Chirac, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre

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L”ancien chef de l”État a effectué la semaine dernière une tournée en Afrique, en compagnie de son ami François Pinault. Mauritanie, Sénégal, Mali, où il a notamment visité le pays dogon. Une manière de tourner la page de quarante ans de vie politique. Et de lancer sa fondation.

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Il salue toujours de la même façon. La main droite tendue à l”extrême, comme en extension. Sourit. S”empare des mains qu”on lui tend, avec une préférence pour ceux qui paraissent à ses yeux comme les plus déshérités, les plus faibles. Au musée de Bamako, il s”accroupit pour embrasser une Malienne presque lilliputienne. À Mopti, il serre les mains des enfants qui l”accueillent. Il remercie sans cesse. Semble se repaître de ces signes d”affection que les Africains lui prodiguent sans compter. Comme si, à l”instar du soleil brûlant malien, ces effusions, plus ou moins spontanées, lui réchauffaient le cœur et le corps. Comme si elles lui faisaient du bien à l”âme, donnant l”impression fugace que le temps s”est arrêté. Qu”il est toujours président en exercice. Comme si…
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rnAprès la Mauritanie et le Sénégal, l”ancien président français (ici, à Dakar) a achevé sa tournée au Mali, vendredi dernier. Crédits photo : AFP

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Vendredi dernier, à Bandiagara, en plein pays dogon, installé sous une tente, sur terre battue, à côté de son ami François Pinault, «son excellence monsieur le président Jacques Chirac» joue toujours le même rôle. La même partition. Mécaniquement. Sympa, chaleureux. S”extasiant devant la beauté des cadeaux qu”il reçoit. Faussement familier. Fidèle à l”image qu”il a toujours renvoyée de bon vivant. Ou s”efforçant de faire comme si. Lors de son premier voyage en Afrique en tant que président de sa fondation, Jacques Chirac n”était ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. En apparence, vu de loin, un étranger de passage aurait pu croire que l”on accueillait un chef d”État en exercice. Tapis rouge, haie d”honneur, présence du président malien, Amadou Toumani Touré, «ATT», banderoles d”une baroque Association des Amis de Jacques Chirac, tout y était. Si ce n”est que, quelques semaines auparavant, c”est Brice Hortefeux qui avait été accueilli avec les honneurs dans le pays. Tout y était, sauf que l”on précise à l”ambassade de France au Mali que le président malien «aime beaucoup Sarkozy, aussi».

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«Pour moi, papa est fatigué»

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Le même, Jacques Chirac ? Pas tout à fait cependant. Le conquérant a vieilli et ne cherche plus à le cacher. Cela se voit à de petits détails. Lui qui était obsédé à l”Élysée par le souci de «faire jeune» ne se préoccupe plus de son image, laissant par exemple les photographes fixer un sourire dévoilant une dentition incomplète. Il est là et, en même temps, un peu ailleurs. À parfois l”air un peu emprunté quand il se trouve entouré de près, presque cerné par des danseurs ondulant au son des tam-tams. Tend un peu l”oreille quand il participe à une table ronde sur la lutte contre le sida et le paludisme. Le chef du protocole malien veut le ménager, arguant en des termes peu diplomatiques : «Pour moi, papa est fatigué.» Autre métamorphose : l”ancien hôte de l”Élysée affiche désormais sans complexe son amitié avec le milliardaire François Pinault, qui lui a prêté son Falcon pour le voyage. Ses conseillers ne traquent plus comme avant ce qui pourrait apparaître comme des signes extérieurs de richesse. On a même vu, symbole minuscule et en même temps tellement parlant de ce changement, de vieilles malles Vuitton (un comble dans un avion prêté par le grand concurrent de Bernard Arnault) sortir de l”avion à Bamako.

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Débarrassé des entraves qu”on lui imposait et qu”il s”imposait lui-même, Jacques Chirac pourrait siffloter «Il est libre, Max». Oui, sur le papier, il est libre. Libre de ses paroles, libre de voyager où il veut, avec qui il veut. Loin des regards mi-inquisiteurs mi-apitoyés des observateurs parisiens. Loin des interrogatoires de juges qui l”ont mis en examen dans l”affaire des chargés de mission de la Ville de Paris. Libre de parler aux journalistes. Sans fiches. Sans «off». Sans langue de bois. Ce qui lui permet de pointer du doigt les «éructations» des «donneurs de leçons» de tous poils. Un classique chiraquien. Ce qui lui permet, aussi, de s”emporter une fois encore, indécrottable tiers-mondiste, drôle de soixante-huitard appliquant depuis des années une espèce de relativisme culturel en matière de droits de l”homme, contre la « fumisterie et la masturbation intellectuelle» des beaux esprits «des salons parisiens». Alors, non, il n”est pas choqué par la visite de Kadhafi à Paris, employant les mêmes arguments que le président libyen : «Est-on si exemplaires que cela en matière de droits de l”homme ?» Il n”est pas choqué non plus par les félicitations adressées par Sarkozy à Poutine. Trouve même «idiot» qu”on lui pose une question sur le sort réservé à l”opposant Garry Kasparov. Il n”a rien à redire non plus sur le discours de Dakar de Sarkozy. Serait-il devenu le principal soutien de son successeur ? Tout de même pas. Il s”astreint à un devoir de réserve. En public. En privé. «Il y a des petites choses qui l”irritent», reconnaît malicieusement François Pinault, complice des bons et des mauvais jours.

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Il dit «ma fondation» avec une espèce de jubilation

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Mais cette nouvelle liberté, même relative, peut parfois apparaître effrayante, déstabilisante. Ce n”est pas un secret. Après son départ de l”Élysée, l”ex-président a traversé une passe difficile. Une petite phase dépressive. Aujourd”hui, cela va mieux. Il ne sera pas le «simple» retraité promenant son bichon maltais dans les rues de Paris ou de Biarritz. Tout en siégeant au Conseil constitutionnel, il a décidé de s”investir dans «sa» fondation, qui s”appellera Fondation Chirac, tout simplement. Et il dit «ma fondation» avec une espèce de jubilation. Son tour de table, auquel participent notamment Veolia, Schneider, Artemis, la fondation Bettencourt, les laboratoires Pierre Fabre, est bouclé. Ses missions sont définies : aider les pays qui en ont besoin à accéder à l”eau et aux médicaments, tout en défendant l”accès à la culture à travers notamment le maintien des langues traditionnelles. La tournée qu”il a achevée vendredi dernier au Mali (après la Mauritanie et le Sénégal) était en quelque sorte un voyage d”observation, d”exploration. Jacques Chirac fera d”autres voyages. Manière de faire comme si. Encore.

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Anne Fulda, envoyée spéciale au Mali
rnLefigaro.fr   20/12/2007 | Mise à jour : 10:34

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