Passé en quelques années de procureur superstar à président de la Corée du Sud, Yoon Suk Yeol, destitué par le Parlement samedi et visé par une enquête pénale pour “rébellion”, vit une descente aux enfers aussi fulgurante que le fut son ascension.
Les députés sud-coréens ont adopté, au deuxième essai, une motion de destitution contre l’impopulaire chef d’Etat conservateur, accusé d’avoir fait vaciller la démocratie sud-coréenne en imposant la loi martiale le 3 décembre et en envoyant l’armée au Parlement pour le museler.
Yoon Suk Yeol, 63 ans, a justifié son coup de force par son désir de “protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments hostiles à l’Etat”, accusant le Parlement, où l’opposition est majoritaire, de bloquer complètement le pays.
Dans un hémicycle cerné par les forces spéciales, les députés avaient tout de même réussi à tenir une séance d’urgence et à voter un texte réclamant l’abolition de la loi martiale, auquel le président avait été constitutionnellement obligé d’obéir.
Depuis son entrée tardive en politique en 2021, M. Yoon a connu une trajectoire cahotique.
Né à Séoul le 18 décembre 1960, fils d’un couple d’universitaires, il effectue toute sa carrière au parquet.
Il joue un rôle-clé dans l’enquête pour abus de pouvoir et corruption qui aboutit à la destitution de la présidente Park Geun-hye puis à son incarcération. En 2017, il est nommé procureur en chef de Séoul. Sous sa direction, le parquet inculpe une centaine de hauts responsables, dont l’ancien président Lee Myung-bak, un ancien ministre de la Justice et plusieurs anciens chefs des services secrets pour malversations en tout genre. Plusieurs suspects se suicident en prison.
– Pourfendeur des corrompus –
Il est nommé procureur général du pays en 2019. Deux ans plus tard, surfant sur sa popularité de pourfendeur féroce de la corruption et de l’abus de pouvoir, il démissionne, annonce sa candidature à la présidentielle et rejoint le Parti du pouvoir au peuple (PPP).
Antiféministe assumé, il promet de supprimer le ministère de l’Egalité des sexes, à l’avant-garde du progrès pour les Sud-Coréennes depuis 2001. Une promesse qu’il ne pourra jamais honorer faute de majorité parlementaire.
Au terme d’une campagne ultrapolarisée, il gagne l’élection présidentielle de 2022 avec la marge la plus étroite de l’histoire du pays, face au leader du Parti démocrate Lee Jae-myung.
Une fois au pouvoir, cet admirateur déclaré de Winston Churchill mène une politique de fermeté à l’égard de la Corée du Nord et renforce l’alliance avec les Etats-Unis. Il se rapproche aussi du Japon, s’attirant le mécontentement d’une partie de la population dans un pays où le ressentiment à l’égard de l’ancienne puissance coloniale reste vif.
Sa réputation est vite ternie par une série de scandales. A commencer par la bousculade de Halloween à Séoul en octobre 2022 qui fait plus de 150 morts. Le drame est imputé à une cascade de négligences de la part des autorités.
– Marie-Antoinette –
On lui reproche d’abuser de son droit de veto, notamment pour bloquer une enquête parlementaire sur une affaire de manipulation de cours impliquant son épouse Kim Keon-hee.
La réputation de la première dame sud-coréenne prend un nouveau coup en 2023 lorsqu’elle est filmée à son insu en train d’accepter un sac à main de marque d’une valeur de 2.200 dollars en cadeau.
Un dignitaire provoque alors la fureur du président en comparant Kim Keon-hee à Marie-Antoinette, l’épouse du roi français Louis XVI connue pour son fastueux train de vie. Le sobriquet est repris par la propagande de Corée du Nord dans des tracts envoyés par ballons vers le Sud.
Le soutien populaire de M. Yoon s’érode à grande vitesse. Ce qui se traduit en avril 2024 par une cuisante défaite aux législatives, d’où le PPP sort avec seulement 108 sièges sur 300 à l’Assemblée nationale, contre 192 pour l’opposition.
Plus tôt cette année, M. Yoon avait déjà été visé par une pétition en ligne réclamant sa destitution. Son succès avait été tel que le site internet parlementaire qui l’hébergeait était tombé en rade.
Après son coup de force du 3 décembre, Yoon Suk Yeol est conspué de toutes parts. Il a interdiction de quitter le pays et fait l’objet d’une enquête pour “rébellion”, un crime théoriquement passible de la peine de mort.
Sa propre formation, le PPP, affirme qu’il constitue un “danger” pour le pays. Elle accepte quand même de le tirer d’affaire le 7 décembre en bloquant le vote au Parlement d’une première motion de destitution. Mais une semaine plus tard, alors que des manifestations monstres ont lieu dans Séoul pour exiger le départ de M. Yoon, 12 députés du PPP se joignent à l’opposition pour le chasser du pouvoir.
Yoon Suk Yeol est le troisième président de l’histoire de la Corée du Sud à être destitué par le Parlement, après Park Geun-hye en 2017 et Roh Moo-hyun en 2004. Ce dernier avait cependant vu sa destitution invalidée par la Cour constitutionnelle.