Brazzaville et N’Djamena ont connu un bien difficile réveil ce mardi, avec les journées « villes mortes » décrétées respectivement par les oppositions congolaises et tchadiennes. Le Congo et le Tchad, ces deux frères siamois de la politique en Afrique centrale, font face à la même réalité : les princes se sont donné pour dessein de s’éterniser au pouvoir, des projets surannés que les peuples se refusent à entériner. Au Congo, pour faire barrage au hold-up électoral du 20 mars 2016 orchestré par Denis Sassou Nguesso pour assouvir son inextinguible soif de pouvoir, quatre mousquetaires se sont coalisés pour organiser la résistance. Ils appellent les Congolais à rester chez eux pour protester contre ce qu’ils considèrent comme une « farce électorale » et envisagent de faire monter graduellement le mercure pour faire connaître les « vrais résultats de l’élection présidentielle ».
La peur est en train de changer de camp
C’est dire que les eaux du Congo menacent d’entrer en crue avec des risques évidents de réveiller les fantômes du passé. En effet, le souvenir des Congolais bruisse encore des affrontements sanglants entre Cobras et Ninjas sur fond de dissensions politiques et d’intérêts de multinationales pétrolières. Le régime d’ailleurs n’hésite pas à user de cet argument du retour du « chaos dans la République », pour décrédibiliser la lutte de l’opposition. Mais quel autre choix offre-t-il à cette opposition pour se faire entendre? A vrai dire, celle-ci n’use que de la seule arme qui lui reste pour défendre ses intérêts face à un régime qui a usé d’un inélégant tripatouillage constitutionnel pour se pérenniser au pouvoir. Face au tumulte, le pouvoir se montre très fébrile. Accusant ses contempteurs de vouloir attenter à la sûreté de l’Etat, il se laisse aller à la répression. Et comme pour donner raison à l’opposition sur son inféodation au régime, c’est la CENI qui vole au secours du dictateur, estimant que la désobéissance civile relève d’un autre jeu que la logique électorale. Tout ceci prouve que la peur est en train de changer de camp et que l’opposition tient le régime par son talon d’Achille. Le succès de son combat tiendra plus de sa persévérance et de sa bonne coordination qu’à tout autre chose. En maintenant une bonne pression, elle met Sassou face au mur. Osera-t-il le risque d’une « burundisation » du Congo avec ses graves conséquences sur la sous-région qui mérite plus que jamais son nom de « poudrière du continent » ? Face à la mauvaise saison qui s’annonce au Congo, le président Idriss Deby du Tchad, président en exercice de l’Union africaine (UA), était es-qualité le secours attendu. Mais lui aussi fait face à une forte bourrasque de contestations. Il doit s’appliquer la maxime latine « Medice, cura te ipsum » (Médecin, soigne-toi toi-même). En effet, une vingtaine de chefs de partis politiques ont demandé à être incarcérés par solidarité avec quatre figures de l’opposition détenues pour avoir appelé à manifester contre la candidature du président Idriss Deby pour un cinquième mandat. Face au refus des autorités pénitentiaires, les contestataires ont fait monter d’un cran la pression en lançant un mot d’ordre de « grève sèche » qui sera suivi d’une marche le 5 avril prochain.
Les vieux dinosaures du continent n’ont pas évolué avec leur peuple
Cette brusque poussée de fièvre a de quoi surprendre plus d’un, la limitation des mandats n’étant pas une clause constitutionnelle. Mais en fait, Deby est rattrapé par la réalité. Après avoir détourné son opinion interne des vraies préoccupations nationales par le succès de ses interventions militaires étrangères et acheté à coups de « pétrodollars » les organisations de la société civile, il en paie aujourd’hui le prix avec le retour de l’accalmie sur les fronts militaires et l’effondrement des cours du pétrole. Et la soif de l’alternance activée par les frasques sociales du régime a repris le dessus. Le guerrier du désert se retrouve dos au mur, n’ayant pas la tradition de dialogue avec son opposition politique qui a longtemps fait l’objet de sanglantes purges quand elle n’est pas assimilée à une rébellion et écrasée comme un cancrelat avec l’aide de la France. Même si, dans l’immédiat, une simple journée ville morte ne peut émouvoir le dictateur, à long terme, il sera contraint de trouver avec son opposition, un compromis dynamique, le temps des répressions barbares étant révolu…
Lu sur lepays.bf