Vendredi 06 Octobre 2006, se tient à Abuja, au Nigeria, un important sommet de la Cedeao consacré à la crise ivoirienne. Toute la diplomatie française est mobilisée depuis quelques semaines déjà. La raison est simple: Paris tente de convaincre les chefs d’Etat de la sous région ouest africaine de l’importante
nécessité d’avoir un consensus africain sur la sortie de crise en Côte d’Ivoire. Des non-papiers sont acheminés à toutes les ambassades ouest africaines pour suggérer la position de Paris.
Paris envisage notamment la suspension de la Constitution ivoirienne et la mise en place d’un nouveau cadre institutionnel. L’objectif est clair : dépouiller Laurent Gbagbo de tous ses pouvoirs au profit du Premier ministre. Le neutraliser dans une sorte de conseil Présidentiel où devraient aussi bien siéger les trois autres leaders politiques ivoiriens (Messieurs Henri Konan Bédié, Président du PDCI, Alassane Dramane Ouattara, Président du RDR et Soro Kigbafori Guillaume, Secrétaire Général de l’ex-rébellion).
C’est depuis quelques jours déjà que l’ambassadeur de France au Nigeria a mis en branle tous les agents des services secrets pour collecter l’ensemble des informations utiles à éclairer Paris sur l’issue d’une telle concertation. L’enjeu est très important, aussi les grands moyens sont déployés. C’est heure par heure que Paris note l’arrivée des Chefs d’Etat à l’aéroport international d’Abuja. Le premier à fouler le tarmac est le Président Wade du Sénégal, suivi des autres Chefs d’Etat et de Gouvernement.
Mohamed Ibn Chambas, Secrétaire exécutif de la Cedeao a passé toute une nuit blanche. La nuit du jeudi à vendredi est laborieuse. Faisant la navette entre les chambres d’hôtel des Ministres des Affaires Etrangères du Sénégal Cheick Tidjane Gadio, Youssouf Ouédraogo, Ministre des Affaires Etrangères du Burkina et Aïchatou Mindaoudou, Ministre des Affaires Etrangères du Niger, il est tenu de mettre la touche finale aux recommandations de la Cedeao. C’est à 5 heures du matin qu’il rentre chez lui essoré, mais avec la satisfaction personnelle d’avoir tout bien ficelé.
Quelques heures plus tôt, en compagnie de Gérard Stoudmann, de l’Ambassadeur Ralph Uwechue et l’Ambassadeur Pierre Schori, respectivement Haut
Représentant de l’ONU chargé des Elections en Côte d’Ivoire et Représentants Spéciaux à Abidjan du Secrétaire Général de la CEDEAO et du Secrétaire
Général de l’ONU, Kofi Anann, Ibn Chambas avait rencontré le Président Obasanjo qui avait donné son accord et sa bénédiction au projet de recommandations.
L’Ambassadeur de France au Nigeria, Yves Gaudel peut conclure dans un message crypté à l’attention de la Rue Monsieur et de l’Élysée que « Le sommet a accouché d’une souris. Le Président Amadou Toumani Touré du Mali en porte l’entière responsabilité. » Monsieur René Roudaut directeur de cabinet du ministère de la Coopération qui est chargé de porter le message à Madame son ministre Brigitte Girardin, outré, maugrée : « Quel traître ! ».
Les services secrets, qui ont reconstitué les minutes du sommet de la Cedeao, établissent qu’au cours des débats du huis clos des Chefs d’Etat, trois tendances se sont nettement dégagées:
– Une tendance favorable au Président Laurent Gbagbo, conduite par le Président ATT et composée des Présidents Pedro Pires du Cap-Vert et Nino Vieira de la Guinée-Bissau.
– Une autre tendance plutôt muette, composée du Président Faure Gnassingbé du Togo, du Président Yayi Boni du Bénin.
– Et enfin la dernière tendance favorable à des mesures vigoureuses et courageuses, composée des Présidents Obasanjo du Nigeria, Tandja du Niger, Wade du Sénégal et Blaise Compaoré du Burkina.
ATT jette son masque
Vendredi 6 Octobre. Il est 10 heures à Abuja. Sur recommandation de ses Services le Président Chirac téléphone en personne à ses homologues Obasanjo et Tandja. Il assure chacun du soutien de la France. A 14 heures, le Président Bush appelle le Président Wade pour parler du Darfour. Le Président Sénégalais lui vend l’idée d’un Comité des Sages de Chefs d’Etat africains (Bongo du Gabon, Obasanjo du Nigeria et Wade du Sénégal) qui doit se rendre auprès du Président Soudanais Béchir pour le convaincre de souscrire à la venue d’une force onusienne dans son pays. Bush acquiesce. Subtilement, faisant d’une pierre deux coups, le Président Wade informe le Président américain du dossier ivoirien qui, sans hésiter, l’assure du soutien des Etats-Unis.
Aux alentours de 15 heures, Mohamed Ibn Chambas propose le projet de recommandations aux Chefs d’Etat. Le débat s’anime sans tarder. Les échanges sont quelquefois houleux entre partisans et adversaires du projet de recommandations.
La situation est périlleuse et désavantageuse pour Laurent Gbagbo. Ses soutiens sont obligés de jeter leurs énergies dans la bataille comme certainement convenu. Le Président ATT, pour une fois, et à la surprise générale est prolixe. Il prendra à sept reprises la parole au cours de la concertation. Et à chaque fois, il estime inacceptables toutes les mesures vigoureuses envisagées à l’encontre du Régime d’Abidjan. Il va jusqu’à déclarer que Laurent Gbagbo est un Président élu comme tous. Qu’il tient son mandat du seul peuple souverain de Côte d’Ivoire et non de la CEDEAO qui, martèle-t-il n’a aucune compétence pour le déchoir d’un tel piédestal. Ses pairs lui rappellent avec raison que le mandat constitutionnel de Laurent Gbagbo a expiré depuis le 31 octobre 2005, comme s’il l’ignorait. Qu’à cela ne tienne !
– Suggère-t-on de faire de Laurent Gbagbo un chef d’Etat protocolaire ? ATT s’y oppose farouchement et avec une rare virulence. Ce, par principe argue-t-il ! Son pays, tout comme la Côte d’Ivoire, serait régi par le système présidentialiste.
– A peine a-t-on évoqué la suspension de la constitution ivoirienne ? Piqué au vif, ATT manque de s’étouffer. Il est criminel d’imaginer commente-t-il,
un pays sans Constitution. Lui indique-t-on la possibilité de l’adoption d’un acte constitutionnel le temps de la transition? ATT ne décolère pas. Il ne se laisse pas démonter !
Notons toutefois qu’il se bat tant et si bien, aidé des autres dévots du Chef de l’Etat ivoirien, tous à sa rescousse, qu’ils finissent par neutraliser la
réunion, édulcorant et diluant ainsi les sérieuses recommandations de ce sommet pourtant si attendu. L’échec est cuisant. ATT en est responsable.
Monsieur Michel De Bonnecorse, après avoir pris connaissance du compte rendu fait par les services, est désemparé. C’est vrai que Paris n’avait pas compté avec le «Furtif ». C’est ainsi que Paris, par langage codé, désigne le Président malien. Paris a toujours considéré qu’ATT est sans personnalité, fuyant toujours ses responsabilités. Une véritable marionnette. Faible et indécis, il est incapable d’une position de fermeté. Paris avait fini par l’ignorer
car, au cours des sommets précédents, il n’avait jamais osé la prise de parole pour se déterminer clairement face à la crise ivoirienne. Le danger est
toujours là où on s’y attend le moins. Depuis le début de la crise ivoirienne ATT s’est toujours caractérisé par le double jeu. Ses tergiversations sa concussion d’avec la rébellion ivoirienne et sa compromission vénale avec le régime de Laurent Gbagbo lui imposaient le silence. Si pour certaines diplomaties le soutien affiché d’ATT au régime d’Abidjan est une très grande surprise – tant il est vrai que Laurent Gbagbo n’a jamais manqué l’occasion d’accuser le Mali de soutien avéré à la rébellion – il n’en est pas vraiment pour Paris qui, depuis quelques années déjà, est informé et intrigué par le double-jeu du patron du Mont Koulouba.
Mais comment en est-on arrivé là ? Revenons quelques mois en arrière. Courant du mois de Février 2006, Paris est alerté. Le Président ATT s’active à la préparation des futures élections présidentielles au Mali. Il compte briguer un second mandat. Mais les moyens lui font défaut.
L’Argent: Le seul crédo d’ATT
ATT a besoin d’argent, beaucoup d’argent surtout au terme d’un mandat terne, ponctué de plusieurs soubresauts. Une crise acridienne provoquant une crise alimentaire aigue. Une inflation galopante sans précédent. Le tout couronné par une rébellion touarègue dans le nord du pays. Le bilan est plus
calamiteux que reluisant et les perspectives nébuleuses. Les élections sont dispendieuses au Mali et le pays est pauvre. Il s’ouvre à des conseillers
très influents.
C’est le déclenchement de la course à la recherche d’argent et d’alliances. Un de ses conseillers bien connu au Mali se rend à Paris dans la ferme intention de trouver des sources de financement conséquent. Après moult péripéties et tractations, une âme charitable lui conseille le contact d’Albert Bourgi, bien connu dans le milieu de la presse africaine sur la place de Paris. Une sorte de mécène de la plume.
Albert, frère aîné des Bourgi, est un ami très proche de Laurent Gbagbo. Il a mis toute son intelligence, son énergie et sa plume au service du régime
d’Abidjan. Rendez-vous est pris au restaurant chinois DIEPP, dans le 8ème arrondissement de Paris. Autour de plats chinois, les deux hommes se mettent d’accord. Albert Bourgi doit convaincre Laurent Gbagbo de financer la campagne électorale d’ATT. Quelques jours plus tard, investi de la mission que l’on sait, Bougi se rend à Abidjan. Il sait la tâche difficile mais pas impossible. C’est sans surprise que Gbagbo oppose un refus catégorique. Il se dit trahi par ATT qu’il avait déjà soutenu et financé lors de la dernière élection présidentielle du Mali. Il insiste sur le soutien que ATT apporte aux rebelles du Nord. Il révèle à Bourgi qu’un des rebelles repentis du nom d’AB dit «le Lion», qui séjourne actuellement au Bénin avec le Sergent Coulibaly Ibrahim dit IB, a avoué bien de choses à un de ses guides spirituels : le pasteur Koré Moïse. AB affirme être l’auteur du casse de la Bceao de Man. Une bonne partie de cette somme aurait servi à financer certaines activités d’ATT. Les fonds étaient acheminés par le truchement de l’ancien patron de la sécurité d’Etat malienne, le Colonel Cissoko. En contrepartie, la protection de l’Etat malien lui était garantie.
Aujourd’hui, AB dénonce la cupidité des autorités maliennes qui ont fini par le ruiner et le contraindre à quitter le pays. Il a naturellement échoué dans les
bras d’IB, un autre bénéficiaire de la manne de la casse de la Bceao de Man. Laurent Gbagbo est amer. Il n’arrête pas de traiter ATT de plaisantin et de faux c. !
Le deal
Mais Albert Bourgi a de l’entregent. A force d’insistance et de persuasion, il finit par obtenir de Laurent Gbagbo qu’il use de ruse. Bourgi lui fait bien
comprendre qu’il y a grand intérêt à conclure un deal. Le mandat accordé, par la communauté internationale, arrivant à échéance sous peu, il est urgent d’avoir des alliés au sein de la Cedeao dont il n’ignore point la tenace hostilité. Gbagbo finit par se laisser attendrir. Après quelques coups de fil entre Abidjan et Bamako, l’affaire est conclue. Laurent Gbagbo est d’accord sur deux points :
– financer la campagne d’ATT à hauteur de 5 millions de dollars.
– se démarquer de Ibrahim Boubacar Kéita (IBK), actuel Président du Parlement malien et potentiel adversaire d’ATT à l’élection présidentielle.
De son côté, ATT s’engage à combattre la rébellion et l’opposition politique ivoirienne et à mettre le Mali dans une offensive diplomatique en faveur de Gbagbo.
Mais cette fois-ci, Gbagbo exige des garanties. Il veut constater les prémices du soutien d’ATT avant de délier la bourse. De toutes les façons, Albert Bourgi est satisfait. Sa mission est un succès. Il retourne sur Paris, non sans avoir bénéficié des largesses de son hôte.
La première valise de dollars est convoyée à Bamako au Mont Koulouba via Mlle Sophie (…).
ATT a cependant un problème : comment amener son entourage fort réticent à le suivre dans l’aventure désormais officielle de son alliance à Laurent Gbagbo ?
La malice le disputant à la ruse, il finit par déclarer à son entourage, que s’ils veulent l’écouter, la seule solution possible à la crise ivoirienne est
l’organisation d’élections présidentielles précipitées. Quelles qu’en soient les conditions de clarté et de transparence. Prenant le Togo en modèle,
il va jusqu’à affirmer que le plus important est d’avoir un Président, même mal élu. Tel un devin, il prédit la prochaine victoire de Laurent Gbagbo. Alors
il serait plus aisé de l’amener à tracer les sillons de la paix. ATT n’a plus de limites. Bien au contraire, il reproche à l’opposition ivoirienne son
entêtement. En privé, il affirme que si Messieurs Bédié et Ouattara aiment vraiment leur pays, ils doivent volontairement renoncer à leurs ambitions
présidentielles. Comme si lui-même en avait fait autant dans son pays.
Quant à la rébellion, il propose que l’Onu la désarme de force et pas autrement.
Des élections à la togolaise
Le 8 mai 2006, au cours d’un dîner offert à l’occasion de la commémoration de l’Armistice de 1945, l’Ambassadeur de France à Bamako échange avec des ministres maliens qui lui font part des points de vue d’ATT sur le dossier ivoirien. L’ambassadeur, sidéré, fait un rapport à Madame Brigitte Girardin qui est outrée et choquée à son tour. Elle jure de prendre langue avec ATT. En attendant, elle suggère à certains diplomates africains de le raisonner. La communauté internationale est convaincue que de mauvaises élections en Côte d’Ivoire ne feraient que plonger le pays dans un gouffre abyssal. Il est hors de question que la France prenne le risque d’un probable génocide en Côte d’Ivoire, surtout après celui du Rwanda. Quant à ATT, il n’en a cure. Comment est-ce possible ?
La Côte d’Ivoire et le Mali ont beaucoup de choses en commun. Ils partagent une même frontière longue de plus de 500 kilomètres de la ville frontalière de Pogo à Odienné en passant par Tengrela. Une histoire commune. Les migrations de population aux siècles précédents, ont amené certains peuples du Soudan français en Côte d’Ivoire. Ainsi, on retrouve des deux côtés des senoufos, des malinkés et des peuhls.
La même confrérie des Dozos aussi bien au Mali qu’en Côte d’Ivoire. L’histoire politique de ces deux pays est marquée par le combat du RDA (Rassemblement Démocratique Africain) dont le fondateur, Félix Houphouët-Boigny avait dans son équipe des personnalités politiques maliennes célèbres tels que Mamadou Konaté et Modibo Keïta, qui militèrent longtemps côte à côte pour l’émancipation de la sous région ouest africaine.
Deux grands peuples
C’est en 1960 que les deux pays accèderont successivement à la souveraineté nationale. Depuis, le peuple malien très commerçant, sillonne les routes
ivoiriennes en quête de débouchés pour ses marchandises. Pays enclavé, les ports ivoiriens de San Pedro et d’Abidjan sont énormément sollicités. Les
Maliens et les Ivoiriens ont longtemps vécu en parfaite harmonie et symbiose. Le Président Félix Houphouët-Boigny, en reconnaissance de la contribution
au combat du peuple malien, avait créé les conditions d’une vie paisible pour les populations sœurs maliennes en terre ivoirienne. En grand panafricaniste, il leur avait même accordé le droit de vote.
En 1990, suite à de violentes manifestations de rue, feu le Président Félix Houphouët-Boigny consent à la restauration du multipartisme en Côte d’Ivoire.
Vinrent les premières élections multipartites. Laurent Gbagbo est candidat. Il est sûr de les perdre. Il va vite trouver un exutoire à la future débâcle. Les
étrangers (Maliens, Burkinabés, Nigériens, Sénégalais, Guinéens) à qui Houphouët a accordé le droit de vote sont vites indexés. Il les taxe de «bétail électoral », les ravalant quasiment au statut de bêtes de somme.
La victoire sans surprise d’Houphouët-Boigny est cependant l’occasion pour Laurent Gbagbo d’invectiver les étrangers comme étant les principaux artisans de la victoire du premier Président ivoirien. Ainsi se crée un sentiment de haine que ses électeurs cultivent à l’encontre des étrangers, coupables selon eux d’avoir injustement influé sur les résultats du scrutin. Le malaise et le sentiment de haine sont toujours grandissants contre les étrangers en Côte d’Ivoire.
Auteur: ARSENE LEPIGEON, Journaliste français
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