En République centrafricaine, la rébellion Seleka a poursuivi ce week-end son avancée sur Damara, dernier verrou avant Bangui, alors que des pourparlers sont prévus cette semaine à Libreville avec le gouvernement. Les populations sont les premières victimes de ce conflit, et tout particulièrement les enfants. L’Unicef dénonce des recrutements croissants d’enfants aussi bien par les groupes rebelles que par des milices gouvernementales. Souleymane Diabaté est le représentant de l’Unicef en Centrafrique. En raison de l’insécurité, il travaille désormais depuis Yaoundé au Cameroun. Propos recueillis par Charlotte Idrac.
RFI : Qu’est-ce qui permet d’affirmer, aujourd’hui, que le recrutement d’enfants soldats a augmenté en Centrafrique ?
Souleymane Diabaté : On a reçu des informations, des rapports crédibles et dignes de foi, affirmant que les groupes rebelles et les milices pro-gouvernementales sont en train de recruter des enfants, et de les entraîner dans le conflit armé qui déchire aujourd’hui la République centrafricaine.
Nous estimons que plus de 2 500 enfants sont associés avec les milices pro-gouvernementales et les groupes rebelles. Aujourd’hui, il nous est très, très difficile d’avancer des chiffres sur les nouveaux recrutements. Mais nous savons, par rapport aux informations que nous recevons du terrain, que ce chiffre a augmenté. Et c’est pour cette raison d’ailleurs, que nous en appelons au gouvernement et à ce groupe rebelle, afin d’arrêter le recrutement d’enfants, filles ou garçons, pour servir dans les groupes armés ou dans les milices.
Vous pointez du doigt à la fois la rébellion et les milices gouvernementales. Qui compose ces milices pro-gouvernementales et où sont-elles ?
À Bangui, nous avons eu des informations dignes de foi, comme quoi des jeunes gens étaient utilisés dans les milices pro-gouvernementales, au niveau des barricades qui ont été érigées, qui sont tenues par des milices, avec des jeunes gens dotés d’armes blanches, d’arcs, de flèches.
Ailleurs dans le pays, depuis le 10 décembre quand le conflit a éclaté, des zones ont été successivement occupées par la rébellion. Et dans ces zones, il y a utilisation d’enfants dans les groupes armés. C’est inadmissible !
Est-ce que les Faca, les Forces armées centrafricaines, seraient aussi concernées par ces nouveaux recrutements d’enfants soldats ?
Je ne peux pas vous dire que les Faca sont impliquées, mais nous avons des indications assez claires, que des enfants, des jeunes, sont utilisés dans le conflit, que ce soit au niveau de la rébellion ou au niveau de Bangui.
Cette situation remet en cause, bien évidemment, les progrès qui avaient été faits, ces dernières années, pour lutter contre ce phénomène, car il y avait eu des progrès en Centrafrique…
Il y avait eu, effectivement, des progrès en République centrafricaine. Etant donné que depuis 2007 nous avons travaillé avec le gouvernement et avec les factions rebelles, pour permettre l’identification et la séparation des enfants associés avec les groupes armés.
On estime que plus de 1 000 enfants ont été séparés des groupes armés et des milices pro-gouvernementales. Donc, il est clair que ce conflit vient encore perturber ce travail qui a été fait. C’est un long processus, qui prend du temps. Et malheureusement, ce conflit vient endiguer les efforts qui ont été faits dans ce sens.
Qui sont ces enfants qui sont nouvellement recrutés par les groupes armés ? Ce sont des enfants qui sont arrachés à leurs familles ?
On estime à plus de 3 000 les enfants de la rue, à Bangui. Donc, il est clair que ces enfants sont une cible. Mais il y a également des enfants qui sont séparés ou qui sont enlevés de force, ou qui ont perdu leurs parents et qui deviennent une proie facile. Et du fait de la pauvreté, aussi, des enfants sont facilement recrutés pour servir des messagers, des espions, s’occuper de la cuisine… Donc, c’est tout cela.
Depuis un moment, les humanitaires que nous sommes n’avons pas accès aux zones affectées. Et j’en appelle au gouvernement, et j’en appelle également aux mouvements rebelles, pour que les humanitaires puissent aller sur le terrain pour apporter la réponse humanitaire.
D’ailleurs, l’Unicef, une partie en tout cas de vos équipes, a dû quitter la République centrafricaine…
Oui, dans ce genre de situation, nous sommes amenés à nous retirer. Mais ça ne veut pas dire que nous n’avons pas une présence sur le terrain. Je suis, présentement, à Yaoundé, où je travaille avec une équipe réduite, mais nous avons également des collègues qui sont à Bangui, avec lesquels nous travaillons. Nous ne sommes pas partis du pays. Notre bureau est encore ouvert, nous travaillons jour et nuit avec les collègues, et nous préparons la réponse humanitaire.
Il faut rapidement que nous puissions retourner sur le terrain, pour que nous puissions séparer les enfants. Il y a deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, qui condamnent l’utilisation des enfants dans les conflits armés. Il faut absolument que ces résolutions soient respectées par les mouvements rebelles et par le gouvernement. Il faudrait que ces enfants puissent retourner à l’école, aient accès aux soins de santé et retrouvent leurs familles.
Par RFI