Le pouvoir à quelque chose d’excitant. Et l’on comprend aisément que la situation de la Côte d’Ivoire n’est pas loin de certains pays de la sous-région. Après une belle carrière d’avocat et deux mandats présidentiels à la tête du Sénégal, pourquoi le «vieux» Abdoulaye Wade n’a-t-il pas compris qu’il avait acquis la stature nécessaire pour qu’on lui fît confiance et l’aidât dans une structure non étatique à s’occuper efficacement des siens, exilés économiques volontaires que l’on rencontre partout ? Après plusieurs mandats arrachés au prix du tripatouillage, pourquoi Blaise Compaoré n’a-t-il pas compris qu’il avait le devoir de laisser maintenant l’alternance se faire, quitte à ce que les Burkinabé lui fassent appel ?
Entre nous, que cherche Wade ? Qu’a-t-il à patauger encore et encore dans la politique politicienne au point d’adouber son fils premier-né pour Dieu ignore quelle succession monarchique en république démocratique ou, pis encore, pour l’on se demande quelle revanche à prendre. Revanche à prendre sur qui ? Et qui a dit que l’Etat sénégalais était le patrimoine d’une quelconque famille malienne? Sursum corda ! Élevons nos cœurs !
Pourquoi ne savons-nous pas les élever en Afrique ? N’en avons-nous pas ? Pourquoi ne savons-nous pas rêver, et que rêver c’est rêver grand, et que rêver grand, c’est toujours rêver grand autrement par rapport à l’existant, à l’acquis, à l’habituel, à ce qui est là, c’est aller ailleurs pour laisser son nom à quelque chose de nouveau, de bon et de beau dans l’histoire, c’est chercher à rejoindre Mandela dans ses chemises d’adolescent dans le vent, et vouloir voir comme lui sa statue se dresser quelque part à Londres, ce de son vivant comme lui, ou après sa mort, modestie oblige.
C’est tourner le dos – et comment ! – tourner le dos mille fois à Robert Mugabe, l’ex-libérateur du Zimbabwe et son actuel geôlier, quoi que l’on dise pour justifier l’injustifiable et sauver vaille que vaille l’image brisée du libérateur flamboyant des années soixante. Pourquoi ne savons-nous pas être Gaulle, qui s’est retiré dans son village à Colombey-les-Deux-Églises et regardant avec philosophie et détachement la guerre qu’il a faite, les gloires qu’il a eues, leurs vertiges, leurs pompes, et murmurant peut-être, en préparant l’instant ultime : ‘‘Vanité des vanités, tout n’est que vanité !’’ Etre grand, c’est nous convaincre nous-mêmes de l’utilité des choses accomplies et de leur ultime vanité, sans attendre que ce soient d’autres qui nous en convainquent en prison. ‘‘Nous !’’ Et l’on aura compris qu’il ne s’agit point de la vendeuse de cacahouètes déambulant à travers la ville, ni du cordonnier du coin de la rue ou tapant sur sa caisse à travers les rues pour alerter de sa présence les gens chaussés aux souliers amochés, mais qu’il s’agit de ceux que le Destin, la Providence, Dieu, le Hasard (comme l’on voudra) a placés là, devant nous, à notre tête, pour nous montrer un temps le chemin.
Leur mission terminée, leur temps terminé (ils ont assez de sens pour le savoir), ils doivent se retirer pour laisser la place à d’autres montreurs de voie. Car il y en a. Faute de se soumettre à cette loi, après nous avoir montré la voie, ils nous conduisent dans les ornières de l’impasse. Ils n’en ont pas le droit. Ils n’ont que le devoir de rêver grand autrement.
Entre nous, quel exemple pour les Sénégalais et les Africains de tous âges, que celui du faussement impérial. Le président Wade doit comprendre que ses amis Tandja et Gbagbo gardés aujourd’hui dans un gnouf, de luxe certes, mais un gnouf quand même, où ils se trouvent enfermés, privés de liberté, comme un pauvre. Voilà le genre de comportement débouchant sur des images qui ne font pas reluire l’Afrique. La seule école pour apprendre à rêver grand autrement, c’est le cœur.