Vladimir Poutine a participé à la séance plénière de la 20e réunion anniversaire du Club de discussion international Valdaï.
Sotchi
Le thème de la réunion de cette année est
«Multipolarité équitable : comment assurer la sécurité et le développement pour tous»
Le modérateur de la discussion est le directeur scientifique du Club de discussion international Valdaï Fiodor Loukianov.
F. Loukianov : Bonsoir, chers collègues, chers amis !
Je suis heureux de vous accueillir à la 20e réunion annuelle du Valdaï International Discussion Club.
Aujourd’hui comme auparavant, nous avons le grand honneur que le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Vladimirovitch Poutine, participe à notre réunion – je suis heureux de vous le présenter.
Vladimir Vladimirovitch, nous tenons notre 20e réunion. Valdaï a 19 ans, et c’est la 20ème rencontre, ça arrive. Quand on regarde les archives de Valdaï, on a le sentiment qu’il s’agit de la chronique d’un tournant. C’était vraiment une période très intéressante. Nous sommes très honorés qu’au cours de ces 20 réunions, à mon avis, vous n’ayez pas manqué une seule fois et ayez rencontré vos collègues de Valdaï. Il y a ceux dans la salle qui vous ont déjà rencontré, et pour la première fois, et il y a ceux qui vous rencontrent pour la première fois.
Je serai très heureux de vous inviter à exprimer votre opinion actuelle.
Vladimir Poutine : Merci.
Chers participants de la séance plénière ! Collègues ! Mesdames et Messieurs !
Je suis heureux de vous accueillir à Sotchi à l’occasion de l’anniversaire, comme vient de le dire notre présentateur, de la vingtième réunion annuelle du Club de discussion international Valdaï.
Notre, ou, pourrait-on dire, votre forum, qui réunissait traditionnellement des hommes politiques et des scientifiques, des experts et des personnalités publiques de nombreux pays du monde, confirme une fois de plus le statut élevé d’une plateforme intellectuelle recherchée. Les Discussions Valdaï sont toujours le reflet des processus les plus importants de la politique mondiale du XXIe siècle dans toute leur intégralité et leur complexité. Je suis sûr que ce sera le cas aujourd’hui – c’était probablement déjà le cas les jours précédents lorsque vous discutiez entre vous, et cela continuera à être le cas, car nous sommes confrontés en fait à la tâche de construire un nouveau monde. Et à ces étapes déterminantes, le rôle et la responsabilité des intellectuels comme vous, chers collègues, sont extrêmement importants.
Au fil des années de travail du Club, tant dans le monde que dans notre pays, comme je viens de le dire, des changements sérieux, voire énormes, voire colossaux se sont produits. Selon les normes historiques, un délai de vingt ans, ce n’est pas tellement long, pas tellement considérable. Mais lorsqu’il incombe sur l’époque de l’effondrement de l’ordre mondial tout entier, le temps semble se comprimer.
Et je pense que vous conviendrez que plus d’événements se sont produits au cours de ces vingt années qu’à d’autres époques au cours de très nombreuses décennies, et ces changements sont qualitatifs et nécessitent des changements fondamentaux dans les principes mêmes des relations internationales.
Au début du XXIe siècle, on espérait que les États et les peuples auraient tiré les leçons de la confrontation militaro-idéologique coûteuse et destructrice du siècle dernier, qu’ils auraient pris conscience de son caractère destructeur, qu’ils auraient ressenti la fragilité et l’interdépendance de notre planète et qu’ils seraient convaincus que les problèmes globales de l’humanité nécessitaient une action commune et la recherche de solutions collectives. Tandis que l’égoïsme, la vanité et le mépris des défis réels nous mèneront inévitablement dans une impasse, tout comme la tentative du plus fort d’imposer ses propres idées et intérêts aux autres. Cela aurait dû devenir évident pour tout le monde – cela aurait dû le devenir, mais il s’est avéré que ce n’était pas le cas, pas du tout.
Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois lors de la réunion de Club il y a près de vingt ans, notre pays entrait dans une nouvelle étape de son développement. La Russie a surmonté la période de redressement la plus difficile après l’effondrement de l’URSS. Avec toute notre énergie et notre bonne volonté, nous nous sommes impliqués dans le processus de construction d’un nouvel ordre mondial, qui nous semblait plus équitable. Vu que notre pays peut y apporter une énorme contribution, car nous avons quelque chose à offrir à nos amis, à nos partenaires et au monde entier.
Malheureusement, certains ont mal compris notre disposition à une interaction constructive – ils l’ont compris comme une soumission, comme un accord selon lequel un nouvel ordre sera construit par ceux qui se sont déclarés vainqueurs de la guerre froide, en fait, comme une reconnaissance du fait que la Russie était prête à se tenir dans le sillage d’autrui, prête à se laisser guider non pas par ses propres intérêts nationaux, mais par ceux des autres.
Toutes ces années, nous avons averti à plusieurs reprises : cette approche ne mène pas seulement à une impasse, elle se heurte également à une menace croissante de conflit militaire. Mais personne ne daignait nous écouter ou nous entendre, personne ne le voulait. L’arrogance de nos soi-disant partenaires occidentaux, savez-vous, dépassait tout simplement les bornes, il est impossible de le formuler autrement.
Les États-Unis et leurs satellites ont fermement mis le cap sur l’hégémonie – militaire, politique, économique, culturelle, voire morale et axiologique. Dès le début, il était clair pour nous que les tentatives visant à établir un monopole étaient vouées à l’échec. Le monde est trop complexe et diversifié pour être subordonné à un seul schéma, même si derrière lui se cache le pouvoir, l’énorme pouvoir de l’Occident, accumulé au fil des siècles de politique coloniale. Après tout, vos collègues – nombreux sont ceux qui ne sont pas présents ici, mais ne nient pas que la prospérité de l’Occident a été largement obtenue grâce au pillage des colonies au fil des siècles. C’est un fait. En fait, ce niveau de développement a été atteint grâce au pillage de la planète entière. L’histoire de l’Occident est essentiellement une chronique d’expansion sans fin. L’influence occidentale dans le monde est une immense pyramide militaro-financière qui a constamment besoin de nouveaux carburants pour subvenir à ses besoins : des ressources naturelles, technologiques et humaines appartenant à d’autres. L’Occident ne peut donc tout simplement pas s’arrêter et n’a pas l’intention de le faire. Nos arguments, exhortations, appels à la raison et suggestions ont été tout simplement ignorés.
J’en ai déjà parlé publiquement – ainsi qu’à nos alliés, nos partenaires. Après tout, il y a eu un moment où votre humble serviteur a simplement suggéré : peut-être devrions-nous rejoindre l’OTAN ? Mais non, un tel pays n’est pas bienvenu au sein de l’OTAN. Non. La question était : bon, quoi d’autre ? Nous pensions que nous étions déjà les vôtres, pardonnez-moi ce mot, comme on dit chez nous, «bourgeouins» [Буржуинский, или буржуйский : appelation badine et péjorative de celui qui appartient ou se croit appartenir à la classe bourgeoise, la servir – NdT]. Que voulez-vous d’autre? Il n’y a plus d’affrontement idéologique. Quel est le problème ? Apparemment, le problème réside dans les intérêts géopolitiques et dans une attitude arrogante envers les autres. C’est ça le problème, une outrecuidance.
Une pression militaro-politique constamment croissante nécessite une réponse. J’ai dit à plusieurs reprises que nous n’avions pas déclenché la soi-disant «guerre en Ukraine». Au contraire, nous essayons d’en finir. Ce n’est pas nous qui avons organisé le coup d’État à Kiev en 2014 – un coup d’État sanglant et anticonstitutionnel. Partout où cela se produit, nous entendons toujours immédiatement dans tous les médias du monde, subordonnés, bien sûr, en premier lieu, au monde anglo-saxon : c’est impossible, c’est inadmissible, c’est antidémocratique. Mais ici, c’est possible. Ils ont même nommé la somme, le montant qui a été dépensé pour ce coup d’État. Tout est possible.
A l’époque, nous soutenions les habitants de Crimée et de Sébastopol. Nous n’avons pas organisé de coup d’État et nous n’avons pas intimidé les habitants de Crimée et de Sébastopol par un nettoyage ethnique dans l’esprit nazi. Ce n’est pas nous qui avons essayé de contraindre le Donbass à l’obéissance par des frappes et des bombardements. Ce n’est pas nous qui avons menacé de sévir contre ceux qui voulaient parler leur langue maternelle. Écoutez, tout le monde ici est informé et instruit. Bon, on peut, excusez mon mauvais ton, «poudrer des cervelles» de millions de personnes qui perçoivent la réalité à travers les médias. Mais vous savez ce qui s’est passé : pendant neuf ans, ils ont bombardé, tiré et utilisé des chars. La guerre, une guerre naturelle contre le Donbass, était déclenchée. Et personne n’a compté les enfants morts dans le Donbass. Personne dans d’autres pays, surtout en Occident, n’a pleuré pour les morts.
La guerre déclenchée par le régime de Kiev avec le soutien actif et direct de l’Occident en est maintenant à sa dixième année, et l’opération militaire spéciale vise à y mettre un terme. Et cela nous rappelle que les mesures unilatérales, peu importe qui les prend, entraîneront inévitablement des représailles. L’action, comme nous le savons, donne lieu à une réaction. C’est ce que fait tout État responsable, souverain, indépendant et qui se respecte.
Tout le monde est conscient que dans un système international où règne l’arbitraire, où tout est décidé par celui qui s’imagine exceptionnel, sans péché et le seul à avoir raison, n’importe qui peut être attaqué simplement parce que tel ou tel pays ne plait pas à l’hégémon qui a perdu le sens de la mesure et, j’ajouterais, le sens de la réalité.
Malheureusement, force est de constater que nos contreparties occidentales ont perdu le sens des réalités et ont franchi toutes les frontières possibles. À tort.
La crise ukrainienne n’est pas un conflit territorial, je tiens à le souligner. La Russie est le plus grand pays du monde et possède le plus grand territoire. Nous n’avons aucun intérêt à conquérir des territoires supplémentaires. Il nous reste encore à explorer et à développer la Sibérie, la Sibérie orientale et l’Extrême-Orient. Il ne s’agit pas d’un conflit territorial ni même de l’établissement d’un équilibre géopolitique régional. La question est bien plus vaste et fondamentale : nous parlons des principes sur lesquels reposera le nouvel ordre mondial.
Une paix durable ne sera établie que lorsque chacun commencera à se sentir en sécurité, à comprendre que son opinion est respectée et qu’il existe un équilibre dans le monde, lorsque personne ne sera en mesure de forcer ou de forcer les autres à vivre et à se comporter comme le souhaite l’hégémon, même si cela contredit la souveraineté, les intérêts véritables, les traditions et les fondements des peuples et des États. Dans un tel schéma, le concept même de toute forme de souveraineté est tout simplement nié et jeté, excusez-moi, à la poubelle.
Il est évident que l’adhésion aux approches de bloc, le désir de conduire le monde dans une situation de confrontation constante entre « nous et eux » sont un héritage vicieux du 20e siècle. C’est un produit de la culture politique occidentale, du moins dans ses manifestations les plus agressives. Je le répète, l’Occident – une certaine partie de l’Occident, les élites occidentales – a toujours besoin d’un ennemi. Il a besoin d’un ennemi contre lequel la lutte peut expliquer la nécessité des actions fortes et d’une expansion. Mais il est également nécessaire de maintenir un contrôle interne dans un certain système de cette même hégémonie, au sein des blocs – au sein de l’OTAN ou d’autres blocs militaro-politiques. Il y a un ennemi – tout le monde doit se rallier autour du patron.
La mode de vie des autres États ne nous regarde pas. Mais nous voyons comment, dans beaucoup d’entre eux, les élites dirigeantes forcent les sociétés à accepter des normes et des règles que les citoyens eux-mêmes – du moins un grand nombre de citoyens, et dans certains pays, on peut dire avec une certitude absolue, la majorité des citoyens – ne veulent pas accepter. Mais les élites les y astreignent, inventant constamment des raisons à cela, trouvant des coupables externes aux problèmes internes croissants, inventant et exagérant des menaces inexistantes.
Pour autant, la Russie est un sujet de prédilection pour ces hommes politiques. Bien entendu, nous y sommes déjà habitués, historiquement habitués. Mais ils tentent de créer l’image d’un ennemi parmi tous ceux qui ne sont pas prêts à suivre aveuglément ces élites occidentales. De n’importe qui : de la République populaire de Chine, dans certaines situations, à un certain moment, ils ont essayé la même chose avec l’Inde – maintenant ils flirtent, bien sûr, nous comprenons parfaitement cela, nous ressentons et voyons la situation en Asie, tout est clair. Les dirigeants indiens, je tiens à le dire, sont indépendants et très orientés vers le pays. Je pense que ces tentatives n’ont aucun sens, mais elles continuent néanmoins. Ils essaient de façonner un ennemi à partir du monde arabe, également de manière sélective, ils essaient d’agir avec prudence, mais néanmoins, en général, c’est à cela que tout se résume – et ils essaient même de façonner une sorte d’environnement hostile des musulmans. Et ainsi de suite. En fait, quiconque se comporte de manière indépendante et suit ses propres intérêts, est transformé instantanément par ces élites occidentales en un obstacle à éliminer.
Des structures géopolitiques artificielles sont imposées au monde et des formats de blocs fermés sont créés. Nous le constatons en Europe, où ils encouragent l’expansion de l’OTAN depuis des décennies, ainsi qu’en Asie-Pacifique et en Asie du Sud, où ils tentent de briser l’architecture ouverte et inclusive de la coopération. L’approche de bloc, appelons un chat un chat, est une restriction des droits et libertés des États à leur propre développement, une tentative de les enfermer dans une certaine cage d’obligations. Il s’agit dans une certaine mesure – et c’est une évidence – de la suppression d’une partie de la souveraineté, puis – et bien souvent – de l’imposition de décisions dans d’autres domaines que celui de la sécurité, et surtout dans le domaine économique, comme c’est ce qui se passe actuellement dans les relations entre les États-Unis et l’Europe. Il n’est pas nécessaire de l’expliquer, mais si cela est nécessaire, lors de la discussion qui suivra mon discours d’ouverture, nous en parlerons plus en détail.
Pour y parvenir, ils tentent de remplacer le droit international par «l’ordre» – quel genre d’«ordre» ? – basé sur certaines «règles». Ce que sont les «règles», quelles sont ces «règles» et qui les a inventées, ceci n’est absolument pas clair. C’est juste une sorte d’absurdité, d’ineptie. Mais ils essaient d’introduire cela dans la conscience de millions de personnes. «Il faut vivre selon les règles.» Mais selon quelles règles ??
Et en général, si je peux me permettre, nos collègues occidentaux, notamment américains, non seulement fixent arbitrairement de telles «règles», mais font également la leçon : qui doit les suivre et comment, qui doit se comporter en général et comment. Tout cela est fait et dit, en règle générale, d’une manière ouvertement grossière. C’est toujours la même manifestation de cette pensée coloniale. On entend tout le temps, ça sonne tout le temps : vous devez, vous êtes obligés, nous vous avertissons sérieusement…
Mais qui êtes-vous, généralement ? De quel droit avertissez-vous qui que ce soit ? C’est tout simplement incroyable. Peut-être que pour ceux qui disent cela, il est peut-être temps pour vous-mêmes de vous débarrasser de l’arrogance, de cesser de vous comporter par rapport à la communauté mondiale qui comprend parfaitement ses tâches, ses intérêts, et de vous débarrasser pour de bon de cette mentalité de l’ère de la domination coloniale ? Je voudrais dire : frottez vos yeux, cette époque est révolue depuis longtemps et ne reviendra jamais. Jamais.
Je dirai plus : au fil des siècles, un tel comportement a conduit à la reproduction de la même chose : de grandes guerres, pour la justification desquelles diverses justifications idéologiques, voire pseudo-morales, ont été inventées. C’est particulièrement dangereux aujourd’hui. L’humanité dispose de moyens qui, comme nous le savons, peuvent facilement détruire la planète entière, et la manipulation de la conscience à une échelle incroyable conduit à une perte du sens de la réalité. Bien sûr, nous devons sortir de ce cercle vicieux, nous devons chercher une issue. Si je comprends bien, chers amis et collègues, vous vous réunissez sur le site de Valdaï justement dans ce but.
Dans le Concept de politique étrangère russienne adopté cette année, notre pays est caractérisé comme un État-civilisation singulier. Cette formulation reflète de manière précise et succincte la façon dont nous comprenons non seulement notre propre développement, mais aussi les principes fondamentaux de l’ordre mondial, dont nous espérons la victoire.
Selon nous, la civilisation est un phénomène aux multiples facettes. Bien entendu, cela est interprété de différentes manières. Il y avait entre autres une interprétation ouvertement coloniale : il existe un certain « monde civilisé » qui sert de modèle aux autres, chacun doit suivre ces normes, ces modèles, et ceux qui ne sont pas d’accord seront poussés vers la «civilisation» avec le bâton d’un maître «éclairé». Ces temps, comme je viens de le dire, sont révolus et notre compréhension de la civilisation est complètement différente.
Premièrement, il existe de nombreuses civilisations, et aucune d’elles n’est meilleure ou pire qu’une autre. Elles ont des droits égaux en tant qu’interprètes des aspirations de leurs cultures et traditions, de leurs peuples. Pour chacun de nous, c’est différent. Pour moi, par exemple, ce sont les aspirations de notre peuple, mon peuple, dont j’ai eu la chance de faire partie.
Des penseurs éminents du monde entier, adeptes de l’approche civilisationnelle, ont réfléchi et continuent de réfléchir sur le concept de «civilisation». Il s’agit d’un phénomène à plusieurs composantes. Sans plonger dans les profondeurs philosophiques – ce n’est probablement ni le lieu ni le moment pour un tel raisonnement – essayons de le décrire par rapport à aujourd’hui, j’essaierai de le faire en détail.
Les principales qualités d’un État-civilisation sont la diversité et l’autosuffisance. Voici les deux composants principaux, à mon avis. Le monde moderne est étranger à toute unification ; chaque État et chaque société veut développer de manière indépendante sa propre voie de développement. Il s’appuie sur la culture et les traditions, renforcées par la géographie, l’expérience historique, tant ancienne que moderne, et les valeurs du peuple. Il s’agit d’une synthèse complexe au cours de laquelle émerge une communauté civilisationnelle unique. Son hétérogénéité et sa diversité sont la clé de la durabilité et du développement.
Au fil des âges, la Russie s’est formée comme un pays composé de différentes cultures, religions et nationalités. La civilisation russienne ne peut être réduite à un dénominateur commun, mais elle ne peut pas non plus être divisée, car elle n’existe que dans son intégrité, dans sa richesse spirituelle et culturelle. Maintenir la forte unité d’un tel État n’est pas une tâche facile.
Durant des siècles, nous avons fait face aux épreuves les plus difficiles. Nous les avons toujours surmontées, parfois à un prix très élevé, mais nous en avons toujours tiré des leçons pour l’avenir, en renforçant notre unité nationale et l’intégrité de l’État russien.
Aujourd’hui, cette expérience est vraiment inestimable. Le monde devient de plus en plus diversifié. Les méthodes de gestion simples, mettant tout le monde dans le même panier, comme on dit, auxquelles certains États sont habitués, ne peuvent pas faire face à toute la complexité des processus.
Qu’est-ce qui est très important à ajouter ici ? Un système étatique véritablement efficace et durable ne peut être imposé de l’extérieur. Elle se développe naturellement à partir des racines civilisationnelles des pays et des peuples, et la Russie, à cet égard, est un exemple de la manière dont cela se produit dans la vie, dans la pratique.
Le soutien civilisationnel est une condition nécessaire au succès dans le monde moderne, dans un monde chaotique, malheureusement dangereux et qui a perdu ses lignes directrices. De plus en plus d’États arrivent exactement à cette conclusion, conscients de leurs propres intérêts et besoins, de leurs opportunités et de leurs limites, de leur identité et de leur degré d’interconnexion avec le monde extérieur.
Je suis convaincu que l’humanité n’évolue pas vers une fragmentation en segments concurrents, ni vers une nouvelle confrontation de blocs, quelles qu’en soient les motivations, ni vers l’universalisme sans âme d’une nouvelle mondialisation – mais, au contraire, le monde est sur la voie d’une une synergie d’États-civilisations, de grands espaces, de communautés prenant conscience d’être justement telles.
En même temps, la civilisation n’est pas une structure universelle, une seule pour tous – cela n’arrive pas. Chacune d’elles est différente des autres, chacune est culturellement autonome, puisant ses principes idéologiques et ses valeurs dans sa propre histoire et ses propres traditions. Le respect de soi découle bien sûr du respect des autres, mais le respect de la part des autres y est aussi supposé. De sorte qu’une civilisation n’impose rien à personne, mais elle ne laisse personne non plus imposer quoi que ce soit à elle-même. Si chacun adhère exactement à cette règle, cela garantira une coexistence harmonieuse et une interaction créative de tous les acteurs des relations internationales.
Bien entendu, défendre son choix civilisationnel est une énorme responsabilité. Il s’agit de répondre aux attaques extérieures, d’établir des relations étroites et constructives avec d’autres communautés civilisées et, plus important encore, de maintenir la stabilité et l’harmonie internes. Après tout, nous constatons tous que l’environnement international actuel, comme je l’ai déjà dit, est malheureusement à la fois instable et assez agressif.
Et encore une chose très importante. Bien entendu, il est inadmissible de trahir sa civilisation à soi. C’est aussi une voie vers le chaos général, c’est contre nature et c’est dégoûtant, je dirais. De notre côté, nous avons toujours essayé et essayons de proposer des solutions qui prendraient en compte les intérêts de chacun. Mais nos interlocuteurs occidentaux semblent avoir complètement oublié qu’il existe des concepts tels que la retenue raisonnable, les compromis et la volonté de céder sur quelque chose pour obtenir un résultat acceptable pour tous. Non, ils ne sont littéralement obsédés que par une seule chose : pousser, justement pousser, et à tout prix, ici et maintenant leurs intérêts. Si tel est leur choix, on verra bien où ça mène.
Le paradoxe est que d’un jour à l’autre la situation peut changer : c’est là le problème. Par exemple, quand il y a des changements politiques internes suite aux élections. Aujourd’hui un pays insiste sur une chose donnée, il pousse ses actions à tout prix – et demain des changements politiques internes se produisent, et avec la même pression et le même sans-gêne, une chose complètement différente, parfois exactement le contraire de l’initiale, est imposée.
L’exemple le plus frappant est le programme nucléaire iranien. Une administration [étatsuniennne] a fait adopter une décision, mais une autre arrive, tout est inversé et tout va dans la direction opposée. Comment travailler dans de telles conditions ? Où sont les repères ? Sur quoi s’appuyer ? Où sont les garanties ? S’agit-il précisément des «règles» dont on nous parle ? C’est juste une absurdité.
Pourquoi tout cela arrive-t-il et pourquoi cela ne dérange personne ? Parce que la pensée stratégique a été remplacée par la poursuite des intérêts égoïstes à court terme, non même des pays et des peuples, mais de groupes d’influence succédant l’un à l’autre. D’où l’incroyable irresponsabilité du comportement des élites politiques, qui oublient souvent la peur et la honte et se considèrent absolument sans péché.
L’approche civilisationnelle s’oppose à de telles tendances parce qu’elle se fonde sur les intérêts fondamentaux à long terme des États et des peuples. Des intérêts qui ne sont pas dictés par la conjoncture idéologique momentanée, mais par toute l’expérience historique, l’héritage du passé, sur lequel repose l’idée d’un avenir harmonieux.
Si tout le monde s’inspire justement de cela, il y aura, à mon avis, beaucoup moins de conflits dans le monde et les méthodes pour les résoudre deviendront beaucoup plus rationnelles, car toute civilisation, comme je l’ai déjà dit, respecte les autres et n’essaie de changer personne selon sa propre vision.
Chers amis, j’ai lu avec intérêt le rapport préparé par le Club Valdaï pour la présente réunion. Il en découle qu’aujourd’hui chacun essaie de comprendre, de se représenter l’image du futur. C’est tout à fait naturel et compréhensible, surtout pour un environnement intellectuel. À l’époque de changements dramatiques, où toute la mode de vie familière s’effondre, il est très important de comprendre où nous allons et ce que nous voulons réaliser. Et bien sûr, l’avenir se crée aujourd’hui, non seulement sous nos yeux, mais aussi avec nos mains.
Bien entendu, lorsqu’il s’agit de processus aussi gigantesques et incroyablement complexes, il est difficile, voire presque impossible, d’en prédire l’issue. Peu importe ce que nous faisons tous, la vie fera certainement ses propres ajustements. Mais nous devons au moins être conscients de ce que nous recherchons, de ce que nous voulons réaliser. Et une telle entente existe en Russie.
Primo. Nous voulons vivre dans un monde ouvert et interconnecté dans lequel personne ne tentera jamais d’ériger des barrières artificielles à la communication, à la créativité et à la prospérité des individus. Il devrait y avoir un environnement sans barrières – c’est ce vers quoi nous devons tendre.
Secundo. Nous voulons que la diversité du monde ne soit pas seulement préservée, mais qu’elle soit le fondement du développement universel. Il devrait être interdit d’imposer à un pays ou à un peuple la façon dont ils devraient vivre, l’idée qu’ils devraient faire d’eux-mêmes. Seule une véritable diversité culturelle et civilisationnelle garantira le bien-être des peuples et l’équilibre des intérêts.
Tertio. Nous tenons pour une représentativité maximale. Personne n’a le droit et ne peut gouverner le monde à la place des autres ou au nom des autres. Le monde de demain est un monde de décisions collectives prises aux niveaux où elles sont les plus efficaces et par les participants réellement capables d’apporter une contribution significative à la résolution d’un problème spécifique. Pas une seule personne ne décide pour tout le monde, et tout le monde ne décide même pas de tout, mais ceux qui sont directement concernés par telle ou telle question s’accordent sur quoi et comment faire.
Quarto. Nous tenons pour une sécurité universelle et une paix durable, fondées sur le respect des intérêts de chacun, des grands États aux petits pays. L’essentiel est de libérer les relations internationales de l’approche de bloc, de l’héritage de l’ère coloniale et de la guerre froide. Nous parlons depuis des décennies de l’indivisibilité de la sécurité, du fait qu’il est impossible d’assurer la sécurité des uns au détriment de celle des autres. En effet, l’harmonie dans ce domaine est réalisable. Il suffit de mettre de côté l’orgueil, l’arrogance et d’arrêter de considérer les autres comme des partenaires de seconde zone, des parias ou des sauvages.
Quinto. Nous tenons pour la justice pour tous. L’ère de l’exploitation de qui que ce soit, je l’ai déjà dit à deux reprises, est tombée dans le domaine du passé. Les pays et les peuples sont clairement conscients de leurs intérêts et de leurs capacités et sont prêts à compter sur eux-mêmes, ce qui accroît leur force. Tout le monde devrait avoir accès aux avantages du développement moderne, et les tentatives de le limiter à un pays ou à un peuple donné devraient être considérées comme un acte d’agression, et toc.
Sexto. Nous tenons pour l’égalité en droit, pour la différence de potentiel entre les différents pays. C’est un facteur absolument objectif. Mais non moins objectif est le fait que personne n’est plus prêt à obéir, à faire dépendre ses intérêts et ses besoins de qui que ce soit, et surtout des plus riches et des plus puissants.
Il ne s’agit pas seulement de l’état naturel de la communauté internationale, mais de la quintessence de toute l’expérience historique de l’humanité.
Ce sont ces principes auxquels nous souhaitons nous-mêmes adhérer et auxquels nous invitons tous nos amis et collègues à adhérer.
Chers collègues !
La Russie était, est et sera l’un des fondements du système mondial, prête à une interaction constructive avec tous ceux qui luttent pour la paix et la prospérité, prête à s’opposer fermement à ceux qui professent les principes de la dictature et de la violence. Nous sommes convaincus que le pragmatisme et le bon sens triompheront et qu’un monde multipolaire s’établira.
En conclusion, je voudrais exprimer ma gratitude aux organisateurs du forum, pour une préparation, comme toujours, minutieuse et de haute qualité, et à tous les participants à la réunion anniversaire, je voudrais exprimer la gratitude pour votre attention.
Merci beaucoup.
(Applaudissements.)
Traduit par Valerik
source : Le site du Kremlin