Ainsi donc, c’est Leïla Trabelsi Ben Ali qui, par sa cupidité et sa folie des grandeurs, par son inextinguible soif d’or et d’argent, a provoqué la chute et la fuite déshonorante de son mari, le général Zine el Abidine Ben Ali, vers l’Arabie Saoudite. Nous sommes franchement en Afrique, encore en Afrique. Et dans cette Afrique du 21ième siècle, la femme est toujours coupable de la perte de son mari. Nous appelons ça, au Mali, « mousso téré djougou ». Celle qui, dans le sillage d’un homme, le conduit inexorablement à l’humiliation.
Rappelez-vous la ruine de Bokassa, imputée à « l’impératrice » de pacotille qu’il traînait dans sa mégalomanie monarchique, puis celle de Moussa Traoré en mars 1991, et celle de Robert Gueï en Côte d’Ivoire. Les images du corps atrocement mutilé de Rose Doudou Gueï resteront gravées dans notre mémoire collective. Le coup d’Etat de Bozizé contre Ange Félix Patassé en Centrafrique. Le cinglant désaveu des Béninois envers Nicéphore Soglo, après un seul mandat en 1996. Les Béninois se régalaient quotidiennement des frasques de Rosine Soglo, présentée comme un vampire. Toutes ces pertes de pouvoir auraient eu, comme dénominateur commun, une épouse avide d’argent et de célébrité, transformée en âme damnée d’un époux dans l’ombre duquel elle devait rester. « Derrière tout grand homme, il y a une diabolique dame », c’est la pensée en Afrique. Ben Ali aurait été bon si Leïla ne l’avait pas perverti. Quel cynisme !
Pourquoi désigne-t-on toujours la femme comme « coupable » quand un mari sombre dans la déchéance ? Parce que nous avons encore, en antémémoire, la survivance atroce de cette croyance qui veut que la femme soit « sans esprit, mauvaise, irréfléchie et ingrate ». Les vieux le disent encore dans les villages : « Offre tous les jours de l’or à une femme, le jour où tu lui offriras du bronze, elle ira crier sous les toits que tu ne lui as jamais fait du bien. La femme ne se souvient jamais d’un bienfait, par contre, sa mémoire est extrêmement aiguisée pour remuer le couteau dans la plaie ou trouver les moyens d’humilier son mari. »
Dans ces tristes sagas de despotes outranciers et lâches (ils prennent la fuite dès qu’ils sentent le feu ou deviennent des agneaux une fois mis au frais), l’épouse paraît toujours comme l’alibi le plus facile ou, comme dirait le ministre Sékou Diakité à propos de son histoire de serveur « l’agneau du sacrifice ». Il est tellement plus facile, plus simple, d’indexer Leïla Trabelsi et de lui faire porter les péchés de Tunisie, de lyncher les membres de sa famille, de la vouer aux enfers et de la maudire dans les mosquées. Pourtant, cette Leïla Trabelsi était sans arrêt louangée par les « pauvres » du pays, pour sa générosité, son sens du partage et son écoute. C’est Leïla Trabelsi qui paraissait quotidiennement à la télévision nationale, cernée par une meute de prébendiers, de profiteurs et de laudateurs à propos desquels, il faut l’avouer, la reconnaissance du ventre est une denrée insolite. Ce sont ceux-là qui ont profité de la dame, sucé son sang et sa chair qui l’ont lâchée et livré sa famille au pogrom.
Aucune femme n’a fait un coup d’Etat en Afrique. A part Helen Johnson, aucune n’a jamais été élue. Toutes ces femmes que l’on adule avant de lyncher sont sorties de l’anonymat par la grâce de leur mari. Elles entrent tête baissée dans cette forme de naïveté qui leur fait croire qu’elles sont aimées par cette cour royale. Elles s’y laissent prendre et en paient le prix. Dommage ! On les accuse de trop aimer le pouvoir. Comme si on pouvait leur reprocher les ambitions de leur mari. Ces femmes sont pourtant comme nos mères, sœurs, épouses ou filles. Elles ne sont ni meilleures ni pires. Et les dictateurs doivent avoir la dernière décence d’assumer leurs forfaitures au lieu de se dérober lâchement, jusqu’à la mort !
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