Paris et le camp Gbagbo donnent des versions divergentes sur les conditions de l’arrestation du président sortant. Reconstitution.
Par JEAN GUISNEL
La confusion règne et la polémique monte autour des conditions de l’arrestation de Laurent Gbagbo, lundi 11 avril, et plus particulièrement du rôle joué par la France. Une chose est sûre : les raids conduits par la garde de Gbagbo les jours précédents ont accéléré la prise de sa résidence. En sortant du périmètre dans lequel ils étaient contenus par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, troupes d’Alassane Ouattara), les mercenaires et les soldats fidèles au président déchu – qui ont notamment pris l’ambassade d’Allemagne ainsi que celle du Japon et attaqué l’hôtel du Golf au mortier – ont rendu une action de force inévitable. L’assaut final contre la résidence de Laurent Gbagbo a été conduit dans des conditions que nous avons tenté de reconstituer.
La France a-t-elle participé à la préparation de l’assaut ?
L’assaut a été préparé par l’état-major des forces de l’Onuci, que dirige le général togolais Gnakoudè Béréna. Paris demeure discret sur la présence de vingt officiers français dans cet état-major. En matière de renseignement, la France a pu fournir à l’ONU des analyses ou des images prises par ses hélicoptères, mais l’essentiel de ces informations venait des FRCI présentes dans Abidjan. Selon nos informations, la France n’a pas eu à fournir d’armes particulières aux FRCI, qui disposaient des armes des anciennes Forces nouvelles, stockées au nord du pays, et de celles qui ont été livrées à partir du Burkina Faso voisin.
Les forces spéciales françaises sont-elles intervenues ?
Selon les informations diffusées par l’état-major des armées, qui ne commente habituellement pas leurs activités, les forces spéciales françaises ne sont pas intervenues dans la journée de lundi. Ce sont bien elles en revanche qui ont sorti d’une très fâcheuse posture l’ambassadeur du Japon et sept de ses collaborateurs dans la nuit du 6 au 7 avril, à l’aide d’un commando héliporté.
Comment a été défini le rôle de la force Licorne ?
Très attentifs à réduire les possibles mises en cause que n’aurait pas manqué d’entraîner une opération décidée unilatéralement, les Français n’ont pas agi avant d’avoir reçu une lettre du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon. Ce dernier a précisé le 10 avril dans un courrier les conditions et les motivations de l’intervention demandée à l’armée française.
Quel a été, lundi, le rôle de la force Licorne ?
Les forces françaises sont intervenues en soutien des FRCI, qui sont entrées dans la résidence de Laurent Gbagbo pour l’arrêter. Leur rôle a été absolument déterminant, pour “aider une troupe vaillante mais peu organisée”, selon un officier français. Avant l’assaut, les hélicoptères Mi-24 de l’Onuci, pilotés par des Ukrainiens, ont été appuyés par des hélicoptères français, Puma et Gazelle, appartenant au 1er régiment d’hélicoptères de combat. Les Gazelle ont tiré “plusieurs dizaines de missiles” antichars HOT, contre les armes lourdes des défenseurs de Laurent Gbagbo. Plusieurs de ces missiles ont frappé contre la résidence, rendant l’assaut possible.
Quels ont été les moyens français engagés ?
L’état-major de Licorne a composé deux SGTIA (sous-groupements tactiques interarmes) formés avec des éléments de la force française. Les cavaliers du 12e régiment de cuirassiers se trouvaient à bord des ERC-90 Sagaie, véhicules blindés légers de reconnaissance équipés d’un canon de 90 mm. Les fantassins du 16e bataillon de chasseurs étaient dans des VBL (véhicules blindés légers) et des VAB (véhicules de l’avant blindé). Indispensables dans ce type d’opération, les sapeurs provenaient du 19e régiment du génie, équipé de MPG (matériel polyvalent du génie).
Quels sont les moyens que la France n’a pas engagés ?
Les hommes du 13e bataillon de chasseurs alpins sont restés en réserve. Déployés initialement au Gabon pour quatre mois en février, ils sont venus renforcer Licorne au plus fort de la crise. Les Français disposaient également du TCD (transport de chalands de débarquement) Foudre, qui doit assurer la mission Corymbe jusqu’en mai prochain. Il est resté au large d’Abidjan, derrière l’horizon, et tous ses moyens avaient été débarqués. Doté d’un hôpital, il aurait pu accueillir 1 000 réfugiés en urgence. Les Français étant par ailleurs maîtres de l’aéroport d’Abidjan, ils auraient été en mesure d’effectuer très rapidement des évacuations de réfugiés ou d’accueillir des renforts.
Le Point.fr – Publié le 12/04/2011 à 15:55 – Modifié le 12/04/2011 à 16:00