Les transporteurs et tous les petits commerces qui gravitent autour de l”autogare sont réduits à l”inactivité. "C”est l”asphyxie", résume l”un d”entre eux.
La crise politique qui secoue la Guinée voisine ne peut pas ne pas affecter notre pays. Depuis le déclenchement de l”agitation sociale chez notre voisin du sud-ouest, les relations commerciales entre les deux États sont perturbées comme en atteste la morosité qui s”est installée à la gare routière de Djicoroni. Bâtie sur environ 5 hectares et clôturée par de hauts murs en ciment, cette infrastructure est située entre les quartiers de Djicoroni et de Lafiabougou. C”est le point de débarquement des passagers et des marchandises en provenance de Guinée, et la principale gare de départ du fret et des passagers vers ce pays. En plus de la centaine de véhicules de transport (camions, bus et voitures Peugeot 505 et 504) qu”elle accueille quotidiennement, l”autogare est un important centre d”affaires qui fait vivre des milliers de familles à Bamako.
MANQUE À GAGNER
D”ordinaire, les jours sont fiévreux et les nuits mouvementées dans cette zone de la capitale. Le ronron incessant des voitures associé à la cohue des passagers, des vendeurs à la sauvette et des badauds, maintenaient la gare dans un état de bouillonnement permanent. Cette atmosphère de fête foraine s”est brutalement évaporée pour laisser place à un calme plat et pesant. La paralysie des activités de la grande gare est confirmée par Mohamed Touré. Gérant d”une boutique qu”il possède sur les lieux depuis plus de trois ans, il y vend du café, des vêtements et des chaussures qu”il importe de Guinée. "Il n”y a plus de mouvements", constate-t-il. La majorité de ses clients étant les chauffeurs et les passagers en provenance ou en partance pour la Guinée, le commerçant se tourne, en ce moment, les pouces.
Moussa Keïta dit Vieux, un autre commerçant qui tient un débit de boisson, abonde dans le même sens. "Mes principaux clients sont les voyageurs. Du déclenchement de la crise guinéenne à nos jours, mes ventes ont chuté. Les pertes se chiffrent entre 15.000 et 17.000 Fcfa par jour", assure-t-il.
Le manque à gagner est aussi important chez Abdoulaye Guitteye, vendeur d”eau minérale et de boissons gazeuses. Ses ventes, évalue-t-il, sont passées de 15.000 à moins de 3.000 Fcfa par jour. La "gargotière" Assitan Camara se demande chaque jour si elle ne va pas devoir fermer boutique le lendemain par la faute du ralentissement des activités. Elle explique qu”elle cuisinait et écoulait 50 kilogrammes de riz par jour. L”arrêt du trafic a fait tomber ses ventes à 10 kilogrammes. "Si les véhicules ne circulent plus entre le Mali et la Guinée, nous ne vivrons plus", s”alarme Philippe Ellie, un coiffeur qui s”est installé ici il y a une demi douzaine d”années. La majeure partie de ses clients est composée de voyageurs.
Le marché de la téléphonie était une autre activité très rentable à la gare de Djicoroni, comme en témoigne Amadou Keïta. Ce jeune diplômé gère la plus importante cabine téléphonique à l”entrée de la gare. Il évalue son gain hebdomadaire entre 200.000 et 500.000 Fcfa avant l”éclatement de la crise politique et sociale en Guinée. Aujourd”hui il encaisse à peine les 100.000 Fcfa. "Ici, c”est la Guinée", résume son voisin, Lassine Traoré, vendeur de pièces détachées. Convaincu que le sort de leurs activités dépend de la stabilité en Guinée, Traoré mesurant la gravité de la situation, n”écarte pas l”éventualité de la fermeture de son commerce, si la normalisation ne survient pas très vite de l”autre côté de la frontière.
Djogo Keïta n”est pas moins pessimiste. Réparateur et vendeur de pneus d”occasion à la gare, ses recettes ont fondu comme beurre au soleil, depuis le début des événements en Guinée. Certains commerçants ont déjà mis la clef sous le paillasson. C”est le cas de Fatoumata Traoré, une vendeuse de médicaments. "Nous sommes approvisionnées par des fournisseurs en provenance de Guinée. S”il y a des problèmes là bas, nous ne pouvons pas nous en sortir", s”inquiète la quinquagénaire, désoeuvrée sous son hangar.
DÉFIANT LES CONSIGNES
Saramadi Condé, est un des nombreux chauffeurs qui opèrent sur la ligne Conakry-Bamako. Aucun véhicule, assure-t-il, n”a quitté Bamako depuis dimanche pour la capitale guinéenne qui, rappelons-le, est le port le plus proche de Bamako. Dans le sens inverse, les chauffeurs font le voyage à leurs risques et périls en défiant les consignes données par l”intersyndicale guinéenne qui a demandé à tous les travailleurs d”observer la grève illimitée. "Nous sommes obligés de vivre. Quand un chauffeur ne voyage pas c”est toute sa famille qui le ressent. Car nous dépensons tout ce que nous avons comme économie", souligne Saramadi Condé.
Quant à Faganda Keïta, transporteur à la gare de Djicoroni, il souhaite l”implication des plus hautes autorités du Mali dans la résolution de la crise. Il estime, en effet, que la crise dépasse le seul cadre de la Guinée. Adama Doumbia, commissaire au comptes de la coordination nationale des syndicats et associations des chauffeurs et conducteurs du Mali (CNSCCM) est catégorique : "c”est l”asphyxie". Quand on sait que leur travail est principalement axé sur le transport des hommes et des marchandises, il est aisé de mesurer l”épreuve qu”ils vivent aujourd”hui.
"Victimes collatérales", de la crise guinéenne les marchands de la gare de Djicoroni sont installés devant leurs étals, les mains sous le menton. Le regard vide, ils ont tous les yeux tournés vers la route de la Guinée. Ils l”imaginent certainement encombrée par la reprise du trafic. Puis ils reprennent pied dans le cauchemar qu”est devenu leur quotidien. Pas un véhicule à l”horizon, juste la route qui poudroie …
C.A. DIA
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