«Depuis le début de la guerre civile en septembre 2002, on jouait un mauvais film en Côte-d”Ivoire. Depuis quelques semaines, c”est un bon film qui nous est proposé…
Mais cela reste un film.» Le jugement dubitatif de ce haut fonctionnaire européen est partagé par de nombreux observateurs en Côte-d”Ivoire depuis la signature, le 4 mars, à Ouagadougou, sous l”égide du chef de l”Etat burkinabé, Blaise Compaoré, d”un accord surprise entre les deux principaux protagonistes de la crise ivoirienne : le président Laurent Gbagbo et l”ancien chef des rebelles qui ont voulu l”abattre, Guillaume Soro. Dans la foulée, ce dernier a été nommé Premier ministre. L”heure de la réconciliation de la Côte-d”Ivoire divisée en deux depuis plus de quatre ans a-t-elle enfin sonné ? Au Nord comme au Sud, la population l”espère ardemment.
A Abidjan, les irréductibles ennemis d”hier multiplient les gestes de bonne volonté. Dans un journal prorebelle, c”est l”un des chefs des «Jeunes Patriotes» (partisans de Gbagbo), le «maréchal» Eugène Djué, qui proclame son soutien sans faille à Guillaume Soro. En contrepartie, la «presse bleue», acquise au régime, ouvre largement ses colonnes aux anciens rebelles. Le 16 avril, dans le centre du pays, Gbagbo et Soro étaient bras dessus bras dessous pour assister au coup d”envoi du démantèlement de la «zone de confiance» qui sépare, d”est en ouest, les belligérants. «La symphonie de la paix est magnifiquement orchestrée», sourit un éditorialiste ivoirien.
Faux pas. La communauté internationale joue également sa partition avec application, évitant toute note discordante. La force française Licorne a annoncé la réduction de ses effectifs de 3 500 hommes à 3000, un simple «ajustement technique», affirme Paris, lequel tombe néanmoins à pic. Cette semaine, la Banque mondiale, qui avait suspendu sa coopération avec Abidjan depuis plusieurs années, vient d”accorder un don de 100 millions de dollars pour la réinsertion des miliciens et rebelles amenés à déposer les armes durant les prochains mois.
Mais derrière ce semblant d”harmonie retrouvée, les acteurs ivoiriens se jaugent, guettant le premier faux pas de l”ex-futur adversaire. Si la formation du gouvernement dirigé par Guillaume Soro n”a pas donné lieu aux affrontements redoutés, la reprise du processus devant conduire aux élections pourrait susciter très vite les premières vraies tensions de l”après-Ouagadougou. Arguant du nouveau climat de paix qui prévaut dans son pays, Laurent Gbagbo vient en effet de demander à l”ONU de renoncer au processus de certification des élections pourtant prévu par l”accord de Pretoria qu”il a signé en 2005. «Si les Nations unies cèdent sur ce point, c”en est fini de l”exigence d”élections libres et transparentes nécessaires pour sortir de la crise», assure un diplomate.
Pour l”opposition à Abidjan, la demande de Gbagbo trahirait, encore et toujours, sa peur du verdict des urnes et sa volonté de se débarrasser de tout regard extérieur. Le chef de l”Etat affirme, au contraire, vouloir aller le plus vite possible devant les électeurs, se disant sûr de l”emporter. Mais la réfection des listes électorales, qui doit être précédée par l”identification puis l”inscription de plusieurs centaines de milliers d”Ivoiriens privés de papiers d”identité depuis des années, notamment au nord du pays, réputé acquis à l”opposant Alassane Ouattara, devrait prendre plusieurs mois.
Profil bas. Comment va réagir le jeune Premier ministre (34 ans), Guillaume Soro ? Malgré le soutien de la communauté internationale, ses deux prédécesseurs, Seydou Diarra et Charles Konan Banny, n”ont jamais pu disposer de la moindre marge de manoeuvre face à un chef de l”Etat arc-bouté sur ses prérogatives constitutionnelles, contrôlant l”armée et disposant de l”argent du cacao. Fraîchement installé dans ses fonctions, Soro fait, pour le moment, profil bas. Il n”a pas encore obtenu de Gbagbo la délégation de pouvoirs sans laquelle il disait ne pouvoir accepter la tête du gouvernement. A la grande surprise des diplomates, l”ancien rebelle a cédé également sur la question de sa propre sécurité, qui est essentiellement assurée en plein centre d”Abidjan par la garde républicaine, acquise au chef de l”Etat.
Dans la capitale économique, l”attitude pour le moins prudente de Soro alimente les rumeurs sur un possible «deal caché» avec Gbagbo. L”ancien rebelle serait-il prêt à faire réélire le président sortant en attendant son tour dans cinq ans ? Aurait-il renoncé à ses revendications politiques en échange du partage du pouvoir et de ses rentes lucratives ? «A la différence de ses deux aînés, Soro a des arguments à faire valoir à Gbagbo : ses hommes tiennent toujours la moitié nord du pays», affirme un opposant. Mais jusqu”à quand ?
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