Mardi 9 février, s’ouvre devant le Sénat américain à Washington le deuxième procès en destitution contre Donald Trump. L’ancien président est accusé d’« incitation à l’insurrection ». Il sera jugé par les sénateurs pour son rôle supposé dans l’attaque du Capitole par ses partisans le 6 janvier 2020.
Quelle sera la ligne de défense de Donald Trump ? Dans son argumentaire de 14 pages l’équipe juridique de l’ex-président emploie un argument principal : on ne peut pas destituer un président qui n’en est plus un. Or depuis le 20 janvier, Donald Trump est redevenu un simple citoyen. Les avocats contestent ainsi la légitimité même du procès en destitution contre leur client.
Peut-on destituer un président qui n’en est plus un ?
Sur ce point précis, l’interprétation de la Constitution américaine fait actuellement l’objet d’un vif débat aux États-Unis. Ceux qui considèrent que l’on peut mener ce procès contre Donald Trump estiment que « l’impeachment britannique, qui est à l’origine de l’impeachment américain, permettait de poursuivre les ministres qui étaient sortis de charge. Les pères fondateurs américains semblaient l’entendre de cette oreille et considérer qu’on pouvait poursuivre un officiel civil qui ne serait plus en fonction au moment de son procès », explique Julien Boudon, professeur de droit public à l’université Paris Saclay et spécialiste de la Constitution américaine.
En face, il y a ceux qui estiment qu’« on ne peut pas destituer un président qui n’est plus en fonction », poursuit ce spécialiste de la constitution américaine qui met en avant les précédents : « à au moins à trois reprises, le Sénat américain a décidé de ne pas poursuivre et de ne même pas organiser un procès dès lors que l’officier civil poursuivi avait préventivement démissionné de son poste. Cela a été le cas avec le juge English en 1926 et très récemment, en 2009, cela a été le cas avec le juge Kent. Il y a un seul contre-exemple, de 1876, quand le secrétaire à la Guerre, Belknap a démissionné quelques heures avant d’être mis en accusation. Non seulement la Chambre des représentants a voté des articles d’impeachment mais le Sénat a également organisé un procès contre Belknap pour finalement l’acquitter ».
Comme de nombreux constitutionnalistes américains, Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l’Université Paris II, met en avant le danger qu’implique l’argument selon lequel il n’est pas possible de poursuivre un président après la fin de son mandat. « Cela voudrait dire qu’en fin de mandat, un président pourrait devenir un révolutionnaire, de s’accrocher au pouvoir sans craindre des poursuites ».
Sachant justement que les débats au Sénat lors du procès de Donald Trump risquent d’être tendus sur ce point, les avocats de l’ex-président avancent un deuxième argument.
La liberté d’expression
Ils invoquent le premier amendement qui garantit la liberté d’expression. Au nom de cette liberté, Donald Trump aurait eu le droit de dire ce qu’il voulait lors du rassemblement à Washington qui a précédé l’assaut du Capitole.
Pourtant, « ce premier amendement a été très souvent réinterprété par la Cour suprême », fait remarquer Jean-Eric Branaa. « Notamment dans les années 1960 quand les juges ont statué que si les paroles qui ont été prononcées amènent à des actions qui peuvent entraîner des morts ou des blessés, le principe de la liberté de parole ne prévaut pas. Ces paroles prononcées peuvent alors être poursuivies en justice. Et on se trouverait bien dans ce cas de figure avec Donald Trump ».
Le casse-tête des sénateurs républicains
Après la mise en accusation de Donald Trump par les élus de la Chambre des représentants, les sénateurs jouent à la fois le rôle de jurés et de juges durant le procès en destitution. Sauf coup de théâtre, la très grande majorité des sénateurs républicains devraient s’aligner sur les arguments de défense avancés par Donald Trump. Les conservateurs évitent ainsi à devoir se prononcer sur le fond : Donald Trump a-t-il incité ses partisans à attaquer le temple de la démocratie américaine? Cette question est plus qu’inconfortable alors que le parti républicain est « au bord de l’implosion », estime Jean-Eric Branaa, et que les élections de mi-mandat 2022 approchent à grands pas.
« Dans ce nouvel ère post-Trump qui s’ouvre, le parti républicain est traversé par une faille », explique Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord à l’Institut français des relations internationales. D’un côté il y a « ceux qui continuent à soutenir l’ex-président Trump, soit par calcul électoraliste parce que leur base suit Trump et par conséquence ils en font autant, soit par conviction personnelle. Et puis de l’autre côté il y a le courant du parti républicain qui voit bien que cette ligne extrémiste n’est pas raisonnable ».
« Le parti républicain se pose des questions métaphysiques », lance Julien Boudon. « Va-t-il tirer du côté populiste incarné par Donald Trump ? Ou est-ce que le vieux parti républicain, qui est quand même celui d’Abraham Lincoln, va-t-il se ressaisir et revenir sur une ligne beaucoup plus classique ? ». Pour les conservateurs il est urgent de trouver des réponses à ces questions. « Mais pas devant les caméras lors d’un procès en destitution contre celui qui a été leur champion et leur président pendant les quatre dernières années. Le parti républicain ne veut pas laver son linge sale en public ». Et Jean-Eric Branaa d’ironiser : « Je pense que si certains [sénateurs républicains ndlr] pourraient avoir piscine ou un mot de leurs parents pour être absents ce jour-là, ils prendraient ».
Dans ce contexte il est donc plus qu’improbable qu’un nombre suffisant de sénateurs républicains votera en faveur de la destitution de Donald Trump. Il en faudrait 17 pour arriver aux deux tiers requis.
À quoi sert un procès quand on sait par avance que l’accusé ne sera très probablement pas condamné ?
Pourtant la tenue de ce procès en destitution est importante pour plusieurs raisons : premièrement, sur le plan juridique, la mise en accusation de Donald Trump par la Chambre des représentants le 13 janvier « a empêché Donald Trump de se gracier lui-même », fait savoir le juriste Julien Boudon.
Deuxièmement, après le choc aux États-Unis et dans le monde entier face aux images de cette foule violente qui envahit le Capitole, « il fallait absolument marquer le coup » et démontrer que la démocratie américaine sait se défendre quand elle est attaquée insiste Laurence Nardon pour qui ce procès sera crucial « pour l’histoire et le sens moral du système politique américain ».
Et puis Donald Trump est « déjà sanctionné parce qu’il restera dans l’histoire comme le président avec deux impeachments, deux mises en accusation. Ce n’est jamais arrivé et ce n’est pas le titre le plus glorieux qu’on veut amener avec soit dans la postérité », estime Jean-Eric Branaa. « Ce que les livres d’Histoire retiendront encore c’est cette fin de mandat absolument chaotique pendant laquelle il a contesté les résultats pied à pied dans plus de soixante procès qu’il a tous perdu, avec une rhétorique sur la fraude qui était absolument infâme ».
Le risque d’un deuxième acquittement de Donald Trump
Un deuxième acquittement de Donald Trump n’est pas sans risque : le 45e président américain pourra alors clamer sa victoire face au Congrès. Et ses partisans n’y verront qu’une preuve de plus pour la thèse que l’élection leur a été volée. C’était précisément la raison pour laquelle ils ont pris d’assaut le Capitole, le 6 janvier dernier.
RFI