Donald Trump, le tonton d’Amérique plébiscité par les néo-souverainistes en Afrique*

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Isolationniste, autoritaire et anti-élites : le profil du président américain séduit les mouvements « patriotiques » qui accompagnent les régimes militaires du Sahel.

«Le futur n’appartient pas aux mondialistes. Le futur appartient aux patriotes. Le futur appartient aux nations souveraines et indépendantes qui protègent leurs citoyens, respectent leurs voisins, et honorent les différences qui rendent chaque pays spécial et unique.»

C’est par la diffusion sur les réseaux sociaux de cet extrait d’un discours enflammé de Donald Trump aux Nations unies, datant de 2019, que certains internautes au Mali ont salué son triomphe face à Kamala Harris. Au Sahel, comme ailleurs dans le monde, ce come-back politique du président américain a suscité de nombreux commentaires.

Les uns se sont livrés à une analyse des impacts de cette élection pour l’Afrique – sans doute limités, et en tout cas très incertains, Trump n’ayant jamais défini la moindre stratégie à l’égard du continent. D’autres ont appelé de leurs vœux un renforcement des liens avec le pays de l’oncle Sam.

En réalité, les Etats-Unis – pays ayant joué un rôle de premier plan dans l’essor du libéralisme et de la mondialisation – sont confrontés au déclin de leur influence. Or ce mouvement de repli nationaliste, observé aussi au Royaume-Uni avec le Brexit, a été impulsé lors du premier mandat du même Donald Trump.

La campagne électorale américaine a prouvé, si besoin était, que l’Afrique n’aura que peu d’importance – comme sous l’ère Biden – dans l’agenda international de la nouvelle administration américaine. Et pourtant, étrangement, «America First» résonne favorablement au sein de la galaxie «patriotique» urbaine de Bamako à Niamey, en passant par Ouagadougou, par Dakar, par N’Djamena, etc.

Dans ces Etats sahélo-sahariens pris à la gorge par de nouveaux enjeux géopolitiques (percée jihadiste, conflits locaux, mutations de la configuration sécuritaire par l’arrivée de nouveaux acteurs comme la Russie, la Turquie, l’Ukraine), on assiste au retour sur le devant de la scène politique de la question souverainiste. Investie par les pouvoirs militaires en place cette lame de fond a emporté sur son passage jusqu’aux troupes américaines chassées de leurs bases militaires au Niger.

Aux oubliettes, donc, le tropisme raciste d’un Donald Trump ayant qualifié publiquement les États du continent de «pays de merde», de «trous à rats» ? Malgré ces insultes, les affinités électives entre le 47e Président américain et les mouvements articulant la rhétorique néosouverainiste au Sahel semblent l’emporter. Dit autrement, la doctrine isolationniste, nationaliste de Trump s’emboîte avec le «respect de la souveraineté, des choix de partenaires, la défense des intérêts» érigés en principes sacro-saints par les pouvoirs militaires du Mali, du Niger et du Burkina.

Le candidat républicain jouit, a priori, du prestige de la non-ingérence de sa future administration. «Donald Trump-AES, même combat !» osait titrer au Mali le journal le Repère au lendemain de sa victoire (l’AES désigne l’Alliance des Etats du Sahel, l’organisation commune créée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger après leurs putschs respectifs).

Dans un contexte d’agrégation des crises au Sahel, s’est renforcée au fil des années, au sein d’une frange de la population, la prédilection pour l’homme fort, autoritaire, proche du peuple –ce qu’incarnent les militaire–, même sans vision structurée. Et Trump n’apparaît pas comme une menace sérieuse pour contester cette figure, étant lui-même l’incarnation de ce modèle de dirigeants «à poigne».

Le contrôle de l’information qui s’opère au Sahel

Le candidat républicain a notamment remporté l’élection par sa façon d’influencer l’opinion –à coup de contre-vérités, comme l’ont montré de nombreuses analyses. Ce rapport biaisé à la vérité n’est pas sans rappeler, mutatis mutandis, le contrôle de l’information qui s’opère au Sahel. Ce qui a valu à la région d’être cataloguée comme le «laboratoire de la désinformation et de la propagande», par l’organisation Reporters sans frontières en 2023.

Ce tournant stalinien a été justifié par la prétendue nécessité d’épurer les espaces politiques et économiques des influences impérialistes ou occidentales. Il s’est appuyé sur des mouvements se réclamant du panafricanisme. Mais ces organisations ont ensuite elles-mêmes été mises au pas quand leurs critiques ont visé les pouvoirs militaires. Ce fut le cas avec des leaders du mouvement Yerewolo-Debout sur les remparts au Mali.

Autre motif de résonance entre le trumpisme et le souverainisme sahélien : les critiques d’une partie des populations à l’encontre des élites politiques, accusées d’être «offshore» par rapport à la société. Façonnant ainsi cette «République malade des années d’errance et de démocratie factice», décrite par le Malien Ousmane Diarra dans son roman la Route des clameurs («Continents noirs», Gallimard, 2014).

Pour tout dire : les bouleversements au Sahel révèlent l’absence de références politiques stables et une mise à mal des fondations même de l’organisation sociale. Résultat des courses : dans certains discours, le repli identitaire est posé en remède à une globalisation jugée déviante et la définition du «soi-national» légitimée par un «soi-d’avant» romantisé. Le fameux «again» du slogan trumpiste «Make America Great Again».

Bokar Sangaré/www.liberation.fr

Bokar Sangaré, doctorant en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles

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