En 1975, Charles Abdoulaye Dagnoko, qui était mon Prof. D’histoire-géo, nous apprenait qu’à la fin de la 2ème Guerre mondiale, les vainqueurs, au moment de partager l’Allemagne, ont vu leur nombre réduit à 3. Et pour cause : la France, qui voulait figurer parmi eux, en a été empêchée par Staline au motif qu’elle n’a jamais gagné une guerre et a toujours été libérée. C’est ainsi que l’Allemagne fut partagée entre trois Etats : une zone anglaise, une zone américaine et une zone russe. Finalement, l’Angleterre et les Etats-Unis ont donné une zone à la France. C’est cette tri-zone qui deviendra plus tard l’Allemagne Fédérale et la zone russe, l’Allemagne démocratique.
Donc, cette France qui n’a gagné que les guerres coloniales se rappelle au bon souvenir de la conquête coloniale de l’Afrique qui, elle, n’a toujours pas bougé. Après la victoire des troupes franco-onusiennes contre Gbagbo, Jean François Coppé adit que c’est un grand jour pour la côte d’Ivoire, l’Afrique et le droit international. C’est ce commentaire qui me fait réagir. Un grand jour pour la Côte d’Ivoire et l’Afrique ? Non, Monsieur Coppé, c’est un jour de honte et de deuil pour l’Afrique et la Côte d’Ivoire. Honte pour l’Afrique qui n’a pas su gérer un problème qui la concerne d’abord ; deuil pour la Côte d’Ivoire qui, au-delà de la victoire d’Alassane, synonyme de la défaite de Gbagbo, doit compter ses morts. Que Dieu accueille leurs âmes au ciel et leur accorde le repos éternel.
Mais pour qui Alassane et Gbagbo ont mis la belle Côte d’Ivoire à feu et à sang ? Pas pour la Côte d’Ivoire parce que la reconstruction de ce pays-là sera faite par les sociétés françaises et autres et, cela, au détriment du peuple ivoirien qui sera le seul contribuable. Je viens d’entendre que la France a débloqué 400 millions d’Euro pour venir en aide à la Côte d’Ivoire. Pour ma part, les vies perdues n’ont pas de prix.
Pour le droit international, les textes qui le fondent aujourd’hui ont été adoptés au moment où nous étions colonisés : notre culture juridico-institutionnelle et notre modèle économique n’ont pas été pris en compte. Alors, de qui l’on se fout ? Aucun pays africain ne détient le droit de Véto. Mais l’Afrique va-t-elle toujours être gérée par les autres ?
Tenez, hier, les rebelles libyens ont rejeté l’offre de l’Union Africaine : sur qui comptent-ils ? Sur la France, l’Angleterre et les Usa. Alors, l’Afrique ne peut pas se gérer. C’est ça mon problème : la démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’homme, c’est uniquement le modèle juridico-économique de l’Occident qui prévaut. Mais l’Afrique n’avait rien à envier aux autres peuples au début de la conquête coloniale. Faut-il conclure que nos dirigeants sont incapables de gérer nos problèmes ? Là est la question. C’est pourquoi les résultats de nos élections sont connus d’avance parce que décidés chez l’ancienne puissance coloniale. Les instruments juridiques dont on vante tant les mérites ne servent qu’à légitimer le choix de l’Occident avec la complicité des intellectuels et des chefs militaires africains. C’est ça, l’Afrique festive des Cinquantenaires : aucun débat.
Qui défendra mieux nos intérêts ? Gbagbo ou Ouattara ? Pour imposer celui-là, des milliers d’Ivoiriens, bras valides pour la construction nationale, ont été tués : par les Ivoiriens eux-mêmes et par la France et l’Onu. Devons-nous être fiers de ça ? Je pense que non.
Sans aucun argument si ce n’est la volonté de leur ressembler, l’Europe et les Etats-Unis nous arment, nous amènent à nous entretuer pour tirer les marrons du feu par la reconstruction de nos infrastructures détruites (Côte d’Ivoire, Libye…) pour laquelle reconstruction aucune société africaine ne sera retenue suite aux appels d’offres. C’est quand-même facile à voir, ça !
J’ai déjà dit que nous n’avons pas les mêmes valeurs : les images de Monsieur et Madame Gbagbo qu’on a vu défiler ne nous ressemblent pas. Chez nous, au Mali, un adage dit que l’on peut tuer son prochain sans l’humilier (personne n’a vu défiler les images de l’arrestation de Moussa Traoré et de son épouse). Que l’Occident accepte cela désormais comme faisant partie de la culture de l’universel, pour paraphraser feu Aimé Césaire, lui qui a la rancune si tenace ! Même les vaincus méritent respect : ça, c’est malien et mérite d’être intégré dans le patrimoine de l’humanité.
Après la guerre franco-onusienne contre la Côte d’Ivoire et l’Afrique, vive le « Nuremberg afro-ivoirien » car le procès qui s’annonce doit être celui de l’Afrique et de la Côte d’Ivoire. Alassane aurait pu être à la place de Gbagbo. Pour la mort de milliers d’Ivoiriens, Gbagbo, Alassane et l’Union Africaine seront à la barre : pour l’histoire.
Me Harouna Keïta
Avocat à la Cour