C’est par un mois d’Octobre, après l’assassinat du Président Sankara qu’il avait accédé au Pouvoir. Ironie du sort, par un autre mois d’octobre, il en est chassé. Le seul « mérite » de Blaise Compaoré aura été de s’être résigné à fuir, avant que le nombre de ses morts de la semaine dernière n’ait atteint la centaine. Contrairement à… l’autre.
Dans un entretien à un quotidien français le 4 novembre 1987, le capitaine, Blaise Compaoré en tenue camouflée de parachutiste, expliquait pourquoi, il a fomenté son putsch meurtrier du 15 octobre 1987 contre son ancien compagnon de révolution : «Thomas Sankara n’était plus suivi par les organisations étudiantes, l’armée était divisée, il ne tenait plus compte de « l’intérêt de l’immense majorité ».
Vingt-sept ans après, Blaise Compaoré (63 ans) semble pourtant avoir commis les mêmes erreurs que son charismatique prédécesseur, anti-impérialiste et panafricaniste.
Des erreurs qui l’ont contraint à la démission vendredi dernier, chassé par la rue après seulement trois jours de protestation alimentée par la volonté du président de se maintenir au pouvoir ad vitam æternam.
Depuis quelque temps pourtant, les signaux s’accumulaient qui auraient dû le dissuader de tenter de mener la dernière réforme qui allait lui être fatale.
Après avoir longtemps entretenu le suspense par calcul politique pour les uns, par « hésitation », selon un diplomate occidental, Blaise Compaoré avait finalement décidé, à la mi-octobre, de faire passer une réforme constitutionnelle qui lui aurait permis de briguer en 2015 un nouveau mandat présidentiel, le cinquième depuis son arrivée au pouvoir en 1987.
Peut-être parce que des sondages montraient que cette réforme n’avait pas la faveur de l’opinion, Blaise Compaoré avait opté pour la voie parlementaire plutôt que le référendum, négligeant ainsi les aspirations démocratiques de la population au profit de petits arrangements entre partis. La manœuvre, assez grossière pour un homme politique que l’on disait pourtant fin calculateur, n’a pas pris.
Manipulateur ordinaire de Constitution
L’ancien putschiste avait pourtant, en 1991, quitté son uniforme et introduit le multipartisme dans son pays. Il laissait vivoter une presse d’opposition parfois insolente, mais marquée par le souvenir de la mort, en 1998, de Norbert Zongo, directeur d’un journal dérangeant, assassiné alors qu’il enquêtait sur un meurtre impliquant le frère du président. Blaise Compaoré – déjà deux fois réélu au terme de scrutins certes quelque peu déséquilibrés et boycottés par les principaux opposants – avait aussi introduit en 2000 une réforme constitutionnelle instaurant le quinquennat et limitant à deux le nombre de mandats.
Mais là, en 2014, le président offrait subitement le visage d’un manipulateur ordinaire de Constitution, comme l’on en rencontre dans d’autres pays africains qui n’affichent pas les standards démocratiques du « Pays des hommes intègres ». « Ces derniers temps, il n’écoutait plus, enfermé dans sa bulle, lâché par une partie des cadres de sa formation mais poussé par ses proches, notamment son frère cadet François, qui ne voulaient pas perdre leurs positions ou s’imaginaient lui succéder », avance un diplomate occidental.
Certes, les Etats-Unis, d’abord, puis l’ancienne puissance coloniale française avaient rappelé le président à l’ordre, lui conseillant de respecter son engagement démocratique.
François Hollande lui avait même fait une promesse de « job ». En cas de départ, « vous pourriez alors compter sur la France pour vous soutenir, si vous souhaitez mettre votre expérience et vos talents au service à la disposition de la communauté internationale », écrivait le président français.
Mais, nul doute que Paris et Washington se seraient finalement accommodés de cette entorse constitutionnelle si elle était venue à passer le test du vote parlementaire ou du référendum. Pour la bonne raison que, au fil des ans, Blaise Compaoré, président d’un pays pauvre et enclavé de 16 millions d’habitants dont l’économie repose sur la culture du coton et l’envoi d’argent de sa nombreuse diaspora, était devenu « l’enfant chéri des institutions financières internationales pour la rigueur de sa gestion des affaires publiques », selon un diplomate français.
« Passion pour la diplomatie »
Blaise Compaoré, d’ethnie Mossi (la plus nombreuse du pays), s’était imposé au fil des ans comme le médiateur utile de bien des crises régionales. Certes, ces derniers temps, Paris et Ouagadougou n’étaient pas sur la même longueur d’ondes au sujet du dossier du Nord-Mali, secoué par une énième montée indépendantiste touareg et miné par des groupes djihadistes. Mais, au bout du compte, le Burkina avait ouvert ses frontières aux armées française et américaine engagées dans la lutte antiterroriste au Sahel.
Togo, Mauritanie, Guinée, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Darfour… Le « beau Blaise » avait multiplié les missions de bons offices sur le continent noir et accueillait des opposants sur son sol. « C’est quelqu’un sur qui ces puissances peuvent compter pour déléguer des médiations et c’est quelqu’un qui a très certainement été animé par une passion pour la diplomatie et qui a obtenu quelques résultats », disait-on de lui.
Certes, il y eut avant cela d’autres interventions plus déstabilisatrices, comme au Liberia dans les années 1990, son amitié avec Mouammar Kadhafi, son implication, épinglée par l’Organisation des nations unies, dans des trafics d’armes et de diamants avec les insurrections angolaises et Sierra-Léonaise. Louise Harbour, ex-haut-commissaire aux droits de la personne aux Nations unies, soulignait d’ailleurs que « l’ancien soldat putschiste et parrain de Charles Taylor [ancien président du Liberia condamné en 2014 par la justice internationale pour crimes de guerre] n’est pas le mieux placé pour prêcher les vertus de la démocratie ». Et c’est pour avoir voulu jouer une fois de plus avec ces vertus que Blaise Compaoré a fini par tomber, sans aucune chance de se relever.
Rentré par la petite porte dans l’histoire de son pays, Blaise Compaoré en est sorti par la même.
A.D.