Contre le “déni”, un historien fait entrer l’Afrique ancienne au Collège de France

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Longtemps négligée, voire niée, l’histoire ancienne de l’Afrique résonnera haut et fort au Collège de France jeudi, lors de la leçon inaugurale de l’historien et archéologue François-Xavier Fauvelle, déterminé à dissiper les préjugés et redessiner “le puzzle” d’une histoire singulière.

A 51 ans, ce directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui a co-dirigé l'”Atlas historique de l’Afrique” (Autrement) à paraître mercredi, vient de prendre la tête de la première chaire permanente consacrée à l’histoire de ce continent au Collège de France, prestigieuse institution fondée en 1530, où ont notamment exercé le philosophe Michel Foucault et l’historien Fernand Braudel.

“Ca manquait. Il y a une demande d’Afrique”, admet-il d’emblée lors d’un entretien avec l’AFP, voyant dans cette reconnaissance tardive “un reflet de la société qui a un problème avec l’histoire de l’Afrique” précoloniale.

“C’est vrai en France, en Europe, aux Etats-Unis, mais aussi en Afrique”, qui s’en est longtemps désintéressée, ce qui explique selon lui le choix, qui en a fait tiquer certains, d’un Français et non d’un Africain à ce poste. “Sur l’histoire ancienne de l’Afrique, il y a beaucoup moins de collègues africains qu’il y en a en Europe. Il y a un désinvestissement des pouvoirs publics, très peu de filières doctorales, peu de pays sont capables de recruter deux ou trois archéologues par an”.

Un “déni d’histoire” s’insinue ainsi partout, des dîners mondains – où l’Afrique se résume au mieux à sa nature sauvage ou ses artistes – aux discours politiques. Jusqu’à Dakar, en 2007, où le président français d’alors Nicolas Sarkozy fera scandale en assénant que “l’Homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire”.

“La traite des esclaves en particulier, suivie de la colonisation, nous ont habitués à percevoir que +l’Homme africain+ – pour utiliser cette expression de Sarkozy – était uniquement utile par sa valeur marchande ou sa valeur de travail mais certainement pas le produit d’une trajectoire historique”, analyse M. Fauvelle.

Un préjugé battu en brèche par ce passionné qui souligne la richesse et la singularité de son sujet d’étude: “Les royaumes, cette forme sociale très particulière qu’est le nomadisme pastoral, l’exceptionnelle variété linguistique. Tout ça intrigue”.

D’autant qu’en Afrique, “les phases historiques ne se sont pas empilées les unes sur les autres” comme en Eurasie où les chasseurs-cueilleurs inventent les premiers outils avant de développer l’agriculture, jusqu’à finalement disparaître. Au Mali comme au Soudan, les royaumes cohabitent avec d’autres sociétés, par exemple des sociétés nomades.

“Un continent englouti”
Autre cliché qu’il combat, la division entre Afrique “noire” (subsaharienne) et “blanche” (Maghreb et Egypte). “On voit bien que les phénomènes ne s’adaptent pas à cette frontière-là. Regardez l’islam, qui a traversé le Sahara depuis le début du Moyen âge. Les sociétés ont adapté l’islam sans devenir ni blanches ni arabes”.

Instruit par des années d’études et de fouilles archéologiques – notamment sur les sultanats islamiques de l’époque médiévale en Ethiopie ou le site de la ville marocaine de Sijilmäsa, l’une des portes du Sahara – l’historien ne minimise pas les défis.

Au premier chef, des indices épars et hétérogènes: documents écrits – avec par exemple divers systèmes d’écriture tout au long de la vallée du Nil, de l’Egypte jusqu’au Soudan -, récits de voyageurs grecs ou arabes mais aussi des inscriptions, des pièces archéologiques, des sources orales…

“C’est un petit peu comme des pièces de puzzle qui ne collent pas”, explique M. Fauvelle. “Ca dessine quelque chose mais on ne sait pas très bien quoi”.

“Il faut accepter d’avoir des creux et des pleins (…) On peut quand même raconter des choses mais pas de la même façon que l’histoire de la France du Moyen Age”, confie l’auteur de “Rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Age africain” (Alma).

Autre défi: l’énorme déficit de recherches archéologiques en Afrique.

“C’est un continent englouti. Je pourrais vous citer des dizaines de villes qui sont mentionnées par des auteurs grecs ou arabes et n’ont pas été découvertes”, à l’instar de l’ancienne capitale du Mali, souligne-t-il.

“Il faut des institutions qui travaillent ensemble, qui y mettent de l’argent”, insiste M. Fauvelle qui ambitionne de contribuer à créer un nouveau centre de recherche en Afrique de l’Ouest “pour faciliter la circulation des idées et des chercheurs”.

“Investir dans le passé, c’est non seulement intéressant mais rentable. Raconter le passé, mettre au jour des sites archéologiques, les entretenir c’est la condition nécessaire pour qu’il y ait du patrimoine et du tourisme”, plaide-t-il, en regrettant le désinvestissement des pouvoirs publics.

01/10/2019 13:57:51 – Paris (AFP) – © 2019 AFP

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