Il aurait pu disparaître dans l’anonymat total s’il n’était l’ouvrier d’un tournant que pour son seul pays d’origine. Seulement voilà : le parcours de Mikhaïl Sergeïevitch Gorbatchev, chef d’Etat de l’URSS et non de la Russie tel qu’il est injustement présenté, aura eu plus de retentissements planétaires qu’endogènes, pour avoir affecté le destin et l’orientation de toute l’humanité. Le nouveau bond révolutionnaire imprimé aux 15 pays de l’Union soviétiques sont passés par-là, sous le vocable de pérestroïka et glasnost (reconstruction et transparence), deux concepts porteurs de liberté et de libération des initiatives mais aussi d’une fin de l’Etat providence et son corollaire de répercussions négatives sur le vécu de l’homo soviéticus post-tyrannique ainsi que de démystification de sa grandeur utopique. Il n’est dès lors pas si étonnant que le principal acteur de ce bouleversement soit perçu, près d’une quarantaine d’année après, comme avatar de décadence et traité de tous les noms de diable y compris par ceux-là qui s’étaient délectés d’une levée de la chape de plomb consécutive à la chute du mur de Berlin, à l’émancipation des pré-carrés de l’empire soviétique et emprises de la Grande Russie tsariste. L’homme en paie le prix même à titre posthume et va devoir porter, longtemps après sa mort, le chapeau d’un démantèlement étatique à multiples portées et dimensions. Car, c’est à ses initiatives, à son esprit universaliste et d’ouverture que le Soviétique d’hier et le Russe d’aujourd’hui en particulier doivent la réhabilitation et la jouissance de certaines libertés et modes de pensées qui recèlent la grandeur et la fierté de la Russie orthodoxe. Mais, puisque la Russie actuelle rêve plus de puissance mondiale que de liberté ou de hauteur spirituelle, il est loisible de comprendre que Vladimir Poutine, président d’une fédération soudainement redevenue impérialiste, passe pour l’antithèse d’une figure historique dont il est pourtant le produit. Pour autant que la levée du rideau de fer a grassement profité au cercle oligarchique vicieux de Moscou et Petersbourg et que la dislocation de l’empire soviétique – dont il fait porter le péché au défunt M. Gorbatchev – avait été bel et bien précipitée par Boris Eltsine, son mentor qui lui a légué un si savoureux trône capitaliste.
Comme qui dirait que la responsabilité du choc produit par la chute du mur du Berlin ne lui est guère moins imputable et que la disgrâce auquel l’illustre défunt est vouée par ses soins n’est que le résultat de la trajectoire empruntée pour mieux implanter les leviers sur lesquels repose le confort du Kremlin : l’habilité à transformer le virtuel en réel ou à imposer par la tyrannie la perception et l’acceptation du virtuel comme réel.
Le dernier chef d’Etat de l’URSS, premier et dernier chef de la Communauté des Etats Indépendants, est manifestement la plus prestigieuse victime d’une machine à faire ou défaire des héros de l’histoire russe. Et s’il n’en a pas été un parmi les siens, c’est simplement qu’il n’a pas été assez dans la grâce de ceux qui en tiennent les manettes. La modestie de ses obsèques marque, en définitive, la troisième mort du nonagénaire artisan de la Pérestroïka, après avoir été contraint à la démission par les vrais acteurs de la dislocation de l’URSS, puis sacrifié comme un bouc émissaire pour les besoins et desseins propagandistes du rêve expansionniste de Vladimir Poutine.
A Keita