Le problème identitaire dans de nombreuses sociétés, se pose avec une acuité particulière devenant ainsi l’enjeu aussi bien de conflits politiques que de rivalités intellectuelles. Vu l’importance que revêt la définition légitime de l’identité nationale en tant qu’enjeu à la fois sociologique, littéraire et politique, il nous paraît utile de réfléchir sur le rôle que peuvent jouer dans la fabrication des représentations identitaires les hommes de lettres, les hommes de pensée, et singulièrement les acteurs politiques. Montrer comment les acteurs politiques, à travers des discours idéologiques, définissent l’identité nationale, constitue l’objet de la présente étude. En partant de l’analyse du discours des acteurs politiques produit au lendemain de la crise militaro-politique en Côte d’Ivoire (du 20 Septembre 2002 au 06 Mars 2007) nous voulons à juste titre comprendre en quoi l’identité nationale en Côte d’Ivoire relève de constructions idéologiques expliquant les engagements conflictuels. Cette délimitation de l’objet d’étude dans l’espace et le temps nous emmène dans un premier temps à identifier les différents discours sur l’identité nationale chez les acteurs politiques depuis septembre 2002 et à montrer le caractère idéologique de ces discours, puis dans un second temps à analyser le rapport entre ces définitions idéologiques et la manifestation du conflit en Côte d’Ivoire.
Longtemps considéré comme un pays de stabilité politique, la Côte d’Ivoire connaît depuis le 19 septembre 2002, une grave crise politico-militaire ayant entraîné la partition de son territoire : au nord et au centre la rébellion et au sud, les Forces Armées Nationales de Côte d’Ivoire (FANCI). Parmi les différentes revendications figure la question identitaire. Cette question, soulevée par l’une des parties au conflit lors des accords de Marcoussis et entériné par les accords postérieurs a eu pour solution l’initiative d’un processus d’identification. Toutefois, ce processus d’identification, et notamment sa première phase dite des « audiences foraines », est source de nombreuses violences. La presse dans son ensemble a fait état de plusieurs morts et blessés dans plusieurs villes du pays (Divo, Grand Bassam, Agboville, etc…). Au-delà d’une opposition de formes sur ces audiences foraines, il semble se jouer entre les protagonistes du conflit, une opposition de fond sur, en l’occurrence, la définition de l’identité nationale en Côte d’Ivoire. Qui est Ivoirien ? Qui ne l’est pas ? Pour les partisans du Président en exercice, la définition de l’identité nationale doit s’en tenir aux dispositions telles que définies dans le code de la nationalité. Quant aux militants de l’opposition, ils sont favorables à une définition plus « ouverte » de la nationalité. Cette situation met en exergue deux définitions distinctes de l’identité nationale en Côte d’Ivoire et fait ressurgir le débat sur la question identitaire. En effet, cette question semble récurrente dans l’espace politique ivoirien depuis au moins son ouverture démocratique en 1990. On se rappelle que le FPI, encore dans l’opposition en 1990, avait exigé que le droit de vote ne soit accordé qu’aux seuls nationaux, contrairement à la pratique en cours avant cette date. Ce qui posait déjà en toile de fond la nécessité de distinguer les nationaux des étrangers dans l’exercice de certains droits. En outre, l’un des conflits qui a le plus marqué le champ politique ivoirien entre 1993 et 1999 fut la polémique engagée entre l’opposition (FPI, RDR,…) et le parti au pouvoir (PDCI) autour du concept de l’« ivoirité » qui posait clairement la question de l’identité nationale. Sous la transition militaire après le Coup d’Etat de 1999, ce débat sur l’identité nationale s’est imposé à l’occasion de la définition des critères d’éligibilité à la présidence au cours de l’adoption de la nouvelle constitution. Ces débats nous amènent alors à nous interroger sur l’importance de cette question de l’identité nationale dans le conflit en cours en Côte d’Ivoire. Car loin d’être circonstanciels, les discours sur l’identité nationale en Côte d’Ivoire appartiennent à des logiques de pensée différentes. En quoi l’identité nationale en Côte d’Ivoire relève de constructions idéologiques expliquant les engagements conflictuels ?
Abdoulaye A. Traoré
Doctorant en sociologie
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