Côte d’Ivoire : le coup de tonnerre de la CPI dans l’affaire Gbagbo

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CHRONIQUE. Après l’appel fait le lundi 16 septembre par la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) contre l’acquittement de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, un nouveau retournement dramatique frappe la Côte d’Ivoire pourtant déjà sous tension.

Que penser d’une justice qui ne sait pas ce qu’elle veut ? Une justice à laquelle tous les moyens financiers ont été donnés pour réussir sa mission, mais qui a mis pourtant plus de sept ans pour traiter ce dossier brûlant. Une justice qui à la suite d’un jugement prononcé le 15 janvier dernier, en faveur des accusés, réfute quelques mois plus tard le verdict de sa propre chambre de première instance ? Souffler le froid puis le chaud sur la plaie. Une telle nouvelle est un véritable coup de tonnerre dans un pays aux prises avec ses vieux démons

2020 dans toutes les têtes

À l’approche des élections présidentielles de 2020, les dés semblent déjà jetés. Les acteurs de la crise postélectorale de 2010-2011 qui a officiellement entraîné une guerre civile ayant coûté la vie à 3 000 personnes sont tous en place. Ceux qui ne sont pas là physiquement, c’est-à-dire, dans le cas qui nous intéresse, Gbagbo, l’ancien président ivoirien et Blé Goudé, son ancien ministre de la Jeunesse, le sont par personnes interposées. Impossible de savoir dans quelle direction s’achemine le pays. Les sages du village diraient en haussant la tête : « Si quelqu’un te jure qu’il peut t’expliquer ce qui se passe en Côte d’Ivoire, c’est qu’il a menti ! » Alliances, mésalliances, accusations, gestes de réconciliation, nouveaux partis sortant de la terre comme des champignons, anciens partis divisés, restructurés ou en attente de restructuration, tout est possible aujourd’hui en terre d’Éburnie.

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La Côte d’Ivoire vit son heure de vérité. Minées de l’intérieur par l’impunité et trahie par une justice nationale et internationale qui n’a pas été perçue comme neutre, les fondations de la nation se fissurent de plus en plus profondément, faisant craindre l’effondrement. Car il s’agit de vérité. Où se cache-t-elle ? Une guerre – des guerres si l’on se réfère à la rébellion de 2002, ont bien eu lieu, mais il n’y a pas de coupables. Il n’y a que des victimes.

Une conception de la vérité qui blesse, car elle n’existe plus en tant que telle. Elle est le produit d’une construction mentale, coupée de la réalité. Si bien qu’un monde irréel a été créé de toutes pièces ne reposant sur rien de concret. Et cette vérité restera abstraite aussi longtemps que personne n’en assumera les conséquences.

Réfléchir à un nouveau modèle sociétal

Car la vie a repris son cours. Avec un tel acharnement à oublier le passé que l’on se demande si le pays ne souffre pas d’une amnésie générale. La jeunesse, elle, porte un lourd malaise dans l’âme. Celui-ci s’est révélé dans toute sa violence après le décès de DJ Arafat, en août dernier à Abidjan. Le roi du coupé-décalé, musique urbaine à succès, était un artiste ivoirien talentueux. Passionné de moto mais porté sur la controverse et le risque, il a fini par se faire prendre à son propre jeu. Protéger en hauts lieux (Le ministre d’État, ministre de la Défense, Hamed Bakayoko, le considérait comme son fils « spirituel »), les circonstances de son décès n’ont toujours pas été clairement expliquées. La phrase officielle, « Mort des suites d’un accident de la circulation », est plutôt laconique. Mort en percutant une voiture à toute vitesse en équilibre sur la roue arrière de son engin n’est pas tout à fait la même chose. Une jeunesse donc qui s’est trouvé un héros à travers ses éclats de voix parsemés de nouchi (langue de la rue) et sa capacité à toucher la fibre sensible d’un bon nombre d’habitants des quartiers populaires qui se sentent marginalisés. Ils sont frustrés de passer à côté d’une croissance évaluée en termes de produit national brut (PNB) et non en termes de bien-être (déscolarisation, chômage, criminalité, errance, etc.). Héritiers de la guerre, ils ont perdu leurs repères et ne se reconnaissent pas dans la société dans laquelle ils vivent. Le fait qu’au lendemain de funérailles quasi nationales et très coûteuses, des fans ont déterré leur idole pour vérifier que c’était bien sa dépouille mortelle dans le cercueil reposant à l’intérieur d’un caveau au cimetière de Williamsville en dit long sur l’idée qu’ils se font de la vérité.

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Les enjeux méritent que l’on réfléchisse à tête reposée et que l’on ouvre la parole afin de sortir de la claustrophobie du discours politique. C’est pourquoi avec un groupe composé d’auteurs et d’universitaires africains*, j’ai initié un appel à réflexion sur la crise ivoirienne dont les dimensions sont multiformes. Le concours Penser la Côte d’Ivoire en 2020 (www.penserlacotedivoire.com) se veut une plateforme d’idées à l’approche des élections présidentielles. Écrire des textes non partisans prenant en compte la société dans son ensemble et apportant des analyses constructives, ainsi que des propositions respectueuses des différences. Projet à la fois futile et nécessaire comme toutes les initiatives qui s’appuient sur un espoir de changement.

*nom des participants : Véronique Tadjo, Adama Samake, Makhily Gassama, Tanella Boni, Bidy Cyprien Bodo, Maïmouna Coulibaly

** Véronique Tadjo est écrivaine, artiste et universitaire. Après avoir vécu 14 ans en Afrique du Sud, elle partage maintenant son temps entre Londres et Abidjan. Son dernier roman « En compagnie des hommes » parle de l’épidémie d’Ebola en 2014.

Par Véronique Tadjo**
Publié le 24/09/2019 à 16:47 | Le Point.fr

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