Dans le Bronx, sur les traces de Nafissatou Diallo

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 REPORTAGE – Avant l’affaire DSK, la plaignante et sa fille habitaient un immeuble HLM situé dans un quartier pauvre et animé de New York.

«Quoi, c’est elle?!» La jeune et jolie serveuse malienne, resplendissante dans sa longue robe boubou bleu outre-mer, n’en croit pas ses oreilles. Au nom de «Nafissatou», Julie a littéralement bondi de sa chaise. Comme tous les New-Yorkais, elle a suivi dans les médias l’affaire du VIP français qui s’est fait arrêter par la police dans un avion d’Air France, qui a été jeté en prison, qui a été libéré après le paiement d’une caution astronomique et qui est aujourd’hui en résidence surveillé, inculpé de tentative de viol sur la personne d’une femme de chambre guinéenne.

Mais Julie – ce n’est pas son prénom malien de naissance, mais celui qu’elle s’est choisi en Amérique – n’aurait jamais pu imaginer que la plaignante n’était autre que son ancienne collègue de travail, dans ce tout petit restaurant «africain-américain» perdu au fin fond du Bronx. Pour des raisons légales, la presse américaine ne publie jamais le nom des victimes d’actes criminels, mais seulement celui des prévenus. Le syntagme «Nafissatou Diallo» n’a donc jamais encore été publié aux États-Unis.

Situé au coin de l’avenue Sheridan et de la 170e Rue, dans un quartier vivant, commerçant, plein d’enfants jouant dans les rues, aux résidents chaleureux à l’égard des étrangers cherchant leur chemin, l’African American Marayway Restaurant est un petit café très simple, dont la salle n’est pas plus grande que la cuisine. Les clients, dont la moitié au moins proviennent de l’Afrique francophone musulmane, clament en entrant un sonore «Salam Aleikoum!» («la paix soit avec vous», en arabe). Comme il n’y a, en tout et pour tout, que trois tables en Formica, peu de clients s’attablent. Ils viennent chercher, en «take away», des ragoûts africains que le patron cuisine dans d’immenses fait-tout et que sa femme dispose dans des plats en aluminium à plusieurs cases. Bien que d’origine gambienne, le couple parle un bon français. Les murs sont couverts de diplômes, montrant que le restaurant a réuni tous les certificats d’hygiène et de qualité délivrés par la profession. Pas d’alcool en vente. Dans un coin, une télévision, diffusant les programmes sérieux d’information en langue anglaise de la grande chaîne d’État chinoise CCTV.

Des immigrés de fraîche date
Dans ce quartier très animé, nous ne verrons pas un seul Blanc d’origine européenne en tout une journée. Peu de Noirs américains d’origine; la plupart des résidents sont des immigrés de fraîche date, d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique latine. Pas de violence apparente, pas de trafic de drogue visible. Pas de taxis jaunes, mais une noria d’antiques bus de ramassage scolaire. On est juste à un petit niveau au-dessus de la misère. Comme ailleurs à New York, les gens se parlent avec politesse mais toujours rapidement, en allant droit au fait.

C’est ici que Nafissatou Diallo travaillait, sans contrat formel, comme serveuse, de 17 heures à 23 heures, parfois six jours sur sept, avant de réussir à se faire embaucher, il y a trois ans, comme femme de chambre au Sofitel, boulot stable représentant une réelle ascension sociale pour la jeune immigrée guinéenne. Julie la décrit comme «une jolie femme au teint clair, agréable camarade de travail». Les deux jeunes femmes se saluaient toujours en français, langue que Nafissatou maîtrisait cependant beaucoup moins bien que Julie, laquelle eut la chance de recevoir au Mali une solide instruction «franco-arabe». Nafi était peu expansive. Julie savait juste qu’elle était veuve et qu’elle avait une fille, vivant avec elle dans un petit appartement du Bronx, à un quart d’heure à pied du restaurant.

Vie modeste
Aucun boy friend n’est jamais venu chercher Nafi à la fin de son travail et jamais la Guinéenne n’a fait, dans sa conversation, la moindre allusion à une sortie où elle se serait amusée. Bref, le profil d’une jeune femme sérieuse, consacrant tout son temps libre à l’éducation de sa fille unique (aujourd’hui âgée de 15 ans), qui, elle, a la chance – que Nafi n’a pas eue en Guinée puis au Sénégal – d’être dûment scolarisée.

Le patron du restaurant est moins affable que sa serveuse Julie. Il consent toutefois à dire qu’elle était travailleuse, efficace, et qu’il n’a jamais eu la moindre altercation avec son employée Nafissatou.

Au coin de la 165e Rue et du boulevard Gerard, on trouve le HLM gris où habitaient Nafi et sa fille avant le drame. Un jeune garçon noir sort de l’immeuble. Il est timide, poli, souriant. Il connaissait un peu la fille de Nafi (mais pas la mère), et était même allé une fois jouer avec elle dans l’appartement 4G, que Nafi sous-louait à une nommée «Noemi Fernandez». Aucun élément particulier de décoration dont il se souvienne. Visiblement, un deux-pièces où il n’y avait que le strict nécessaire. Les commerces voisins – un salon de beauté, une grosse épicerie-traiteur hispanique, un fast-food américain – n’ont jamais eu la visite de Nafi (qui préférait fréquenter les épiceries africaines francophones de Harlem).

On sort de là avec l’impression d’une vie extrêmement modeste, où Nafi n’avait pas un dollar à consacrer à la moindre dépense futile. Un univers aux antipodes de la gauche caviar parisienne…

Lefigaro.fr – 01/06/2011

 

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