Le 4 décembre dernier, Laurent Gbagbo, bien que vaincu par la voix des urnes, prête serment à Abidjan, en dépit des protestations internationales et contre la volonté des 54,1% des ivoiriens qui exprimés leurs suffrages en faveur de son adversaire Alassane Dramane Ouattara. Opposant historique de feu Félix Houphouët Boigny, le très madré Laurent Gbagbo a été perverti par son goût du pouvoir avant d’être renversé par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FR-CI), avec l’appui des forces françaises et onusiennes.
C’était à la fin des années 1990, à Paris : avec d’autres opposants africains, Laurent Gbagbo participait à une conférence au siège du Parti socialiste français (PS). Son thème : « Peut-on utiliser la violence contre les dictateurs africains?» Certains avaient répondu « non » à la question. Mais pas Gbagbo : il ne croyait qu’au pouvoir des urnes. Pourtant, plus de dix ans plus tard, c’est ce même Gbagbo qui refuse le verdict de l’élection présidentielle qu’il qualifie de « frauduleux ». Singulier destin que celui de l’un des rares hommes politiques professionnels de l’Afrique francophone, mais qui a fini par être chassé par les armes. Il croyait pourtant à voie de la légalité, même sous le défunt Président Félix Houphouët Boigny dont il était l’opposant attitré, mais sans espoir de réussite.
En 1990, Laurent Gbagbo participe pour la première fois à une élection présidentielle
En 1990, il est autorisé, pour la première fois, à se présenter contre le «vieux sage» et meilleur ami de la France. Un de ses avocats français témoigne : « Au téléphone, un conseiller du Président François Mitterrand lui dit : Vous ferez 18%. Gbagbo répond qu’il espère un meilleur score. Réponse au bout du fil : On ne vous dit pas ce que vous pouvez faire, on vous dit ce que vous ferez ». En effet, Gbagbo n’obtiendra que 18,3% des voix. Lui-même confirmera plus tard cette anecdote, tout en ajoutant : « Ce n’est pas la peine de rappeler tout cela».
De malentendus en élections bancales, d’interventions militaires en coups fourrés, les relations de Gbagbo Laurent avec Paris ne se sont jamais vraiment arrangées. Pourtant, en historien nourri de culture française, il connaît bien la France. Laurent Koudou Guiawily Gbagbo, né le 31 mai 1945 à Ouaragahiyo, dans la région de Gagnoa, (Ouest ivoirien), membre de l’ethnie Bété, il enseigne au Lycée classique d’Abidjan avant d’obtenir un titre de Docteur à la Sorbonne, puis de diriger en Côte d’Ivoire l’Institut d’Histoire et d’Archéologie de l’Université d’Abidjan.
Un allié de circonstance de Ouattara !
Après plusieurs années passées dans la famille du Président Félix Houphouët Boigny (faut-il le signaler, il était logé pendant longtemps chez le père de l’indépendance ivoirienne), Laurent Gbagbo était parvenu à mettre tout le monde dos à dos. En exil, il fonde, dans la clandestinité, le Front populaire ivoirien (FPI) : une insolence faite au régime du parti unique.
Afin d’échapper au harcèlement du pouvoir, il s’exile en France en 1982. Il est hébergé par des amis du Parti socialiste. En 1988, il rentre au bercail avant de se présenter à l’élection de 1990, avec le résultat que l’on sait. Mais Félix Houphouët Boigny ne l’oubliera pas : en 1992, suite à des manifestations violentes, Gbagbo est arrêté et condamné à deux ans de prison, en vertu d’une loi ad hoc élaborée par Alassane Dramane Ouattara (ADO), Premier ministre de l’époque et aujourd’hui adversaire de Gbagbo.
Gbagbo se retrouve ainsi allié de circonstance de l’ancien haut fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI) lors de l’élection présidentielle de 1995. Mais ADO n’avait pu participer à cette élection, à cause d’une nouvelle loi taillée sur mesure et dite « de l’ivoirité », qui lui avait interdit sa candidature sous prétexte qu’il est originaire du Burkina-Faso. Gbagbo boycotte l’élection, tandis que le successeur d’Houphouët, Henri Konan Bédié, est élu avec plus de 96% des voix. En décembre 1999, avec le coup d’État du Général Robert Guéï, commence une période houleuse qui ne se termine que ce lundi 11 avril 2011.
Un Président mal élu en 2000 !
Même si des doutes planent sur les véritables commanditaires du putsch de Noël 1999, le Général Robert Gueï n’était officiellement là que pour rétablir la démocratie et organiser l’élection de 2000. Mais il finit par se présenter lui-même sans Henry Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara, tous deux écartés. Pire, ADO est incriminé pour «nationalité douteuse», et Gbagbo n’y trouve rien à redire. Les partisans de Ouattara l’accusent alors de « surfer » à son tour sur « l’ivoirité », un concept populiste qui visait tout simplement à marginaliser les nombreux Ivoiriens issus du nord du pays et surtout qui tirent leurs origines des pays voisins. Après des émeutes sanglantes dirigées contre le Général Robert Guéï et qui avaient interrompu les décomptes des voix par les membres de la Commission électorale indépendante, Laurent Gbagbo devient finalement Président.
Avec une faible participation, et en l’absence de ses véritables rivaux, Laurent Gbagbo se sait mal élu, mais il s’attelle à la réconciliation. C’est ainsi qu’en 2002, tous les acteurs politiques se serrent la main, le Général Robert Guéï y compris. Alassane Ouattara se voit délivré un certificat de nationalité, et son parti entre au Gouvernement. Mais ces retrouvailles de façade ne dureront que trois mois. Le 19 septembre de la même année, une tentative de coup d’État imaginé par Laurent Gbagbo secoue Abidjan. Dès les premières heures de ce putsch avorté, le Général Robert Guéï est assassiné, ainsi que sa femme, ses enfants et le ministre de l’Intérieur Emile Boga Doudou. Des officiers militaires issus du Nord, notamment ceux portant des noms musulmans, sont convoqués à la gendarmerie d’Agban. Et jusqu’à nos jours, leur sort est resté flou.
Sur ces entrefaites, des groupes de soldats, officiers et sous officiers issus du Nord forment une rébellion et s’emparent du Centre et du Nord du pays. Selon le clan Gbagbo, ces rebelles avaient été entraînés et armés au Burkina-Faso et par le Président Blaise Compaoré, considéré comme un ami de Ouattara. Estimant avoir été victime d’une agression extérieure, le Président ivoirien entendait faire jouer les accords de défense conclus avec la France. Mais Paris « coupe la poire en deux » : une force française s’interpose sur une ligne de cessez-le-feu entre le Nord et le Sud et le pays est divisé en deux.
Les « Escadrons de la mort » sous la conduite de Simone Ehivet Gbagbo !
Au même moment, Jacques Chirac cherche une solution politique. Les deux parties sont donc réunies à Linas-Marcoussis. Mais le Président ivoirien soupçonne Chirac de vouloir le transformer en « reine d’Angleterre sans pouvoir ». La Côte d’Ivoire signe, mais Laurent Gbagbo soutient qu’on lui a forcé la main. Aussitôt, il s’attelle à « détricoter » ce traité qu’il reconnaîtra cependant plus tard. « S’il fallait recommencer Linas-Marcoussis, je ne le recommencerais pas », clamait-il. Gbagbo se disait victime d’une France qui, selon lui, ne l’a jamais accepté. Il garde alors ses prérogatives, se joue de ses ministres « imposés », proclame la «deuxième indépendance» et lance dans les rues les « Jeunes patriotes », des milices promptes à en découdre, avec à leur tête, un certain Charles Blé Goudé, surnommé « Le Général de la Rue ».
Il arrivait parfois à Gbagbo Laurent de pousser plus loin la manipulation. En 2003, en visite à Abidjan, le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, est bloqué devant le Palais présidentiel d’Abidjan par des manifestants montés de toutes pièces et qui clamaient : «On veut Gbagbo». Les forces de l’ordre n’interviennent pas, et c’est Gbagbo lui-même qui, au bout d’une heure, vient «délivrer» le ministre français. Gbagbo y gagne ainsi le surnom de «boulanger» pour son habileté à « rouler » tout le monde « dans la farine ».
Un visage jovial, mais qui en cache un autre
C’est aussi l’époque des assassinats d’opposants attribués par l’opposition aux fameux «Escadrons de la mort » de Mme la Première Dame d’alors, Simone Ehivet Gbagbo. Mais le pire est atteint en décembre 2004 : une manifestation pro Ouattara est réprimée dans le sang, et l’aviation ivoirienne tue 9 soldats français, « sciemment » ou « par erreur».
En riposte à la mort de ces soldats français, la petite armée de l’Air de Gbagbo Laurent est immédiatement détruite au sol par les militaires français. S’ensuivent alors des manifestations contre leur QG. Les Français tirent et fait des morts. Les manifestants s’en prennent donc aux expatriés français, entraînant un exode partiel. Pourtant, Laurent Gbagbo réussit une nouvelle fois à renverser la situation en sa faveur, démontrant ainsi ses talents de politicien hors du commun et toujours spécialisé dans « les roulures dans la farine ».
Déterminé à « effacer » les accords de Linas-Marcoussis, il réussit à en conclure de nouveaux, directement avec les rebelles et sous l’égide de celui que Laurent Gbagbo considère comme « le parrain des Nordiste » : le Président burkinabé, Blaise Compaoré. Alors, le chef des rebelles, Guillaume Soro, devient son Premier ministre en 2007. Mais le pays n’est pas vraiment réconcilié. Le Nord s’autonomise, et chacun attend l’élection présidentielle. Mais elle sera repoussée six fois et pendant cinq ans « pour dresser des listes électorales définitives », justifie le Président.
Le scrutin se déroule enfin en novembre 2010 !
Laurent Gbagbo est sûr de gagner l’élection. Mais son sens et son flair politique semblent l’avoir abandonné. Lui, l’homme de la «deuxième indépendance», fait confiance à des «sorciers blancs» qui l’endorment avec des sondages mirobolants. Il n’a sans doute pas cru que les électeurs de l’ancien Président sudiste, Henry Konan Bédié, obéiraient à ses consignes de voter au deuxième tour pour le Nordiste Alassane Dramane Ouattara. Il n’a également pas voulu admettre qu’après des années d’incertitudes (mauvaises pour l’économie ivoirienne), les Ivoiriens n’aspiraient plus qu’à la paix et la sérénité.
Bref, le «boulanger» avait perdu la main. Il a même tout perdu ce lundi 11 avril 2011, entre 12 heures et 14 heures, puisque qu’il a été arrêté par les Commandants Watao et Zakaria Koné, des Forces armées républicaines de Côte d’Ivoire (FR-CI).
Par Zhao Ahmed A. Bamba