Burkina Faso : La Transition en berne

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Se basant sur les derniers évènement ayant entrainé la mise à l’écart du lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, Karim Diakhaté, directeur de publication du magazine Le Panafricain, estime que sans la lucidité nécessaire et un esprit patriotique affirmé, ou tout au moins un compromis dynamique entre les protagonistes de la double crise politique et sécuritaire au « pays des hommes intègres », la situation politique et sécuritaire peut réveiller les démons d’un passé récent ou générer un effet d’entrainement dans la sous-région.

Ouagadougou, vendredi 30 septembre 2022. Un groupe de militaires annonce la prise du pouvoir après une longue journée de tension et d’incertitudes. A sa tête un jeune capitaine, Ibrahim Traoré, qui s’autoproclame président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (PMSR). Il devient donc, de facto, nouveau chef de l’Exécutif. Dans la foulée, le gouvernement est dissous, la constitution est suspendue, de même que les activités des partis politiques et de la société civile. Avec la promesse d’une convocation prochaine des forces vives de la nation pour écrire une nouvelle Charte de la transition et désigner un président civil ou militaire. Retour donc à la case Départ.

Le changement de chef acté, le capitaine Ibrahim Traoré assure désormais « l’expédition des affaires courantes de l’Etat jusqu’à la prestation de serment du nouveau président ». Son premier acte officiel : la rencontre, dans l’après-midi du dimanche 2 octobre, avec les secrétaires généraux des ministères.

Revenons sur les griefs reprochés à l’ex-chef de la junte, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Ses tombeurs invoquent « une dégradation continue de la situation sécuritaire » dans le pays. « Nous avons décidé de prendre nos responsabilités, animés d’un seul idéal, la restauration de la sécurité et de l’intégrité de notre territoire », ont-ils indiqué. Avant de révéler les ressorts de leur courroux : « Notre idéal commun de départ a été trahi par notre leader en qui nous avions placé toute notre confiance. Loin de libérer les territoires occupés, les zones jadis paisibles sont passées sous contrôle terroriste ». Triste constat !

Ironie du sort, à son arrivée au pouvoir, le 24 janvier dernier, c’est le même capitaine Kiswendsida Farouk Azaria Sorgho qui avait lu à la télévision nationale le communiqué de prise du pouvoir dans lequel M. Damiba promettait de faire de la sécurité sa priorité, dans un pays en proie depuis des années à de sanglantes attaques djihadistes. Comme celle perpétrée la semaine dernière à Gaskindé. Le Burkina Faso est confronté, comme le Mali et le Niger, à une lutte asymétrique contre des mouvements armés affiliés à Al-Qaida et au groupe Etat islamique. Les attaques récurrentes des groupes terroristes y ont fait, depuis 2015, des milliers de morts et provoqué le déplacement de populations entières.

Malgré ses états de service assez éloquents et son expertise avérée des questions de sécurité et de stratégie militaire, le dirigeant déchu n’a pas répondu aux attentes placées en lui. Il s’en serait plutôt détourné, adoptant une autre posture plus conciliante à l’égard des vues imposées par la CEDEAO – contrairement au Mali voisin – et, par ricochet, non conformes à la réalité du terrain et loin des préoccupations des troupes engagées au front. Conséquences immédiates : les attaques terroristes se sont multipliées ces derniers mois, notamment dans le Nord, avec une cascade de pertes humaines, tant militaires que civiles, et une faible couverture du territoire (moins de 40%).

En acceptant, certes sous la contrainte, de démissionner le dimanche 2 octobre afin d’éviter, selon lui, « des affrontements aux conséquences humaines et matérielles graves », le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, jette l’éponge et abandonne une partie perdue d’avance. Rattrapé qu’il est par son audace et une certaine euphorie qui l’avait poussé à défier, il y a quelques mois, à Bobo Dioulasso, ceux qui seraient tentés par un coup d’Etat !

Au delà des supputations sur une éventuelle ingérence d’un pays étranger dans les évènements de ces derniers jours au Burkina Faso, il convient de reconnaître qu’on assiste, malheureusement, à un remake d’une situation politique dont le pays des hommes intègres se passerait volontiers. Si la rectification de la transition en cours était redoutée, voire souhaitée par de larges franges des forces vives, il n’en reste pas moins que les clivages apparus ces derniers jours au sein des forces de défense et de sécurité méritent une attention particulière.

Seul un sursaut qualitatif et le don de soi, gages d’une fraternité d’armes sincère et durable, peuvent épargner aux continuateurs du processus un affrontement fratricide dans lequel nul ne sortira vainqueur !

Il faut exorciser les démons du passé et apprendre de l’Histoire politique récente. Depuis son indépendance, en 1960, le Burkina Faso (ancienne Haute-Volta jusqu’en 1983) a connu quinze chefs d’Etat, dont cinq de transition, de Maurice Yaméogo à l’actuel capitaine Ibrahim Traoré, neuf coups d’Etat, onze militaires au pouvoir et quatre civils parmi lesquels un intérimaire, Moumina Chérif Sy (6 jours), en septembre 2015. Avec la destitution du lieutenant-colonel Damiba, s’ouvre une nouvelle page lourde d’incertitudes.

En réaffirmant, dans un communiqué du 2 octobre 2022, « son soutien au peuple burkinabé dans sa quête de démocratie », la CEDEAO semble botter en touche, tout en appelant au respect, par les nouvelles autorités, du chronogramme adopté le 3 juillet 2022 et prévoyant le retour à l’ordre constitutionnel le 1er juillet 2024 au plus tard. Une prudence calculée au regard du risque manifeste de contagion dans une sous région La situation politique préoccupante et les menaces d’ordre sécuritaire qui minent la cohésion sociale et l’unité du peuple malien sont au centre des discussions. L’heure est grave et le temps compté.

L’évolution de la situation politique au Burkina Faso, au Mali et en Guinée ne sera pas sans conséquences, immédiates ou à court terme, sur les pays voisins. Avec les derniers évènements en cours à Ouagadougou et Bobo Dioulasso, le pire est à craindre. Si un effondrement du verrou sécuritaire survenait par la faute de positions inconciliables au sein d’une armée divisée et désormais poreuse à toute menée subversive, la volonté longtemps nourrie des groupes terroristes d’atteindre les pays du golfe de Guinée se réalisera sans coup férir !

Sans la lucidité nécessaire et un esprit patriotique affirmé, ou tout au moins un compromis dynamique entre les protagonistes de la double crise politique et sécuritaire au « pays des hommes intègres », la situation politique et sécuritaire peut réveiller les démons d’un passé récent ou générer un effet d’entrainement dans la sous région. Face aux dissensions au sein des forces armées, aux atermoiements des acteurs politiques et au risque de blocage institutionnel, facteur de surplace et de recul démocratique, il faut toujours craindre le recours à une autre alternative. Car Lao Tseu nous l’enseigne : « Quand le peuple ne craint plus le pouvoir, c’est qu’il espère déjà un autre pouvoir ».
Bonne semaine à tous !

Karim DIAKHATÉ
Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN

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