avaient été ouvertes, il n’y aurait probablement eu aucun décès”.
C’est cette idée qui hante la soeur de Chérif, Lamia. “Comment peut-on enfermer de la sorte des êtres humains? Est-ce qu’on essaye de nous faire croire qu’on ne les a pas entendus appeler à l’aide, crier pour réclamer un peu d’air?”, lance-t-elle à l’AFP.
“Ce n’est pas une erreur, c’est un crime”, dit-elle. Me Mahdy partage le même avis: “quelle que soit la raison de leur mort, c’est un crime”. “La police et le gouvernement sont responsables de ces hommes”, dit-il.
Pour l’avocat, les 37 morts sont le signe que rien n’a changé en Egypte, en dépit de la révolte de 2011 qui avait renversé le régime Moubarak notamment dans l’espoir de faire progresser les droits de l’Homme. “Après la révolution, je pensais que la situation des droits de l’Homme évoluerait. Mais en fait, c’est de pire en pire, car désormais le gouvernement croit que quoi qu’il fasse, personne ne réagira”.