Laurent Gbagbo qui a commencé à faire de la politique dans la clandestinité a terminé son mandat présidentiel caché dans un bunker, refusant de reconnaître la victoire de son rival. Il a été arrêté le 11 avril. Laurent Gbagbo a accédé au pouvoir en 2000, à la suite d’un long combat politique. Jusqu’à sa chute en 2011 consécutive à la crise postélectorale du 28 novembre 2010, le combat politique s’est mué en une guerre sans merci contre son principal rival, Alassane Dramane Ouattara (ADO), reconnu démocratiquement élu par la communauté internationale. Contrairement à la Cour constitutionnelle de Côte d’Ivoire, qui a proclamé Laurent Gbagbo vainqueur. Son éviction du pouvoir, quoi qu’on fasse, marquera un tournant dans les relations entre la France et ses anciennes colonies en Afrique, mais aussi entre l’ONU et l’Afrique. Sur ce point, nous proposons la réaction de deux personnes averties.
Jean Louis Fosso
“Gbagbo a été arrêté. Si cette issue ne peut que réjouir puisque potentiellement synonyme de fin de massacres et de terreurs pour les populations, il est permis de s’inquiéter des conséquences de l’intervention militaire directe de la France”, énonce Pierre Bastien dans La Marseillaise.
C’est vrai, Laurent Gbagbo a été arrêté. Cette information devrait réjouir certains et énerver d’autres. Mais, au-delà de toutes ces considérations, nous devons tout d’abord nous incliner sur la mémoire de tous ceux qui ont perdu la vie dans ce conflit, certains qui n’étaient en rien concernés par ledit conflit tout en espérant que cette arrestation mette fin aux massacres dans le pays.
M. Gbagbo, bien que contesté, a été investi de façon légale et régulière par la Constitution ivoirienne. A ce jour, nous pouvons donc dire, sur le plan des lois du pays, que la Présidence de la République en Côte d’Ivoire est vacante. Car, M. Ouattara n’étant investi par aucune Institution ivoirienne ne peut pour l’instant jouir totalement du pouvoir qu’il a conquis, que ce soit par les urnes ou par les armes. Alors, allons-nous donc assister à une mise à l’écart de la Constitution du pays qui veut qu’en cas de vacance à la Présidence (comme tel semble le cas actuellement) que ce soit le Président de l’Assemblée Nationale qui assure l’intérim? M. Ouattara, s’il ne respecte pas la Constitution, ne sera-t-il pas en train de faire un coup d’état constitutionnel et accusé ainsi par certains?
La violence du conflit va laisser des traces qui ne s’effaceront pas sous l’effet de la volonté de l’Onu et de la Communauté internationale. Les conditions de la défaite finale de Gbagbo affaiblissent, paradoxalement, la légitimité de la victoire de son vainqueur. Toutes les précautions oratoires prises par Paris n’y changeront rien. Alassane Ouattara ne restera-t-il pas dans les esprits, en tant qu’un président installé par les bombardements et les hélicoptères français? “Car, que la Licorne française ait mis un doigt et un pied dans la résidence de Gbagbo ou pas, de toute façon l’assaut final n’aurait pas pu réussir sans l’intervention encore plus directe des hélicoptères, des chars et des forces spéciales françaises”, résume Xavier Panon de La Montagne. Pour Hervé Favre de La Voix du Nord, “la reddition de Laurent Gbagbo met fin à une situation surréaliste, sans garantir pour autant le retour rapide à la paix civile”.
La volonté des gagnants de traduire Laurent Gbagbo devant la justice ne plaide pas pour une réconciliation rapide, surtout si les enquêtes sur les exactions s’arrêtent à la porte du vainqueur. M. Ouattara est aussi accusé d’exactions.
Enfin, était-il judicieux d’humilier M. Gbagbo comme cela a été le cas sur les télévisions du monde en le présentant en sous-vêtement de même que son épouse dont on pouvait également observer les cheveux tirés? En présentant sont fils torse nu avec une tête où dégoulinait du sang suite à des coups reçus? Je pense vraiment que le prochain Forum de Bamako devrait se pencher sur la question de l’indépendance en Afrique.
Ali Daou
Ce beau pays mérite mieux qu’une guerre et je vous garanti que tous les acteurs politiques ivoiriens le regretteront un jour. Cette jeunesse ivoirienne meurtrie dans sa dignité, manipulée, exploitée doit interpeller notre devoir de conscience. En regardant les images, on se demande si nous avons conscience du danger qui guette notre cher continent. Nous jeunes, voulons une nouvelle donne avec la jeunesse africaine, un nouveau contrat moral et politique. Nous voulons parvenir à l’autonomie pour construire nous-mêmes notre vie. Nous souhaiterions que cette aspiration à l’autonomie se concrétise. Car derrière cette aspiration, il y a une demande de reconnaissance. Derrière cette aspiration à l’autonomie, il y a une demande de dignité. Derrière cette aspiration à l’autonomie, il y a la revendication d’un droit à projeter sa vie dans l’avenir. Nous voulons une jeunesse consciente avec un engagement vivant ; celle qui met sous sa garde la solidarité africaine; celle qui lance des chantiers humanitaires aux quatre coins de l’Afrique ; celle qui maintient une vigilance et une solidarité intactes contre les guerres. Etre jeune, «c’est souvent être inquiet», c’est être cerné «de discours de terreur et de discours culpabilisants». Je ne veux pas de cette société toujours plus violente «une bonne partie des violences est engendrée par le manque de considération envers certains jeunes. Ils ne se sentent pas utiles à la Nation et ont, de ce fait, l’impression que la Nation ne fait rien pour eux, et donc, qu’ils ne lui doivent rien». Eh bien, nous devrions refuser cette société dans laquelle l’autre veut nous préparer.
Le cas de la Côte en est la parfaite illustration. Il est grandtemps que nous lancions un appel solennel à nos frères ivoiriens de se ressaisir, à taire les armes et à faire face aux dialogues, seuls gage d’une réconciliation sous l’arbre à palabre. Qui pourra mieux aimer la Côte d’Ivoire que les Ivoiriens eux-mêmes ? Qui fera la Côte d’Ivoire à la place des Ivoiriens ? Armons-nous d’idées, et avec intelligence, afin d’aider nos frères. Il est temps que nous agissons avec rigueur pour prendre notre destin en main. Comme disait l’autre, les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes ; c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut élever la défense de la paix.
Je voudrais proposer que nos réflexions aillent plus loin notamment sur le fondement de la démocratie africaine. Car, les différents variables qui interviennent sur notre système démocratique actuel laissent à désirer. Cela m’amène à poser une série de questions dont les réponses se trouveront, certainement, dans le futur de notre cher continent. Sommes-nous maîtres de nous mêmes ? C’est quoi la démocratie à l’Africaine ? Quel est le degré d’influence de la soit disant opinion internationale sur nos systèmes politiques ? Devrions-nous agir par la force des arguments ou par les arguments de la force afin de sortir d’une joute électorale ? L’Afrique est-elle prisonnière des systèmes politiques importés et non adaptables à nos réalités traditionnelles et à nos valeurs ancestrales ? La religion, l’ethnie et la race sont-elles des facteurs déterminants dans nos choix politiques ? Quelle serait l’avancée démocratique de notre continent dans les 10 ans à venir ? La jeunesse actuelle est-elle capable de porter ce système politique qui nous crée plus de problèmes que de solutions ? Comment devrions-nous repenser notre système démocratique ? Notre démocratie rime-t-elle avec notre développement ? Toutes ces questions doivent nous amener à récrire l’histoire politique de l’Afrique.