Les tensions entretenues entre l’ancien et le nouveau régime peuvent être lourdes de danger pour la stabilité du pays au regard de ce qu’il s’est passé ce samedi aux abords de la place de l’Obélisque. Des huées vindicatives, une grenade qui atterrit au mauvais endroit, un mouvement de foule plus ou moins incontrôlé, des forces de l’ordre contraintes de faire le boulot ou de se défiler qui font cap sur la première option. Et le drame qui vient. Que se serait-il passé s’il était arrivé quelque chose à Abdoulaye Wade ? Nul ne le sait mais chacun peut le deviner…
Alors que le pouvoir étale son manque flagrant d’adresse dans l’approche psychologique qu’il sied quelques fois d’imprimer à des questions politiques, un vieux trublion toujours égal à lui-même en dépit de son âge semble prêt à tous les dérapages pourvu que son fils sorte de la prison de Rebeuss. Mais dans ce jeu morbide qui consiste à imbriquer les bonnes raisons aux pires arguments de la cause défendue, le pouvoir lui facilite fortement la tâche, comme dans un scénario de complicités réciproques. Car, en fin de compte, c’est le président de la République qui a le plus à perdre dans cette posture négative qui le fait passer pour un fossoyeur de la Constitution, lui l’ancienne victime du régime auquel il appartenait. Aujourd’hui, force est de constater qu’il excelle plus dans la stature du bourreau dominant que dans le modèle de régulateur lucide des libertés fondamentales.
Interdictions inadmissibles
Macky Sall et ceux qui lui servent de conseillers en matière de gestion de l’ordre public ont tort face à la revendication essentielle avouée du Pds et de Me Wade. Les interdictions systématiques de manifestations infligées à des partis politiques dûment constitués, quels qu’ils soient, sont en effet inacceptables et inadmissibles dans la démocratie qui est la nôtre. Le chef de l’Etat devrait le savoir : n’importe quel sondage sérieux lui montrerait que cette hargne à brimer les demandes légales de manifestation publique est largement dénoncée par les citoyens comme une atteinte grave aux libertés. Alors, on a bien compris qu’il y a des règlements de comptes personnels qui viennent se greffer sur la prise de décision politique et administrative concernant l’exercice de certaines libertés. Un Préfet est toujours là, dévoué et zélé, pour restreindre les droits des gens sur la base d’arguments qui ne sont pas toujours exempts de ridicule. On se désole d’entendre aujourd’hui les mêmes voix qui fustigeaient les «préfets wadistes» pour leur propension à torpiller le droit de marche applaudir les «préfets mackystes» qui reconduisent le même scénario ! Nous faudrait-il une sorte d’Observatoire des libertés, organe indépendant auquel échoirait la gestion des manifestations publiques dans notre pays pour que nous dépassions l’irresponsabilité renouvelée des politiciens érigés en juge et partie, et la soumission au pouvoir politique d’une frange de l’administration territoriale trop attachée à ne pas déplaire aux gouvernants en place ? Or, il nous semble qu’un régime qui se respecte et qui respecte la Constitution, n’a point besoin d’outrepasser les lois en vigueur pour se faire entendre et se faire respecter. Malheureusement, c’est l’une des «qualités» de ce pouvoir qui se tue à cacher ses fragilités internes, comme s’il doutait de l’adhésion d’une majorité de Sénégalais à sa cause.
Dialogue ? Quel dialogue ?
Effectivement, il n’est pas certain que la majorité des Sénégalais soit aujourd’hui en phase avec la gouvernance du président Sall. Abdoulaye Wade l’a si bien compris qu’il a le loisir et même le toupet, après avoir bravé les grenades lacrymogènes des forces de l’ordre ceinturant la place de l’Obélisque, d’appeler «au dialogue», lui l’éternel perturbateur professionnel de la vie politique nationale. Dialoguer et négocier autour de quoi d’ailleurs ? Il faut arrêter ces jeux de mots qui n’ont absolument aucun contenu démocratique tels qu’on nous les rabâche à chaque saison de conflit entre acteurs politiques. Le Sénégal est dans la situation où, comme on le dit souvent il faut : laisser le pouvoir gouverner, laisser l’opposition s’opposer, laisser les institutions fonctionner sans interventionnisme politicien. C’est dans ce cadre qu’il importe de ranger les libertés fondamentales reconnues par la Constitution. Le reste n’est pas loin d’être un fonds de commerce pour rentiers en quête de missions… On l’a dit et redit, le souci essentiel de l’ancien président reste le sort de son fils. C’est le fil conducteur d’un activisme qu’il délègue à ceux et celles qui lui doivent tout ou presque, ses relais sur le terrain. C’est justement là l’erreur tactique des autorités. En mettant une chape de plomb sur le droit incompressible à la marche, elles donnent l’occasion aux libéraux et à leurs alliés de faire la jonction stratégique entre deux revendications d’inégale pertinence : la lutte contre l’épidémie des interdictions de marche qui frappent le Pds depuis plus de deux ans, et la libération exigée de Karim Wade. C’est ce deuxième point qui, dans l’entendement de Me Wade, devrait être le point focal de la fameuse négociation à laquelle il ne cesse d’appeler depuis son retour d’exil, sans succès. À ce niveau, il n’y a rien à négocier ! L’ancien président doit définitivement accepter que son fils ne peut être qu’un justiciable de droit commun qui a la malchance de répondre de ses activités devant une juridiction d’exception comme la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Il doit d’autant plus se faire une raison que lui-même apparaît comme le véritable persécuteur d’un rejeton à qui il n’avait pas hésité à donner des pouvoirs exceptionnellement démesurés, jamais exercés par un homme seul au Sénégal depuis cinquante cinq ans. Sous ce registre, il y a de fortes chances que l’opinion nationale soit encore fidèle à la volonté du pouvoir de solder les comptes avec les présumés illicitement enrichis. Quant au rétrécissement des libertés, c’est un grand combat d’arrière-garde duquel Macky Sall doit se départir. C’est le meilleur moyen de neutraliser des déstabilisateurs professionnels à qui on a malheureusement offert, sur un plateau de diamant, une seconde jeunesse…
Mamar DIENG depuis Dakar
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