…Laurent Gbagbo joue le tout pour le tout : déclaré vaincu par les Nations unies et l’Union européenne, le Président sortant de la Côte d’Ivoire a prêté serment samedi pour un nouveau mandat, comme si de rien n’était. Pourtant, l’impasse reste totale et dangereuse.
Non sans ironie, alors que la commission électorale le déclarait vaincu, Laurent Gbagbo a déclaré en prêtant serment :
« Que le peuple me retire sa confiance et que je subisse la rigueur des lois si je trahis mon serment. »
En quelques jours, Laurent Gbagbo a en effet amorcé un véritable passage en force, après que la commission électorale indépendante (CEI) a déclaré son rival, l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara, vainqueur du deuxième tour de l’élection présidentielle ivoirienne qui s’est déroulé dimanche dernier.
Aussitôt après, le Conseil constitutionnel a invalidé le résultat proclamé par la CEI puis annoncé que, selon lui, Laurent Gbagbo était le vainqueur.
Depuis jeudi, la Côte d’Ivoire a donc deux présidents : l’un soutenu par la commission électorale dont les conclusions ont été soutenues par la communauté internationale, très impliquée dans la préparation et la supervision du scrutin, et même par l’actuel Premier ministre, Guillaume Soro qui a annoncé sa démission ; l’autre qui s’accroche au pouvoir et tente de jouer l’inertie et la force derrière une façade légale très fragile.
Ce bras de fer se déroule sur fond de violence croissante. Au moins deux personnes ont été tuées au cours de la nuit à Abidjan, en dépit du couvre-feu.
Selon RFI, les incidents se sont déroulés à Port Boué, non loin de l’aéroport et de la base militaire française qui abrite un millier d’hommes. Les forces de défense et de sécurité ivoiriennes ont ouvert le feu pour des raisons encore inconnues. Selon plusieurs sources, il y a eu des tirs à l’arme lourde et deux personnes sont mortes dans des circonstances encore floues.
Impasse totale
Il paraît peu probable qu’Alassane Ouattara et ses partisans, confortés par l’attitude de la communauté internationale, acceptent sans résister le coup de force de Laurent Gbagbo. Ouattara a déclaré qu’il allait procéder à sa propre cérémonie d’investiture, faisant pendant à celle de Gbagbo samedi.
D’autant que ce dernier n’a semble-t-il fait aucun geste de conciliation vis-à-vis de son rival, ni avant ni pendant cette cérémonie d’investiture, et procède comme si la légalité était incontestablement de son côté.
Une double partie à haut risque est donc engagée :
•l’une à l’intérieur du pays, à peine sorti d’une quasi guerre civile et d’une division nord-sud qui pourrait ressurgir dans une nouvelle flambée de violence ;
•l’autre à l’international, avec le risque d’un isolement complet de la Côte d’Ivoire, qui ne manquera pas d’avoir un coût économique important. La France, principal partenaire de la Côte d’Ivoire, n’était pas représentée à la cérémonie d’investiture et Nicolas Sarkozy a appelé Laurent Gbagbo à accepter sa défaite.
Dans cette équation, il reste deux inconnues :
•l’attitude des forces de défense et de sécurité, dont la loyauté va être mise à rude épreuve, et qui pourraient être tentées de jouer les arbitres si la crise se prolonge ;
•l’attitude du reste de l’Afrique, particulièrement dans la sous région ouest-africaine, dont les dirigeants vont être partagés entre la traditionnelle solidarité entre autocrates au mince verni démocratique, et donc un soutien tacite à Gbagbo, et le respect de la légalité et l’alignement sur l’attitude des Nations unies, qui affaibliraient sérieusement le maître d’Abidjan.
Ajoutons-y le dilemme du Parti socialiste français, hier proche de Laurent Gbagbo, membre comme lui de l’Internationale socialiste, et qui a commencé à renouer avec lui ces dernières semaines, après une période de glaciation.
(Par Pierre Haski )