DSK : la partie de bras de fer judiciaire ne fait que commencer

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L’hypothèse d’un procès se dessine pour DSK. Comment se déroule la procédure devant le grand jury et la Cour suprême ? Éclairage.

Aux États-Unis, comme en France, l’enquête est confiée à la police, en coopération avec le procureur (attorney). Mais la comparaison s’arrête là. Le système américain ne connaît pas l’équivalent de notre juge d’instruction qui enquête, du moins en théorie, "à charge et à décharge".

Le bras de fer accusation-défense

La partie se joue entre d’un côté l’accusation, en la personne du procureur assisté d’enquêteurs chargés de rassembler les preuves, et de l’autre la défense, chacun ayant pour objectif de désarmer, voire de piéger son adversaire. Ils agitent leurs éléments d’attaque et de contre-attaque qui seront tenus secrets jusqu’à ce que le "grand jury" notifie formellement l’acte d’accusation. Images de vidéosurveillance montrant la femme de chambre en état de choc et le départ précipité de DSK, "rapport" faisant état de griffures sur le torse de DSK et de traces d’ADN ("vraisemblablement" de sperme) en cours d’exploitation, quels que soient les éléments invoqués, "les avocats de la défense n’ont aucun intérêt à montrer au parquet les cartes qu’ils ont en main tant que l’acte d’accusation n’est pas prononcé", explique Didier Rebut, professeur de droit à l’université Paris II et membre du club des juristes.

Liberté ou maintien en détention ?

C’est un juge (dont le rôle est comparable à celui de notre JLD) qui décide au bout de 24 heures si la personne soupçonnée doit attendre son procès en prison ou en liberté. Dans le cas de DSK, la garde à vue avait été prolongée pour qu’il ait le temps de se livrer à des prélèvements d’ADN, l’objectif étant de démontrer au juge que le procureur dispose de preuves suffisantes pour lui permettre de quitter le territoire en attendant son éventuel procès. La juge Melissa Jackson, non convaincue par ces éléments et craignant la fuite de DSK, a ordonné son maintien en détention. Le précédent de l’affaire Polanski et la pratique française de ne pas extrader ses nationaux ont aussi certainement pesé dans la balance.

L’acte d’accusation du grand jury visera-t-il les sept chefs d’accusation avancés par le procureur ?

"L’acte d’accusation (indictment) détermine la saisine du tribunal, précise Didier Rebut. Il est notifié par le ministère public, sauf dans les cas où, comme dans l’État de New York, subsiste l’institution du grand jury". Composé de 23 citoyens américains tirés au sort, c’est lui qui décide du renvoi ou non de l’affaire devant la Cour suprême de New York, où se tiendra le procès. Les jurés siègent à huis clos, en présence du district attorney et des témoins amenés à déposer. "Ils peuvent entendre le témoignage de l’accusé comme témoin, bien qu’il ne lui appartienne pas à ce stade de prouver son innocence. La victime sera probablement entendue", précise Pierre Hourcade, avocat aux barreaux de Paris, de New York et de Californie. A cette audience, le procureur se contente d’informer le grand jury de la teneur de ses preuves sans pour autant les produire. "Il fera tout pour convaincre les jurés qu’il existe suffisamment d’éléments justifiant un procès et pour les dissuader de poser des questions à DSK", présume l’avocat parisien Pierre Servan-Schreiber. Les jurés du grand jury ne retiendront pas forcément tous les chefs d’accusation proposés par le procureur.

Prolongation de la détention

L’accusé est ensuite traduit devant un juge qui procède à la lecture officielle des chefs d’accusation en audience publique. Il doit alors dire s’il plaide coupable ou non. De nouveau se posera la question de la prolongation de sa détention. Les avocats de DSK réitéreront leur demande de mise en liberté sous caution après l’audience du grand jury, qui peut s’accompagner d’une hypothèque sur ses biens, d’un bracelet électronique, d’une assignation à résidence chez sa fille, etc. La décision de maintien en détention est susceptible d’appel.

Dernier round avant le procès

C’est l’acte d’accusation qui donne le véritable coup d’envoi de la procédure contradictoire. Les avocats de DSK pourront mesurer leurs preuves à celles du procureur qui abattra ses cartes. Un juge est désigné pour suivre la préparation du procès. Il se borne à recueillir les preuves qui lui sont fournies par l’accusation et par la défense, sans pouvoir ordonner d’investigations pour compléter ou contredire ces preuves. "Il n’intervient que pour autoriser les actes d’investigation les plus coercitifs comme les perquisitions ou les mandats", précise Didier Rebut. C’est de bonne guerre, l’accusation doit répondre point par point aux "motions" (requêtes) de la défense destinées par exemple à entendre des témoins et faire pratiquer des expertises.

Plaider coupable ?

À tout moment, et jusqu’au procès, l’accusé peut décider de plaider coupable, mais cela est irréversible. Dans ce cas, il transigera avec le procureur sur une peine acceptable pour les deux parties, par définition très inférieure aux risques encourus dans un procès. "La grande majorité des procédures pénales initiées aux États-Unis se terminent par un plaider coupable négocié, souligne l’avocat franco-américain Ron Soffer. Cette sorte de marchandage entre l’accusation est la défense s’appelle le plea bargaining, dont s’inspire le plaider coupable français ou CRPC (procédure sur reconnaissance préalable de culpabilité)." La souplesse de cette procédure est telle qu’on peut tout négocier : le quantum de la peine, la prison dans laquelle elle s’exécutera, les mesures accompagnant la sortie, etc.", note Pierre Servan-Schreiber.

Preuves irréfutables de culpabilité

Si l’accusé plaide non coupable et que le procureur n’abandonne pas les poursuites, un procès public et contradictoire se tiendra à la Cour suprême de New York. Chaque partie fera citer ses témoins et apportera ses preuves. L’accusation doit prouver qu’il n’existe "aucun doute raisonnable" sur la culpabilité de l’accusé. Ce concept de beyond reasonnable doubt est la pierre angulaire du procès pénal anglo-saxon. Il a permis l’acquittement d’O. J. Simson, dont le jury avait estimé que le gant était trop petit pour sa main. "Ce système est bien plus favorable à la défense que celui de l’intime conviction", note Ron Soffer. Il suffit que l’un des jurés ait un doute sur la culpabilité pour que l’accusé soit innocenté.

Les jurés, qui sont au nombre de 12, délibéreront seuls et à huis clos et décideront à l’unanimité de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé. Si l’accusé est reconnu coupable, sa peine sera fixée par le juge lors d’une deuxième audience publique.

Le Point.fr – Publié le 18/05/2011 à 21:24

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